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Amérique latine : pandémie, OGM et stratégie du choc

Par Inf'ogm

Publié le 15/10/2020

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La Covid a bon dos car elle permet toute sorte d’excès anti-démocratique, au nom d’une soi-disant lutte contre la faim et/ou d’une (réelle) urgence sanitaire. Elisabeth Bravo, militante de l’ONG équatorienne Action écologique (Acción Ecológica) décrit dans cet article comment les gouvernements de quelques pays latino-américains utilisent cette crise pour « faire passer » les OGM. Inf’OGM a décidé de le traduire pour ses lecteurs francophones [1].

Un article original d’Elizabeth Bravo de l’ONG Acción Ecológica, publié le 19 août 2020 dans Acción Ecológica Opina et sur la liste du Réseau Amérique latine libre de transgénique [2], traduit en français par Inf’OGM.

Depuis que l’Équateur a été déclaré exempt d’OGM, plusieurs tentatives ont été faites pour changer cette situation et autoriser les cultures génétiquement modifiées dans le pays. Aujourd’hui, en pleine pandémie, une nouvelle menace se profile à l’horizon, cette fois par l’intermédiaire de l’Institut Interaméricain de Coopération pour l’Agriculture (IICA), qui pourrait faire partie d’un dispositif visant à repousser la frontière transgénique dans la région.

La stratégie du choc

Naomi Klein a théorisé la « stratégie du choc » comme l’exploitation de situations catastrophiques par les gouvernements et les entreprises pour adopter des mesures qu’ils ne pourraient pas prendre dans des conditions normales, afin d’augmenter les bénéfices des entreprises. C’est ce qui s’est passé en Amérique latine en ce qui concerne les OGM pendant le confinement lié à la Covid-19. Bien que cela n’ait duré que quelques mois, plusieurs gouvernements de la région, en complicité avec les entreprises et de manière très efficace, ont utilisé cette situation pour étendre la frontière des OGM par la modification des réglementations, ou en en créant de nouvelles. L’un des arguments utilisés est que la Covid-19 a fortement affecté le système agroalimentaire mondial, malgré l’augmentation des stocks de céréales (FAO, 2020). On estime que le nombre de personnes souffrant de carences alimentaires passera de 135 millions à 265 millions d’ici à la fin de 2020.

Profitant de ces circonstances, l’industrie propose une déréglementation des semences génétiquement modifiées dans les pays où elle a eu du mal à pénétrer. Ils estiment que dans des conditions d’enfermement, il sera plus difficile de prévoir une opposition coordonnée, et qu’il pourrait y avoir une plus grande ouverture de la société pour les accepter, en raison de la sensibilité qu’une crise alimentaire engendrerait, outre le fait que l’attention des gens est principalement concentrée sur la pandémie.

En Bolivie, raccourcir l’évaluation des OGM

Dans ce scénario, le gouvernement bolivien a autorisé le Comité national de biosécurité à établir des procédures abrégées pour l’évaluation du matériel transgénique du maïs, de la canne à sucre, du coton, du blé et de nouveaux types de soja transgénique, destinés à la consommation interne et à la commercialisation externe. Cela a été justifié dans le contexte de l’urgence sanitaire de la Covid-19, étant donné la nécessité d’obtenir des denrées alimentaires en moins de temps et avec des rendements plus élevés (…).

Au Chili, les cultures transgéniques ont été autorisées uniquement pour les essais en champs et la production de semences destinées à l’exportation [3]. Le Service de l’agriculture et de l’élevage (SAG) propose une nouvelle réglementation qui ouvrirait la porte à de nouvelles utilisations des semences transgéniques, telles que la production de produits issus des biotechnologies pour le marché intérieur [4]. Le Chili passerait du statut de producteur de semences transgéniques pour l’exportation hors saison à celui de producteur de cultures transgéniques, avec toutes les conséquences que cela implique pour la santé, l’environnement et la nature du pays.

Au Pérou, absence de consultation des peuples indigènes

En 2011, un moratoire a été approuvé au Pérou qui interdit pour 10 ans la dissémination de semences végétales et d’animaux génétiquement modifiés [5]. Pendant le temps de ce moratoire, la loi prévoyait d’élaborer des lignes directrices, de faire accréditer des laboratoires pour effectuer des contrôles sur les OGM et de créer un système de biosécurité sur les OGM. Cette loi devait être en vigueur jusqu’en décembre 2021.

