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Comment radier une variété « nouvel OGM » du catalogue ?

Par Frédéric PRAT

Publié le 31/07/2020

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La nature légale OGM d’une variété doit absolument être signalée lors de son inscription au Catalogue officiel des espèces et variétés végétales d’un État membre de l’Union européenne. Dans le passé, certaines variétés mutées, dont la nature OGM a longtemps été niée, se sont retrouvées inscrites à des catalogues nationaux sans que la caractéristique OGM n’ait été signalée. En France, la clarification du Conseil d’État du 7 février 2020 oblige le gouvernement à « faire le ménage  » dans son catalogue. Voyons comment.

Dans l’Union européenne (UE), pour pouvoir commercialiser des semences d’une variété végétale, celle-ci doit être admise dans un catalogue officiel européen des variétés [1]. Ce catalogue dit « commun » est la somme des différents catalogues nationaux. Depuis 1990 (directive 90/220), un semencier qui demande l’inscription d’une variété OGM dans le catalogue officiel doit avoir au préalable obtenu une autorisation de dissémination et signaler la nature OGM. Pour les PGM (plantes génétiquement modifiées) transgéniques, c’est-à-dire celles issues de l’insertion d’un (ou plusieurs) transgènes dans le génome d’une plante, cette nature OGM a été a priori régulièrement spécifiée aux autorités. C’est ainsi que se sont retrouvées inscrites au catalogue officiel français les premières variétés de maïs transgéniques autorisées en France… ou que sont inscrites au catalogue espagnol (donc aussi européen) les nombreuses variétés de maïs cultivées là-bas [2].

L’inscription de nouvelles variétés au catalogue français a déjà été abordée par Inf’OGM [3], ainsi qu’en particulier l’inscription des nouveaux OGM [4]. Mais qu’en est-il de la radiation de ces variétés d’un catalogue national ? En effet, la question se pose en France depuis que le Conseil d’État a enjoint le gouvernement, le 7 février 2020, d’apprécier s’il y a lieu de purger le catalogue français de variétés GM qui auraient pu y être inscrites sans avoir obtenu d’autorisation.

L’identification de ces variétés OGM a fait l’objet de deux arrêtés encore en période de statu quo au niveau européen : l’un liste 96 variétés de colza Clearfield (CL) enregistrées au catalogue européen par d’autres pays que la France « issues de mutagénèse aléatoire in vitro soumettant des cellules de plantes à des agents mutagènes chimiques ou physiques » ; et l’autre annule l’inscription de sept variétés de colza CL du catalogue français, variétés dont les semences destinées à la mise en marché en-dehors de l’Union européenne peuvent être multipliées sur le territoire français [5].

La France pourrait-elle radier elle-même ces variétés du catalogue européen ?

Pour comprendre pourquoi la France n’envisage pas de demander l’annulation des 96 variétés du catalogue européen, Inf’OGM s’est adressée à la fois à la Commission européenne et au ministère français de l’agriculture. Réponse de la Commission européenne : « Les États membres sont responsables de l’acceptation des variétés. Seul l’État membre ayant accepté la variété et l’ayant inscrite dans son catalogue national des variétés peut révoquer cette acceptation. Les variétés sont inscrites ou supprimées des catalogues de l’UE sur notification des États membres » [6].

Nous avons interrogé le ministère français de l’agriculture entre autres sur l’article 14 de la directive 2002/53/CE qui donne les cas « d’annulation d’admission » d’une variété au catalogue (voir encadré 1 ci-dessous).

Annuler l’admission d’une variété

L’article 14 de la directive 2002/53/CE concernant le catalogue commun des variétés stipule que « Les États membres peuvent annuler l’admission d’une variété :

a) si les dispositions législatives, réglementaires ou administratives arrêtées en application de la présente directive ne sont pas respectées ;

b) si, lors de la demande d’admission ou de la procédure d’examen des indications fausses ou frauduleuses ont été fournies au sujet des données dont dépend l’admission
 ».

