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Colza de Cibus : un nouvel OGM, totalement détectable

Par Eric MEUNIER

Publié le 08/09/2020

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Des chercheurs viennent de mettre au point une méthode permettant de tracer un nouvel OGM, un colza génétiquement modifié par Cibus, contredisant ainsi les affirmations des entreprises de biotechnologie. Celles-ci affirmaient en effet que les nouveaux OGM ne sont pas traçables et que donc leur commercialisation devait échapper à la législation OGM.

Depuis plusieurs années, les OGM obtenus par de nouvelles techniques de mutagénèse sont au cœur d’un débat : sont-ils détectables et traçables dans les filières commerciales ? Les promoteurs de ce type d’OGM essayent de convaincre le monde politique et le public qu’ils ne le sont pas.

Par ailleurs, la Commission européenne s’était opposée en 2017 à ce que ses experts lancent les travaux qui auraient permis de mettre au point et normaliser les méthodes nécessaires pour détecter les trois catégories de nouveaux OGM : ceux qui sont autorisés, ceux connus mais non autorisés, et les OGM inconnus. Ce travail a finalement été initié en février 2019. Mais une étape importante vient d’être franchie le lundi 7 septembre. Un consortium de chercheurs a publié dans la revue scientifique Foods [1] une méthode de détection quantitative et de traçabilité de deux variétés de colza OGM de l’entreprise Cibus.

Une méthode de détection « basique »

Le colza de Cibus a été modifié pour résister à des herbicides à base de sulfonylurée et d’imidazolinone en utilisant notamment la technique de mutagénèse dirigée par oligonucléotides. La méthode de détection et traçabilité mise au point consiste à détecter une seule et unique mutation préalablement connue dans le génome de ce colza, celle qui lui confère justement sa propriété de résistance à des herbicides. Pour cela, ils ont eu recours aux méthodes de séquençage utilisées en routine dans les laboratoires. Après avoir développé leur procédé pour le colza de Cibus, les chercheurs ont vérifié qu’il lui est bien spécifique et univoque. Ils l’ont donc utilisé sur une vingtaine de variétés de colza non modifié génétiquement ainsi que d’autres variétés de colza modifié par mutagénèse aléatoire chimique cette fois. Les résultats obtenus montrent que leur méthode détecte le colza de Cibus comme prévu. Cette spécificité a été confirmée par le laboratoire autrichien sur les OGM, membre du réseau européen de laboratoire (ENGL) (réseau européen des laboratoires de détection d’OGM). Les chercheurs précisent que ce procédé spécifique au colza OGM de Cibus répond aux critères de performance fixés par l’Union européenne pour tout ce qui concerne les méthodes de détection des OGM. « Ce résultat est donc directement exploitable sans coût ni formation supplémentaires par les laboratoires privés et publics, dès lors que les matériaux de référence (semences broyées) auront été fournis par la société Cibus à la Commission européenne », précise Yves Bertheau du Museum National d’Histoire Naturelle à Paris, qui a étroitement collaboré avec le consortium aux différentes phases du projet.

Une première étape à compléter

Avec cette première méthode, l’Union européenne dispose donc d’un outil qui lui permet de surveiller les importations de colza en provenance du Canada et des USA où le colza de Cibus est autorisé à la culture mais n’est pas autorisé pour l’importation en Europe. L’Union européenne pourra faire confirmer cette méthode par un test inter-laboratoires mené par les laboratoires de l’ENGL si une autorisation commerciale était demandée. Elle peut surtout l’appliquer sans attendre sous son seul aspect qualitatif, pour éviter des importations de colza contaminées.

Dans le grand débat qui agite les sphères européennes sur les nouveaux OGM depuis quelques années, la mise au point de cette méthode est donc une première pierre à un édifice plus large. Cette première preuve d’un concept de traçabilité des nouveaux OGM développé récemment [2] est souligné par Greenpeace Europe, un des cofinanceurs de l’étude, qui estime que ce travail « réfute les affirmations des industries de biotech et de certains législateurs qu’on ne peut distinguer les nouvelles cultures génétiquement modifiées par édition du génome de cultures non OGM similaires et qu’elles ne peuvent donc pas être réglementées » [3]. Cette méthode va donc maintenant permettre aux « États membres de l’Union européenne [de] contrôler que cet OGM non autorisé ne pénètre pas la chaîne alimentaire européenne illégalement » précise l’association ; ainsi qu’aux « entreprises alimentaires, distributeurs, organes de certification et services de contrôles nationaux de vérifier que leurs produits n’en contiennent pas ».

