Commercialiser des matériels fruitiers dans les clous de la législation n’est pas simple. En effet, la réglementation relative à la circulation de semences, plants ou autre « matériel végétal » est évolutive et complexe. Elle varie en fonction de ce qui est concerné : type de végétal (pour maraîchage, arboriculture, grandes cultures…), partie du végétal (semence, plants, bouture…), type de transaction (vente, échange...), type de destination (exploitation commerciale ou non), inscription ou non de la variété au(x) catalogue(s) des semences et plants, protection intellectuelle de la variété (brevet, COV, domaine public…).
Mais rassurez-vous, il ne s’agit pas ici de brosser un tableau de l’ensemble de la législation sur les semences [1], seulement de répondre à la question de Cyril, notre pépiniériste breton : « puis-je vendre n’importe quelle variété fruitière du domaine public à des particuliers ? ».
Qui vend quoi à qui ?
Dans l’Union européenne, la « commercialisation des matériels de multiplication de plantes fruitières et des plantes fruitières destinées à la production de fruits » est régie par la directive 2008/90/CE [2]. Cette directive introduit un dispositif de simple enregistrement des fournisseurs (contrairement à l’agrément qui était nécessaire auparavant) ; et permet également d’admettre certaines variétés ne répondant pas aux conditions d’inscription au catalogue officiel. Elle a été déclinée en France par le décret n° 2010-1329 du 8 novembre 2010 [3]. Carole Dirwimmer, secrétaire technique de la section CTPS Espèces fruitières nous précise que « la vente en vue d’une exploitation commerciale de la variété n’est pas conditionnée à l’inscription au Catalogue, mais à l’existence d’une description officielle de la variété » (voir encadré).
Listes d’enregistrement des variétés et exemptions
Une variété destinée à être commercialisée au sein de l’UE (hors et sur le territoire français) et/ou dont les plants sont de qualité certifiée doit disposer d’une description officielle. Cette description peut être issue soit d’une protection via un COV, soit d’une inscription à un catalogue national de n’importe quel État membre de l’UE.
En France, il y a deux possibilités pour être inscrit au Catalogue Officiel et donc obtenir une description officielle : passer un examen de DHS [4] (et alors être inscrit sur la liste 1), ou bien, pour les variétés qui ont été commercialisées avant le 30 septembre 2012, déposer un dossier de reconnaissance d’une description pour obtenir une DOR (Description Officiellement Reconnue), et être alors inscrit sur la liste 2.
Une variété destinée à être commercialisée uniquement sur le territoire français et uniquement sous forme CAC [5] peut être enregistrée dans les conditions précédentes, ou bien sur le « Répertoire ». Ce dernier permet un enregistrement simplifié, déclaratif et ne permet pas la délivrance d’une description officielle. À ce jour, aucune demande ne nous est parvenue pour y enregistrer une variété.
Chaque État membre communique à la Commission européenne le contenu de ces listes, qui est repris sur la base Frumatis [6] (dont une nouvelle version a été mise en ligne en 2020).
Il existe des exemptions à ces enregistrements de variétés :
celles liées à l’arrêté du 18 août 2017 [7] :
. il n’est pas nécessaire d’enregistrer les variétés pour le matériel qui circule dans un cadre de recherche, d’essais ou de sélection, peu importe la quantité et le destinataire ;
. et il n’est pas nécessaire d’enregistrer la variété pour le matériel qui circule sur le territoire français en petites quantités (moins de 2000 plants par an et par acteur), peu importe le destinataire.
Une variété nouvelle pourrait donc être mise sur le marché en petites quantités, même si les plants sont vendus à des professionnels.
depuis le 10 juin 2020 [8], il n’est pas nécessaire d’enregistrer les variétés du domaine public (c’est-à-dire sans COV en cours) dont le matériel produit est commercialisé directement à des particuliers. Une variété nouvelle peut donc être commercialisée directement (= sans intermédiaire) à des particuliers, sans avoir besoin d’être enregistrée.
