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Canola OGM : le gouvernement canadien au secours de Cibus

Par Eric MEUNIER

Publié le 10/11/2020

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Comment l’entreprise Cibus a-t-elle généré et sélectionné la modification génétique présente dans le canola 5715 ? Près de dix ans après l’avis favorable des autorités canadiennes, la question a resurgi récemment après que le Canada et Cibus ont changé de discours. L’entreprise explique en effet que le principal outil qu’elle a utilisé pour générer une mutation a finalement été inutile pour elle. Ce flou technique vise à alimenter un flou juridique quant au statut OGM réglementé ou non de ce canola. Une chose est pourtant sûre : ce canola a été obtenu en utilisant au moins une technique de culture de cellules isolées in vitro ainsi qu’une technique de régénération de ces cellules en de nouvelles plantes.

Cat article est également disponible en anglais

Dans un précédent article [1], Inf’OGM avait relaté le changement de discours de l’entreprise Cibus et des autorités canadiennes pour présenter le canola 5715 de Cibus génétiquement modifié pour tolérer des herbicides [2]. Avant septembre 2020, ce canola était promu depuis une petite dizaine d’années comme ayant été obtenu par une nouvelle technique de modification génétique, la mutagénèse dirigée par oligonucléotides. Mais, depuis mi-septembre et la publication par l’équipe du Pr. Fagan d’une méthode publique de détection de la mutation revendiquée et présente dans ce canola [3], l’entreprise déclare que cette mutation est en fait issue de variation somaclonale [4]. Cette dénomination « variation somaclonale » désigne l’apparition de mutations, inhérente à un ensemble de techniques de mutagénèse que les entreprises espèrent voir toutes déclarées comme donnant des OGM non soumis à la loi. Ce changement de position est repris par les autorités canadiennes qui se mettent ainsi en première ligne pour valider officiellement la communication de l’entreprise qui n’a apporté aucune preuve de ces déclarations. Alors que la Commission européenne a confirmé à Inf’OGM avoir, le 18 septembre dernier, demandé aux États membres de « lui apporter toute information disponible sur le colza objet de l’article récemment publié » par l’équipe du Pr. Fagan [5], il est important d’y voir plus clair sur la méthode d’obtention de ce canola.

Cibus utilise un oligonucléotide pour rien ?

Cibus a modifié génétiquement du canola de manière à le rendre tolérant à des herbicides à base de sulfonylurée et d’imidazolinone. Auprès de la Convention sur la Diversité Biologique ou des autorités canadiennes, ce canola a été historiquement présenté comme obtenu par une technique de mutagénèse dirigée par oligonucléotides, brevetée par Cibus sous le nom de « Rapid Trait Development System™ » (RTDS™). Mais, comme nous l’avons vu dans notre précédent article [6], ce canola GM est dorénavant décrit par Cibus et les autorités canadiennes comme étant le fruit de variation somaclonale. Pourtant, la Convention sur la Diversité Biologique l’affiche toujours comme issu de RTDS [7]. Dans une réponse reçue par Inf’OGM, l’entreprise Cibus détaille le protocole suivi pour modifier génétiquement le canola. Sa réponse illustre son absence de maîtrise de cette technique et le flou qu’elle tente d’alimenter sur son statut réglementaire.

Pour mettre en œuvre son protocole de modification génétique par mutagénèse dirigée par oligonucléotide, Cibus a expliqué à Inf’OGM avoir travaillé avec « des cellules sur boîte de Petri » [8]. Ces cellules, isolées à partir de canola, ont ensuite été multipliées sur des boîtes de Petri (l’entreprise évoquera dans une autre réponse des « suspensions de cellules » confirmant ainsi qu’il s’agit de cellules isolées multipliées dans un milieu liquide). Cibus nous a indiqué avoir utilisé deux boîtes de Petri dans lesquelles les cellules isolées du canola étaient multipliées. Dans une première boîte, Cibus a ajouté l’oligonucléotide qui avait été « introduit pour induire une mutation spécifique en un lieu spécifique du gène » selon la technique RTDS. La seconde boîte de Petri n’a pas reçu l’oligonucléotide car l’entreprise nous a expliqué avoir « anticipé » que d’autres mutations pourraient apparaître, indépendamment de la présence de l’oligonucléotide. L’entreprise a ensuite maintenu les cellules en culture puis a ajouté un herbicide. Ce dernier a permis de sélectionner les seules cellules ayant développé une ou des mutations leur permettant de tolérer l’herbicide. Cibus explique alors avoir identifié « plusieurs plantes (ndlr, à ce stade, il s’agit encore de cellules) tolérantes aux herbicides [qui] provenaient aussi bien de boîtes dans lesquelles un oligonucléotide avait été ajouté que de boîtes de contrôle sans oligonucléotide ». Sans préciser si elle est repartie de la boîte avec oligonucléotide ou de la boîte sans, Cibus explique avoir ensuite utilisé les cellules tolérant l’herbicide pour régénérer des plantes de canola qui firent l’objet de « tests sous serre [suite auxquels Cibus] a sélectionné une des mutations spontanées pour des essais aux champs et c’est devenu [sa] première lignée de canola SU ».

