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Nouveaux OGM : désaccords ministériels ?

Par Eric MEUNIER

Publié le 01/02/2021

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Le 7 janvier 2021, Julien Denormandie, ministre français de l’Agriculture, a affirmé dans une interview que les produits obtenus par les nouvelles techniques de modification génétique ne donnent pas des OGM. Une position légalement fausse puisque contraire au droit européen. Le 29 janvier, le ministère de la Transition écologique et solidaire, interrogé par Inf’OGM, a justement répondu que les produits issus de ces techniques sont actuellement soumis à la réglementation OGM, décision de justice à l’appui : désaccord réel ou de façade ?

Depuis 2008, le statut des produits obtenus par des nouvelles techniques de modification génétique [1] a fait l’objet de bagarres de communication, de plaidoyer, de lobby et même de procédures judiciaires. C’est sur ce dernier terrain que le débat fut tranché en juillet 2018. Cet été-là, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) qui s’était penchée sur les techniques de mutagénèse, rappelait à la Commission européenne et aux gouvernements des États membres que toutes les techniques visant à provoquer des modifications génétiques d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement donnent des OGM selon la législation européenne [2]. En France, le Conseil d’État a jugé de même en février 2020 et a ordonné à la France de corriger sa loi en conséquence.

Mensonge délibéré ou méconnaissance du ministre de l’Agriculture ?

Une année plus tard, le gouvernement n’a toujours pas mis en œuvre la décision du Conseil d’État français [3]. Au contraire, le ministre de l’Agriculture a choisi de prendre position contre les textes législatifs et les décisions de justice. Il a ainsi déclaré le 7 janvier dernier à Agra Presse que « les NBT, ce ne sont pas des OGM. (…) Ce sont des technologies qui permettent d’accélérer la sélection végétale. Cette technologie permet de faire apparaître plus tôt une variété qui aurait pu apparaître naturellement à un moment donné, et c’est très bien » [4].

Au-delà du caractère erroné d’une telle affirmation (une technique n’est pas un organisme), la position qu’elle sous-entend va à l’encontre de la décision de la CJUE qui arrêtait en juillet 2018 que « les organismes obtenus au moyen de techniques/méthodes de mutagénèse constituent des OGM  » [5]. Une position qui s’étend à toutes les nouvelles techniques de modification génétique que le Ministre nomme avec leur acronyme NBT. La CJUE précise que sont exclus du champ d’application de la législation européenne les seuls organismes « obtenus au moyen de techniques / méthodes de mutagénèse qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps ». En effet, le législateur avait prévu cette exemption dans sa directive européenne adoptée en 2001, tout comme dans celle antérieure adoptée en 1990. Puisque nouvelles, les nouvelles techniques auxquelles fait référence le ministre de l’Agriculture ne sauraient donc par définition être concernées par cette disposition. Elles produisent bien des OGM, qui plus est des OGM réglementés.

En février 2020, le Conseil d’État a appliqué ce rappel de la CJUE à la législation nationale [6]. Concernant les techniques de mutagénèse, il a ordonné au Premier ministre de modifier sous six mois la loi française en établissant « la liste limitative des techniques ou méthodes de mutagénèse traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps ». Interrogé pour clarifier les bases juridiques de l’affirmation portée par Julien Denormandie, le ministère de l’Agriculture ne nous a pas répondu.

Le ministère de la Transition écologique et solidaire rappelle le droit

Dans une réponse faite à Inf’OGM, le ministère de la Transition écologique et solidaire rappelle de son côté que la CJUE « a conclu que les produits issus de NBT (sont) soumis à la réglementation OGM  ». Une décision de justice qui a provoqué la commande par les États membres d’une « étude de la Commission européenne sur le statut des NBT dans le droit de l’UE (…) en cours pour fin avril 2021 » précise-t-il. Cette étude a notamment pour objectif, selon le ministère, « de préciser ou de faire évoluer l’encadrement réglementaire qui date de 2001, pour tenir compte de l’évolution des techniques depuis 20 ans  ». Elle pourrait donc donner lieu à «  une proposition de révision de la réglementation OGM ou à d’autres mesures ».

Alors que le rapport de la Commission européenne sera présenté le 30 avril comme nous l’a confirmé la Commission, le ministère de la Transition écologique annonce d’ores et déjà que « le Gouvernement examinera avec une grande attention les résultats de cette étude » et de préciser les grandes lignes qui seront suivies : «  les principes [de] précaution et de proportionnalité seront pris en compte. Les impacts potentiels, sur les plans sanitaires, environnementaux et socio-économiques, doivent être examinés avec attention ». En conclusion, il souhaite « que le cadre juridique permette d’assurer un haut niveau de sécurité sanitaire et environnementale, au service d’une agriculture plus durable ». Une perspective qui n’est pas sans rappeler la demande faite au Haut Conseil des biotechnologies (HCB) en février 2016, formulée conjointement par Mme Ségolène Royal, alors ministre de l’Environnement, et M. Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture. Il s’agissait de proposer « des pistes intermédiaires entre les dispositions du catalogue européen et celles de la directive 2001/18/CE  » [7].