La directive 2008/90/CE [9] définit ainsi la commercialisation (art. 2, paragraphe 10) : « "commercialisation" : la vente, la détention en vue de la vente, l’offre de vente et toute cession, toute fourniture ou tout transfert de matériels de multiplication ou de plantes fruitières à des tiers, que ce soit avec rémunération ou non, en vue d’une exploitation commerciale ». Et par « matériels de multiplication », la directive 2008/90/CE entend « les semences, les parties de plantes et tout matériel de plantes, y compris les porte-greffes, destinés à la multiplication et à la production de plantes fruitières » [10].
Des spécificités pour la vente à des amateurs… et aux professionnels
Pour les variétés fruitières, la législation est à la fois exigeante et évolutive : rien que pour 2020, le Réseau semences paysannes (RSP) a recensé sur son site quatre nouveaux arrêtés français (mise à jour des arrêtés pré-existants avec les nouvelles exigences sanitaires liées au règlement Santé des végétaux) et une nouvelle version de la liste Frumatis créée en 2017 [11]. Outre les contraintes sanitaires, communes avec les variétés pour amateurs, la législation concerne de nombreux autres points, que l’on retrouve souvent pour les semences non fruitières : enregistrement du pépiniériste, de la variété avec des critères précis selon la nature du matériel concerné (matériel de base, matériel certifié [12]…), étiquetage, lieu de vente, etc.
La Fnab et le RSP résument sur leur site l’ensemble de cette législation [13] : « le cadre de la commercialisation des matériels de reproduction et des plants fruitiers est réglementé au niveau européen par quatre directives : la directive 2008-90 et 3 directives d’application de 2014 [14], qui édictent les conditions de production, de qualification et/ou de certification, d’étiquetage et d’enregistrement des fournisseurs pour les matériels de reproduction et les plants fruitiers » [15].
La directive 2008/90/CE prévoit des dérogations pour la vente aux amateurs ou pour d’autres utilisations non commerciales : la recherche, des travaux de sélection ou la préservation de la diversité génétique [16]. Les États membres (article 5, paragraphe 2) peuvent par exemple décider de ne pas obliger les fournisseurs qui ne commercialisent qu’auprès de « consommateurs finaux non professionnels » à s’enregistrer. Dans ce cas, l’obligation d’étiquetage peut être réduite « à une information appropriée sur le produit » (article 9, paragraphe 2) et les contrôles des matériels de multiplication ne sont plus obligatoires en cas de vente à « des personnes sur le marché local qui ne sont pas engagées professionnellement dans la production de végétaux » (article 10, paragraphe 1. b).)
La transcription de cette directive 2008/90 s’est faite en France en concertation avec la filière. Il a été décidé d’introduire des dérogations à l’enregistrement des variétés, qui sont données dans l’arrêté du 18 août 2017 [17], si celles-ci sont produites : 1) en vue d’essais ou à des fins scientifiques ; 2) en vue de travaux de sélection ; 3) ou afin de contribuer à la préservation de la diversité génétique. Aucun enregistrement n’est alors nécessaire si la variété est produite et commercialisée sur le territoire français à moins de 2000 plants/an/acteur [18], à des professionnels ou des particuliers.
Quant à la dérogation liée à la loi du 10 juin 2020, elle permet la commercialisation, sans limitation de quantités, à des particuliers (sans intermédiaire), pour des variétés du domaine public.
Par conséquent Cyril peut à tout moment vendre du matériel de multiplication, des semences et plants de variétés du domaine public. Par contre, il doit nécessairement déclarer son activité à la Direction générale de l’alimentation (DGAl) et respecter les règles sanitaires concernant la production et la commercialisation, régies par le règlement « Santé des végétaux 2016/2031 » entré en application le 14 décembre 2019.
Suite à la parution de cet article, une nouvelle question nous a été posée : peut-on légalement commercialiser les fruits de ces fruitiers du domaine public ? Là encore, la réponse vient de Carole Dirwimmer :"il n’y a pas de contrainte concernant la commercialisation de fruits, du moment qu’il s’agit d’une variété du domaine public. Si la variété est couverte par un droit de propriété (Certificat d’Obtention Végétale), la commercialisation des fruits se fait uniquement suite à accord avec le détenteur des droits".