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Le projet de décret sur les nouveaux OGM toujours… en projet !

Par Eric MEUNIER

Publié le 24/11/2020

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À ce jour, le gouvernement français n’a toujours pas publié le décret qui doit répondre aux injonctions prononcées par le Conseil d’État dans son arrêt concernant les OGM issus de mutagénèse ainsi que les variétés rendues tolérantes aux herbicides. Existant sous forme de projet, ce décret déclare que les OGM obtenus par mutagénèse dite dirigée et « mutagénèse aléatoire in vitro consistant à soumettre des cellules végétales cultivées in vitro à des agents mutagènes chimiques ou physiques » sont soumis aux requis de la législation. Alors qu’une procédure de consultation européenne sur son projet de décret s’est terminée le 9 novembre dernier, le gouvernement accuse un retard de près de quatre mois vis-à-vis du délai de six mois donné par le Conseil d’État le 10 février 2020. Comment le gouvernement envisage la suite ? Une (non) réponse est arrivée le 19 novembre.

Fin octobre, Inf’OGM rapportait qu’un projet de décret sur les OGM, notifié par le gouvernement français à l’Union européenne, avait fait l’objet d’un désaccord de la Commission européenne et de cinq États membres sur 26 [1]. Ce projet de décret fait suite à une décision du Conseil d’État qui, en février 2020, enjoignait au gouvernement de modifier sous six mois la législation française afin de refléter que les OGM obtenus par mutagénèse dite dirigée et « mutagénèse aléatoire in vitro consistant à soumettre des cellules végétales cultivées in vitro à des agents mutagènes chimiques ou physiques » ne sont pas exemptés des requis de la législation OGM [2]. En conséquence, le gouvernement devait également interdire la commercialisation en France des variétés obtenues par ces techniques et qui auraient été autorisées sans respecter la législation OGM [3]. À ce jour, aucun texte n’a pourtant été publié au Journal Officiel.

Un calendrier encore flou mais déjà illégal

Retour en arrière : en février 2020, le Conseil d’État ordonnait au gouvernement de traduire son arrêt dans la loi française avant le 9 août 2020. Trois mois plus tard, le gouvernement a pris le risque d’être hors-délai en choisissant de notifier pour avis son projet de décret à l’Union européenne. Ce choix le faisait rentrer dans une procédure qui l’emmenait au moins à début août. Risqué mais jouable. Sauf que la procédure européenne fut prolongée jusqu’au 9 novembre 2020 par la Commission européenne afin de permettre au gouvernement français de répondre aux objections qu’elle avait formulées ainsi qu’à celles de cinq autres États membres [4]. Le gouvernement avait alors trois choix possibles : publier son décret sans rien modifier, au risque théorique que la Commission européenne renvoie la décision à la Cour de justice de l’Union européenne qui lui a déjà donné tort sur le même dossier [5] ; le modifier en prenant en compte les objections reçues, risquant alors de ne pas respecter son propre Conseil d’État ; ou ne rien faire. Cette dernière option est celle choisie par le gouvernement qui n’a pas publié de décret, modifié ou non. Les injonctions du Conseil d’État ne sont donc pas respectées.

Des réactions dans la société civile

Cette situation a déjà conduit les neuf organisations françaises qui avaient initialement saisi le Conseil d’État à lui adresser le 12 octobre dernier une requête pour non exécution de ses décisions. Plus récemment, le 17 novembre, la Confédération Paysanne a appelé le Premier Ministre français à « exécuter immédiatement les injonctions du Conseil d’État » [6]. Dans son communiqué de presse, le syndicat agricole rapproche la non action du gouvernement de déclarations récentes de l’Union française des semenciers qui s’est exprimée en faveur d’une « refonte d’une réglementation européenne devenue obsolète et source d’insécurité juridique » [7]. Pour la Confédération paysanne, le gouvernement effectue un travail de sape en n’appliquant pas la décision du Conseil d’État, considérant qu’il « s’exonère de l’application des lois de la République ». Or, tant qu’aucun décret n’est formellement adopté, « les colzas OGM illégalement cultivés et les herbicides associés à leur culture contaminent de manière irréversible les autres cultures, la biodiversité sauvage, les sols, l’eau et notre alimentation » souligne la Confédération paysanne.

