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Les nouveaux OGM sont brevetables

Par Zoé JACQUINOT

Publié le 22/10/2020

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Pour l’Office européen des brevets, une cellule végétale ou animale, isolée de son organisme d’origine, est un microorganisme obtenu grâce à un procédé microbiologique. Et il considère les deux comme brevetables [1]. Par conséquent, toute technique de modification génétique utilisant de telles cellules est un procédé brevetable donnant des produits brevetables. Or, depuis la décision du Conseil d’État de février 2020, les nouvelles techniques de mutagénèse mises en œuvre sur cellules végétales ou animales isolées et cultivées in vitro donnent des OGM. Le lien entre le dossier brevet et les OGM est ainsi clarifié.

En mai 2019, Inf’OGM s’interrogeait sur la brevetabilité des OGM issus de mutagénèse. À cette époque, une représentante de l’Office européen des brevets (OEB) affirmait en effet qu’une plante génétiquement modifiée par Crispr ne pouvait pas être brevetée directement si elle était identique à une plante déjà connue mais que le procédé technique utilisé pour l’obtenir l’était. Classant les nouvelles techniques de modification génétique dans une catégorie qu’elle nommait « plantes conventionnelles et technologie d’amélioration végétale », la représentante de l’OEB avait alimenté un flou quant à savoir ce qui est brevetable et ce qui ne l’est pas selon l’OEB [2]. Le 14 mai dernier, en déclarant non brevetables les plantes et les animaux issus de procédés essentiellement biologiques tout comme ces procédés, l’OEB a levé ce flou [3]. Cette clarification est d’importance à une période où les industriels convoitent les droits et les retombées financières liés aux brevets tout en essayant d’échapper à la législation sur les OGM, notamment l’étiquetage.

La matière microbiologique et les procédés microbiologiques sont brevetables

On aurait tort de croire que ce qui existe déjà dans la Nature ne peut pas être breveté car ni nouveau, ni inventé. Pour l’OEB, la règle générale veut que les « inventions qui portent sur un produit composé de matière biologique ou en contenant, ou sur un procédé permettant de produire, de traiter ou d’utiliser de la matière biologique » sont brevetables (Règle 26 CBE) [4]. Ainsi, le fait même d’isoler un élément du corps humain ou de l’obtenir par un procédé technique peut permettre de « constituer une invention brevetable » si elle peut faire l’objet d’une application industrielle (directive 98/44, article 5). Et peu importe que cet élément puisse être identique à un élément naturel.

Dans la grande famille du vivant, l’OEB distingue deux sous-familles de procédés et de produits : les procédés essentiellement biologiques et leurs produits d’un côté, tous deux non brevetables, les procédés microbiologiques et leurs produits, brevetables, d’un autre côté. C’est justement dans cette sous-famille des procédés microbiologiques et de leurs produits que se trouve le lien entre le dossier des brevets et le dossier des nouveaux OGM.

Dans ses lignes directrices à destination des demandeurs de brevets [5], l’OEB définit les procédés microbiologiques comme « tout procédé utilisant une matière microbiologique, comportant une intervention sur une matière microbiologique ou produisant une matière microbiologique ». Il précise que cela concerne « non seulement les procédés comportant une intervention sur une matière biologique ou en produisant une, par exemple au moyen du génie génétique, mais aussi les procédés qui, tels que revendiqués, comprennent à la fois des étapes microbiologiques et non microbiologiques ».

Une fois cette définition générale fournie, l’OEB précise également que « les cellules végétales ou animales isolées ou les cultures de cellules végétales ou animales in vitro sont considérées comme des microorganismes » car multipliables et manipulables en laboratoire. Ces cellules isolées, considérées comme microorganismes, « peuvent être protégées en tant que telles puisqu’elles sont un produit obtenu par un procédé microbiologique » [6]. Cette règle de l’OEB établissant que les cellules végétales ou animales isolées in vitro sont des micro-organismes obtenus par un procédé microbiologique fait donc le lien avec les nouveaux OGM.

Les nouveaux OGM sont issus de procédés micro-biologiques…

Depuis la décision du Conseil d’État de février 2020, il est en effet acté en France que la mutagénèse réalisée sur des cellules isolées cultivées in vitro produit des OGM réglementés. Cette mutagénèse est une technique dont le matériel de base est un ensemble de cellules isolées et cultivées en laboratoire, les mêmes cellules que l’OEB considère être obtenues par un procédé microbiologique. On peut donc comprendre que les techniques utilisant des cellules cultivées in vitro sont des techniques brevetables ainsi que leurs produits. Les nouveaux OGM issus de techniques utilisant des cellules isolées de plantes cultivées in vitro sont donc des produits issus de procédés microbiologiques et sont, par conséquent, brevetables selon le droit de l’Union européenne et de l’OEB.