Pour ce qui concerne les autres cas d’OGM à contrôler, comme les OGM obtenus par d’autres nouvelles techniques de modification ou encore les OGM inconnus importés illégalement, les auteurs expliquent être optimistes. Ils espèrent en effet que la technique d’analyse du génome qu’ils ont choisie, complétée par d’autres techniques « se révèle capable de permettre une détection quantitative qui réponde aux requis réglementaires pour tout type d’organismes génétiquement édités ». Ils précisent surtout, par la voix de l’un d’entre eux, John Fagan de l’Institut de recherche sur la santé (Iowa, États-Unis), que leur travail s’est penché sur « ce qui est probablement le cas le plus difficile des nouvelles modifications, celui du changement d’une seule lettre » dans un génome [4]. Finalement, les auteurs de l’article considèrent que les nouvelles techniques de séquençage permettent d’envisager de détecter de nombreux nouveaux OGM.

Quelles retombées potentielles en France et dans l’UE ?

Pour les auteurs de l’article, « la présence de [nouveaux OGM] dans la chaîne alimentaire commerciale ne crée pas un nouveau cadre qui demanderait de changer le cadre réglementaire sur les OGM ». Alors que le sujet a déjà été lancé, quel impact la mise au point de cette méthode aura-t-elle dans les instances politiques nationales et européennes à qui l’industrie affirmait jusqu’à aujourd’hui qu’une telle détection n’était pas possible ? Si la méthode de détection publiée pour le colza de Cibus correspond à un cas précis d’OGM non autorisé mais connu, il reste en effet le cas des OGM totalement inconnus. Or, pour ces derniers, Inf’OGM a déjà rapporté que beaucoup considèrent leur détection et leur traçabilité possibles, à la condition que l’Union européenne décide de s’en donner les moyens. Si les protocoles réglementaires agréés ne sont pas encore disponibles, les auteurs soulignent que « la recherche fournira […] des méthodes de détection pour au moins une partie sinon tous les produits génétiquement édités » à venir.

En France, des acteurs de la société civile sont en première ligne sur le sujet de la traçabilité des nouveaux OGM. Pour Guy Kastler, membre de la commission OGM de la Confédération Paysanne, ce travail est une « excellente initiative d’organisations de la société civile contredisant les mensonges de l’industrie du génie génétique qui prétend qu’on ne peut pas distinguer ses nouveaux OGM et qu’ils devraient donc être exemptés de tout étiquetage ». Guy Kastler estime qu’« elle met en lumière les carences de la Commission européenne qui a refusé d’assumer ses fonctions suite à l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne de juillet 2018 l’enjoignant de réguler ces nouveaux OGM de la même manière que les OGM transgéniques ». En France, le gouvernement n’a pas encore mis en œuvre une décision du Conseil d’État lui enjoignant de préciser avant le 7 août dernier les nouvelles techniques de mutagénèse dirigée et de mutagénèse aléatoire appliquées sur des cultures cellulaires in vitro qui ne sont pas exemptées de la réglementation OGM [5] : Guy Kastler espère donc que ce travail « aidera le gouvernement français à se conformer la décision du Conseil d’État. Ce décret n’est en effet toujours pas publié alors même que les colzas Clearfield de BASF tolérant les herbicides, qui sont issus de telles techniques, sont actuellement cultivés en France sans autorisation ni étiquetage OGM ».

La méthode publiée montre d’ailleurs que la détection de ces derniers ne pose aucun problème, si tant est que quelqu’un ait envie de la développer…

[1« A Real-Time Quantitative PCR Method Specific for Detection and Quantification of the First Commercialized Genome-Edited Plant », Chhalliyil P. et al., Foods 2020, 9, 1245

[2« New Breeding Techniques : Detection and Identification of the Techniques and Derived Products », Bertheau, Y., Encyclopedia of Food Chemistry, Reference Module in Food Science, R.H. Stadler, ed. (Elsevier), pp. 320-336

[3https://www.greenpeace.org/eu-unit/issues/nature-food/4102/first-open-source-detection-test-for-a-gene-edited-gm-crop-2/ Inf’OGM reprend dans cet article les termes « génétiquement édités » dans les citations car appartenant à leurs auteurs mais rappelle que ce terme n’est pas défini légalement. Les législations nationales et européennes parlent de « génétiquement modifiés ».

[4cf. note 3.

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