Un chantier législatif à venir ?

Dans son interview du 7 janvier dernier, le ministre de l’Agriculture Julien Denormandie a également rappelé cette étude en cours par la Commission européenne. Parlant donc pour son ministère, Julien Denormandie estime qu’il « faut que les NBT aient une réglementation conforme à ce qu’elles sont ». Considérant que ces techniques « sont des technologies qui permettent d’accélérer la sélection végétale (…) de faire apparaître plus tôt une variété qui aurait pu apparaître naturellement à un moment donné  », il suggère donc que les produits issus de ces techniques ne doivent pas être couverts par la réglementation OGM. Une position qui n’est pas nouvelle au ministère de l’Agriculture. En novembre 2018, via sa Direction Générale de l’Alimentation (DGAl), le ministère de l’Agriculture indiquait déjà à la Commission européenne, que «  l’avis du Conseil d’État sera un élément clé dans l’évaluation de la nécessité ou non de modifier la directive 2001/18 » [8]. En ce sens, l’interview récente du ministre de l’Agriculture clarifie définitivement les intentions de ce Ministère et, se faisant, explique peut-être l’inaction du gouvernement à mettre en œuvre la décision du Conseil d’État depuis maintenant une année.

La sortie de Denormandie fait réagir

Dans un communiqué du 13 janvier 2021, l’association Greenpeace réagissait à cette position du Ministre. Par la voix de Suzanne Dalle, chargée de campagne agriculture, l’association considère que « cette déclaration du ministre de l’Agriculture fait fi de la réalité scientifique sur le sujet et adopte tous les éléments de langage du lobby pro-OGM. Les plantes issues de NBT n’ont rien de naturel et correspondent bien à la définition européenne des OGM ». Rappelant que la CJUE « avait également fait valoir que les risques associés à ces techniques étaient comparables à ceux des OGM traditionnels  », Suzanne Dalle demande que « la France recadre la position exprimée par le Ministre de l’Agriculture, et maintienne sa position historique d’opposition à tous les OGM, qu’ils soient nouveaux ou anciens ».

Même son de cloche du côté de la Confédération paysanne. Interrogé par Inf’OGM, Guy Kastler, membre de ce syndicat, souligne que la déclaration du Ministre est tout simplement « scandaleusement mensongère [et] représente un alignement total sur les positions du lobby semencier qui n’attend qu’une déréglementation totale de toutes les variétés issues de ces nouvelles technologies OGM, pour les imposer » dans les champs et les assiettes. Alors que le tribunal de Perpignan vient de relaxer un faucheur volontaire en estimant que la réglementation européenne impose aux États et aux entreprises d’être transparents et que ce faucheur était en état de nécessité face au péril imminent généré par des OGM tolérant des herbicides [9], le syndicat agricole demande « un démenti formel et un rappel à la loi au plus haut sommet de l’État  » pour lever le flou politique que la déclaration ministérielle a créé. Ce démenti a été à nouveau demandé dans une lettre ouverte du syndicat, adressée le 27 janvier 2021 au Premier ministre, Jean Castex et à la ministre de la Transition écologique et solidaire, Barbara Pompili [10]. Confirmant avoir « été particulièrement choqués par les déclarations  » du ministre de l’Agriculture, le syndicat estime qu’un « démenti au plus haut niveau, notamment de la part du chef du gouvernement et de la ministre en charge de la transition écologique » est impératif car « cette déclaration a été reçue par tous comme la position de la France  ».

Le 30 avril prochain, le rapport produit par la Commission européenne sur la pertinence de revoir ou non la législation européenne sur les OGM sera rendu public. Quelle position le gouvernement français a-t-il fait valoir en réponse au questionnaire que lui a adressé la Commission sur ce sujet ? Quelle position prendra-t-il alors ? À ce jour, la réponse n’est pas connue car le dossier est géré en interministériel : le ministre de l’Agriculture n’est donc pas le seul à intervenir.

[1parfois dénommées par leur acronyme anglais NBT pour New Breeding Techniques.

[3article à paraître d’Inf’OGM

[7Saisine du Haut Conseil des biotechnologies du 22 février 2016.

[10Nouveaux OGM : lettre ouverte à Jean Castex et Barbara Pompili.

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