En d’autres termes, Cibus indique que la mutation sélectionnée, conférant une tolérance aux herbicides, n’était pas le fruit de l’oligonucléotide ajouté mais appartenait au pool de mutations résultant de la multiplication in vitro des cellules, la variation somaclonale. À croire Cibus, l’oligonucléotide n’aurait finalement servi à rien dans un protocole pourtant construit pour qu’il génère une mutation souhaitée.

Les autorités canadiennes couvrent Cibus

Ces explications de Cibus ont été fournies à Inf’OGM à l’automne 2020. Mais deux autorités canadiennes (Santé Canada et l’Agence canadienne d’inspection alimentaire – Acia) décrivaient depuis 2013 ce canola 5715 comme étant possiblement le fait de variation somaclonale, sans toutefois en être certaines [9]. Mais, entre le 14 et le 29 juillet 2020, l’ACIA a changé sa présentation. Elle le décrit maintenant avec certitude comme étant « le résultat de variation somaclonale ». Interrogée sur ce changement de description passant d’une hypothèse à une certitude, l’ACIA nous avait indiqué avoir « mis à jour la description dans le document de décision, afin de clarifier la façon dont le Cibus 5715 a été élaboré ». Car l’ACIA considérait que « la première description aurait pu être mal interprétée pour signifier que le canola Cibus 5715 a été développé comme résultat direct d’une approche de mutagénèse dirigée par des oligonucléotides connue sous le nom de Rapid Trait Development System™ (RTDS™). La description indique maintenant clairement que ce canola a été sélectionné au cours du processus de culture ».

Le calendrier de cette clarification qui a eu lieu à l’été 2020 interroge. Cibus nous a indiqué que cette hypothèse d’une éventuelle obtention du caractère de tolérance à l’herbicide (TH) résultant de l’utilisation des oligonucléotides, soulignée par les autorités canadiennes entre 2013 et juillet 2020 aurait pu être levée… dès 2013 ! Début octobre 2020, l’entreprise nous précise en effet que « l’ACIA et Santé Canada étaient au courant que la mutation avait été obtenue par variation somaclonale puisque la demande d’autorisation fournissait le détails du matériel et de la méthode. Cela incluait la description moléculaire [de l’oligonucléotide] qui montrait que la mutation liée à [l’oligonucléotide] n’était pas la mutation sélectionnée dans la lignée de canola 5715 ». Interrogée à ce propos, l’ACIA nous a répondu mi-octobre que « Cibus Canada Inc. a inclus des données sur le séquençage de l’ADN dans sa présentation. Les données indiquent clairement que la mutation ne pouvait pas être le résultat de l’utilisation de la méthode RTDS », mais elle ne répond pas pourquoi l’hypothèse initiale n’avait pas été levée dès le départ. L’ACIA a finalement refusé fin octobre de communiquer à Inf’OGM le dossier déposé par Cibus, car elle « ne rend pas publics les dossiers soumis par les demandeurs. Les dossiers sont des renseignements exclusifs d’un développeur et sont assujettis à la Loi sur la protection des renseignements personnels et à la Loi sur l’accès à l’information ». Impossible donc de lever le flou autrement qu’en s’en remettant aux déclarations de Cibus et de l’ACIA.

Quelle origine, quel statut légal ?