Pour résumer, les nouveaux OGM sont brevetables car leur matière est biologique et obtenue avec des procédés techniques microbiologiques et qu’ils font également l’objet d’une application industrielle. Et ce, même s’ils sont déclarés par leurs fabricants comme semblables à des organismes que la Nature peut produire [7]. Pour l’OEB, cette ressemblance (qui reste purement théorique) n’efface pas la nature technique des modes d’obtention, quel que soit leur degré d’importance pour la production de l’invention brevetée.

Surtout, l’OEB considère que l’ajout à un procédé essentiellement biologique d’une « étape technique […] qui introduit elle-même une caractéristique ou modifie une caractéristique sans que cela soit par mélange de gènes » rend le procédé général brevetable. Car peu importe l’importance de cette étape technique dans l’obtention de l’invention, l’ensemble ne sera pas considéré comme un produit issu d’un procédé essentiellement biologique [8]. Donc les nouveaux OGM, notamment ceux issus de mutagénèse associée à des cultures de cellules in vitro, ne peuvent pas être considérés comme étant obtenus par une sélection classique à laquelle aurait été ajoutée une simple étape technique.

… et sont donc brevetables

Dans l’état actuel des techniques, tous les OGM réglementés sont donc brevetables. Mais toutes les techniques brevetables ne produisent pas pour autant des OGM réglementés. L’OEB considère la mutagénèse comme un procédé technique brevetable, qu’elle soit appliquée in vivo ou in vitro. C’est-à-dire soit sur des plantes entières, des parties ou des tissus de plantes (auquel cas elle ne produit pas d’OGM réglementé) soit sur des cellules de plantes (auquel cas elle produit des OGM réglementés) [9]. Les entreprises semblent estimer que cette fenêtre laissée à quelques plantes brevetables et non réglementées comme OGM est encore trop étroite et souhaiteraient donc l’élargir. C’est pourquoi elles déploient depuis la décision de la CJUE de juillet 2018 un lobbying très intense pour modifier la directive européenne afin que les mêmes procédés brevetables de mutagénèse dirigée soient exemptés de l’application de la réglementation OGM au motif qu’ils seraient in-différenciables de ce que la Nature ou les techniques de sélection traditionnelle peuvent produire. Depuis l’arrêt du Conseil d’État en février 2020, elle étend ce lobbying à l’exemption des procédés de mutagénèse appliqués sur des cellules isolées cultivées in vitro.

Cette situation espérée par les entreprises qui voudraient qu’une plante génétiquement modifiée soit brevetable car inventée, mais pas réglementée comme OGM car la Nature ou les techniques de sélection traditionnelles peuvent le faire aussi, est paradoxale et complexe. Mais elle existe aujourd’hui car le vivant a été déclaré en partie brevetable. Pour ce faire, le vivant a été morcelé pour correspondre à différentes classifications techniques. Le résultat obtenu, très artificiel, présente des limites compliquées et floues comme nous l’avons vu. Pour certains acteurs du débat, la solution la plus simple à tous les maux de têtes serait de déclarer l’ensemble du vivant non brevetable.

[1L’article 27-3 de l’Accord sur les droits de propriété industrielle liés au commerce – ADPIC – de l’OMC considère que tous les microorganismes sont brevetables

[4L’OEB entend par matière biologique toute « matière contenant des informations génétique et qui est autoreproductible ou reproductible dans un système biologique ». Et « procédé microbiologique » est entendu comme « tout procédé utilisant une matière microbiologique, comportant une intervention sur une matière microbiologique ou produisant une matière microbiologique » (Règle 26 CBE).

[6Il en est de même pour les « virus et les plasmides et les champignons unicellulaires (y compris les levures), les algues, les protozoaires ».

[7L’idée avancée par les entreprises selon laquelle les nouveaux OGM ne sont pas détectables et traçables a cependant été démentie, voir notamment Eric MEUNIER, « Colza de Cibus : un nouvel OGM, totalement détectable », Inf’OGM, 8 septembre 2020

[8G 03/19, page 40.

[9Encore faut-il que ces procédés techniques non microbiologiques soient reproductibles pour être susceptibles d’applications industrielles, ce qui n’est pas toujours le cas avec la mutagénèse dite aléatoire.

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