De leur côté, les Faucheurs volontaires ont adressé le 6 novembre une lettre ouverte au Premier ministre et au ministre de l’Agriculture [8]. Ils leur demandent de se voir « donner délégation en vue d’inspecter les champs de colza et repérer ceux où ont été semées des variétés rendues tolérantes à un (des)herbicide(s) ». Les faucheurs estiment que cette mission relève de l’intérêt général afin, notamment, de « suivre la décision du Conseil d’État » qui n’a pour l’instant fait l’objet d’aucun décret.

Le décret sera bien publié… mais quand ?

Une éventuelle adoption du décret notifié à l’Union européenne est pour l’instant encore floue. Questionné par la Sénatrice Cécile Cukierman à ce sujet le 5 novembre [9], le ministère de l’Agriculture vient de répondre le 19 novembre être toujours en train de travailler [10]. Après avoir rappelé qu’il a élaboré « les textes visant à fixer la liste limitative des techniques ou méthodes de mutagénèse traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée, [les avoir] soumis au Haut Conseil des biotechnologies, qui a rendu son avis le 15 juillet 2020, et (…) notifiés à la Commission européenne et aux États Membres le 6 mai 2020 », le ministère de l’Agriculture précise que ces textes, conformément à l’injonction du Conseil d’État, « feront ensuite l’objet d’une consultation du public. Le Gouvernement examine actuellement les conditions de mise en œuvre de cette consultation ». Malgré le retard, le travail est donc toujours en cours.

Le volet « herbicide » toujours travaillé

Dans son arrêt du 10 février 2020, le Conseil d’État enjoignait également au gouvernement de renforcer le suivi et la surveillance des cultures de variétés rendues tolérantes aux herbicides (VrTH) (indépendamment de leur statut OGM réglementé ou non) ainsi que d’édicter les conditions de leur mise en culture. Le Conseil d’État précisait que ce travail devait être fait avant le 7 août selon les recommandations formulées par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) dans son avis du 26 novembre 2019.

Le 19 novembre 2020, en réponse à la sénatrice Cécile Cukierman, le ministère de l’Agriculture a expliqué avoir saisi l’Anses le 10 juin 2020 pour « appuyer [le gouvernement] dans la construction d’un programme d’études de suivi des VrTH ». Des études qui viseront à recueillir des données « permettant d’évaluer les risques sanitaires et environnementaux liés à l’utilisation de variétés tolérantes aux herbicides, en comparaison avec des variétés non tolérantes ». Pour les conditions de mise en culture, le ministère indique que l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement, (Inrae) a été saisi le 8 juillet dernier avec une demande complémentaire d’élaborer « des recommandations pour le conseil aux agriculteurs ».

Indiquant attendre le résultat de ces deux saisines pour la fin de l’année 2020, il précise que la loi de programmation pluriannuelle de la recherche en cours de discussion contient « une habilitation à légiférer par ordonnance, qui permettra, par la suite, de porter les éventuelles dispositions législatives et réglementaires nécessaires à la mise en œuvre du dispositif de suivi et de surveillance des VrTH et à la prescription de conditions de cultures appropriées pour ces mêmes variétés ». En effet, l’article 22 de ce projet de loi indique que le gouvernement pourrait être habilité à prendre des ordonnances afin de « modifier le code de l’environnement, le code rural et de la pêche maritime et le code de la consommation afin de prévoir les modalités de traçabilité et les conditions de l’utilisation des semences des variétés rendues tolérantes aux herbicides et des produits issus » [11]. Certaines des variétés rendues tolérantes aux herbicides, parmi lesquelles les variétés de colza Clearfield de BASF, sont des OGM réglementés. Les conditions du suivi, de la surveillance et de la mise en culture de ces VrTH OGM devront donc également respecter les requis de la législation OGM…

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