L’Institut national d’innovation agraire, l’Inia, devait élaborer un règlement interne pour surveiller et interdire les activités avec des OGM dans l’agriculture péruvienne, mais inexplicablement, après un retard de 18 ans, le projet Risba [6] entend faciliter la dissémination des OGM. Cela a été fait en profitant de la situation d’urgence actuelle due à la pandémie de Covid-19 et avec une hâte douteuse. Ce règlement violerait les lois protégeant les droits des peuples indigènes, le patrimoine culturel immatériel et les connaissances collectives des peuples indigènes liées aux ressources biologiques. En effet, dans ces lois, la consultation et la participation préalables des peuples indigènes sont requises.

Il y a quelques semaines, Cuba a approuvé un ensemble de règlements permettant l’entrée des OGM dans l’agriculture cubaine. L’objectif est de permettre « l’utilisation ordonnée et contrôlée des OGM dans les programmes de développement agricole, comme une alternative supplémentaire pour augmenter la productivité et la fourniture de nourriture à la population ».

Cuba importe plus de 80% des aliments consommés par ses habitants, ce qui a créé un scénario complexe avec la crise sanitaire liée à la Covid-19. Ces nouvelles normes mentionnent spécifiquement la canne à sucre, un produit destiné principalement au marché étranger et non à l’alimentation de la population cubaine.

Même l’Équateur s’y met, malgré sa constitution anti-OGM

En Équateur, l’Institut Interaméricain de Coopération pour l’Agriculture, en coordination avec le ministère de l’Environnement et le Programme des Nations unies pour l’environnement, a organisé une réunion sur la question de la canne à sucre. L’un des objectifs de la consultation est de « compiler et analyser les informations sur les expériences nationales et internationales, principalement dans les pays de la région, en matière de réglementation de la biosécurité pour les produits dérivés de la biotechnologie moderne et en particulier les OGM, notamment dans les pays qui réglementent cette question, afin d’identifier les aspects clés pour le développement et la mise en œuvre de cadres réglementaires de biosécurité pour les OGM ».

Cette consultation vise à harmoniser la législation équatorienne avec celle d’autres pays qui ont déjà une réglementation sur les OGM, et où il existe déjà de grandes extensions de ce type de cultures ; et avec des impacts très négatifs sur la santé et l’environnement, comme le démontrent les nombreuses études réalisées par des scientifiques indépendants dans la région. C’est inacceptable, car l’Équateur est le seul pays de la région à avoir une interdiction constitutionnelle des OGM.

Au Guatemala, la société est mobilisée contre le Règlement technique pour la biosécurité des organismes vivants modifiés à usage agricole qui est entré en vigueur le 1er octobre 2019. Ce règlement a pour objet la production et la commercialisation de semences génétiquement modifiées (GM) dans le pays, ce qui nous préoccupe particulièrement. Plusieurs organisations ont déposé une requête devant la Cour constitutionnelle contre ce règlement, considérant qu’il s’agit d’une attaque contre les peuples autochtones. Ils attendent actuellement la décision de la Cour.

Augmenter le profit, mais pas les quantités d’aliments disponibles

Malgré les arguments utilisés par l’industrie, les OGM ne résoudront pas le problème alimentaire généré par la Covid-19, car il n’existe pas d’OGM massivement plantés et destinés à nourrir directement la population [7]. En outre, le développement d’un nouvel événement transgénique peut nécessiter de nombreuses années de travail et de recherche, et dépend à chaque phase de techniques et de procédures brevetées.

Il s’agit plutôt d’une application de la stratégie du choc par les entreprises, en pleine crise que nous vivons, pour augmenter leurs profits. Mais pour les pays, cela signifiera une augmentation de l’utilisation d’herbicides dangereux, comme le glyphosate (un carcinogène humain possible selon le Centre international de recherche sur le cancer) et d’autres comme le 2,4-D, le glufosinate d’ammonium et le dicamba ; ainsi que la perte de la souveraineté alimentaire, une plus grande dépendance technologique et une détérioration supplémentaire de l’environnement.

[1Titre, chapô, intertitres et certaines notes sont de la rédaction.

[2La Red Por una América Latina Libre de Transgénicos, http://rallt.org/

[4Pour le moment, et suite aux protestations de la société civile, la « résolution » n’a pas encore été adoptée (“Resolución exenta que establece normas para la importación, siembra confinada, permanencia y acondicionamiento de material de propagación genéticamente modificado y deroga resolución N°1523 de 2001”.)

[6Règlement Interne Sectoriel sur la sécurité de la Biotechnologie pour le développement d’activités avec des OVM pour le secteur agraire.

[7voir notamment le mini-guide d’Inf’OGM – à paraître le 25 octobre : Des OGM au secours des pays du Sud : vraiment ?, Inf’OGM, 2020, 12p.

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