Même si la présentation du canola 5715 a changé sur le site Internet de l’ACIA, cette dernière continue de considérer qu’il est issu d’un protocole dit de mutagénèse dirigée comme le montre une réponse reçue par Inf’OGM. L’ACIA nous y détaille en effet que « même si la lignée de canola (…) a été isolée à la suite du traitement des cellules à l’aide de la méthode RTDS, la mutation de l’unique nucléotide dans la lignée de canola (…) a été créée en raison de variations somaclonales spontanées qui se sont produites pendant le processus de culture de tissu et qui n’étaient pas attribuables à l’oligonucléotide utilisé dans le cadre de la RTDS ». À lire l’ACIA et Cibus, le protocole de mutagénèse dirigée par oligonucléotides a permis de générer des mutations dues à l’oligonucléotide et des mutations dues à la multiplication de cellules sur boîte de Petri. Un même protocole pour deux origines différentes dont une des deux, la multiplication des cellules in vitro fait l’objet aujourd’hui d’un lobby d’entreprises pour être considérée comme ne donnant pas des OGM réglementés en Europe…

Pour des acteurs de la société civile française, la distinction faite aujourd’hui par Cibus ne change rien à la donne. Les OGM obtenus par régénération de plantes à partir de cellules végétales multipliées in vitro dans des boîtes de Petri sont des OGM soumis à la législation sur les OGM car cette technique modifie le génome d’organismes « d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle » et qu’elle n’a pas d’historique d’utilisation sans risque. Pour le Canada par contre, le canola de Cibus est tout simplement décrit comme n’étant pas un OGM. L’ACIA le présente en effet dans sa base de données comme « non-OVM », c’est-à-dire comme n’étant pas un Organisme Vivant Modifié [10]. Cette terminologie est issue de la Convention sur la Diversité Biologique et de son Protocole de Cartagena qui déterminent que les OVM sont « tout organisme vivant possédant une combinaison de matériel génétique inédite obtenue par recours à la biotechnologie moderne [qui] s’entend de l’application de techniques in vitro aux acides nucléiques (…) qui surmontent les barrières naturelles de la physiologie de la reproduction ou de la recombinaison et qui ne sont pas des techniques utilisées pour la reproduction et la sélection de type classique ». Pour expliquer son analyse qu’il ne s’agit pas d’un OVM, l’ACIA a détaillé à Inf’OGM que « aucun matériel génétique n’a été introduit ; par conséquent, l’ACIA considère que ce produit ne répond pas à la définition d’un OVM ». Cette explication est pour le moins étonnante, la définition du Protocole de Cartagena n’évoquant en effet nulle part la nécessité d’introduire du matériel génétique pour produire des OVM [11]

L’objectif de Cibus serait-il de revendiquer d’un côté une technique présentée comme exemptée de la réglementation OVM pour commercialiser son canola sans se soumettre aux obligations de cette réglementation ; et d’un autre côté de valoriser ce même canola en mettant en avant son brevet portant sur une technique plus moderne mais soumise à cette réglementation ? D’autant que sa technique RTDS est un actif financier qui lui permet de valoriser sa gamme de canolas par sa promotion de la prétendue maîtrise d’une nouvelle technique « dernier cri » qui n’aurait en fait servi à rien. L’arrêt du Conseil d’État français vient cependant remettre en cause cette stratégie en classant les deux techniques revendiquées par Cibus parmi celles qui ne sont pas exemptées de cette réglementation.

[2Le canola est un colza à faible teneur en acide érucique, nommé ainsi par contraction de CANada et Oil Low Acid (huile à faible teneur en acide).

[3« A Real-Time Quantitative PCR Method Specific for Detection and Quantification of the First Commercialized Genome-Edited Plant », Chhalliyil P. et al., Foods 2020, 9, 1245.

[4Le terme de variation somaclonale désigne les mutations qui se produisent lors de l’utilisation tout autant de techniques de microbouturage in vitro de tissus méristématiques (bourgeons, germes, nœuds…) de plantes à reproduction végétative, techniques ne produisant pas d’OGM réglementés ; que de techniques de mutagénèse in vitro consistant à soumettre des cellules végétales à des agents mutagènes, identifiées par le Conseil d’État français comme produisant des OGM réglementés.

[6cf. note 1.

[8Les boîtes de Petri contiennent un milieu artificiel permettant à des plantes, graines, pollen, bouture, microbouture et cellules de survivre et se multiplier hors de leur environnement naturel.

[9cf. note 1.

[10Base de données du Canada. Recherche à conduire avec « Canola » et « Cibus » pour accéder à la présentation du canola 5715.

[11cf. note 7.

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