Répondant à Inf’OGM dans des délais rallongés suite au changement de gouvernement, le ministère de l’Agriculture [7] nous a, à son tour, détaillé sa démarche pour la radiation des variétés du catalogue français et l’annulation de leur admission au catalogue européen.

N’importe quel pays peut-il « annuler l’admission » de n’importe quelle variété dans les cas a) et b) de l’article 14 de la directive 2002/53/CE, même si ce pays n’a pas procédé lui-même à l’inscription de la variété dans son catalogue national ?

« Le catalogue européen est la compilation des catalogues nationaux. L’inscription des variétés étant réalisée au niveau national, l’annulation de l’inscription ne peut être réalisée qu’au niveau national. Il n’y a donc pas de radiation possible au niveau européen. Un État membre peut annuler l’inscription des variétés qu’il a inscrites dans son catalogue national, dans les conditions prévues par les directives européennes, mais ne peut pas annuler l’inscription d’une variété dans le catalogue d’un autre État membre ».

Hormis via un arrêté, comme prévu par le gouvernement français [8], y a-t-il d’autres moyens de radier une variété du catalogue français ?

« Les possibilités de radiation des variétés des espèces de plantes agricoles sont encadrées au niveau européen par la directive 2002/53 (articles 14 et 15), et au niveau national par le décret 81-605 (article 7)[voir encadré 2, NDLR]. Le projet d’arrêté de radiation des variétés de colza Clearfield dans le catalogue national répond aux conditions fixées par cette réglementation. Il n’y a pas d’autre moyen de radier une variété du catalogue français ».

Article 7 du décret n°81-605

Article 7 du décret n°81-605 du 18 mai 1981, modifié par Décret n°2007-359 du 19 mars 2007 – art. 23 JORF 20 mars 2007

En France, « l’inscription de chaque variété est prononcée sur proposition du comité technique permanent de la sélection des plantes cultivées par le ministre de l’agriculture.

Elle est valable pour une période maximale de dix ans renouvelable, dans les conditions prévues à l’alinéa précédent, par périodes d’une durée maximale de cinq ans. Pour les variétés de semences et plants génétiquement modifiés, la première autorisation de mise sur le marché prend fin au plus tard dix ans après la première inscription à un catalogue national officiel de la première variété génétiquement modifiée.

La radiation d’une variété peut être prononcée à tout moment dans les conditions prévues au premier alinéa du présent article :

Si l’obtenteur ou son ayant droit la demande ;

Si la variété cesse d’être distincte, stable et suffisamment homogène ;

Si les dispositions relatives à l’inscription au catalogue de la variété ne sont plus respectées
 ».

Lors de l’interdiction des cultures de maïs OGM en France, quelle a été la procédure pour radier les variétés transgéniques du catalogue français ?

« Il n’y a pas eu de radiation des variétés de maïs OGM au moment de l’interdiction de mise en culture des OGM en France en 2008. En effet, d’une part, les inscriptions de variétés de maïs OGM qui dataient de 1998 sont arrivées à échéance en 2008 ; d’autre part, l’OGM disposait d’une autorisation de mise en culture au niveau européen. Ainsi, le ministère de l’agriculture a dû inscrire des variétés de maïs OGM au catalogue en 2010 suite à une annulation par le Conseil d’État du rejet implicite des inscriptions de ces variétés au catalogue. La culture de ces variétés de maïs OGM était cependant interdite en France, ces variétés pouvaient être cultivées dans les pays où la culture d’OGM était autorisée ».

Des variétés OGM réglementées telles que décrites par le Conseil d’État ont été inscrites dans le catalogue sans que leur caractère OGM soit spécifié. Il semble qu’on puisse les identifier grâce à des documents écrits : en avez-vous la liste et lesquels sont-ils disponibles publiquement ? Lesquels ont été consultés pour que le gouvernement rédige l’arrêté fixant la liste des variétés mentionnée à l’article 2 du décret xx [9] ?

« Les variétés listées dans le projet d’arrêté fixant la liste des variétés mentionnée à l’article 2 du projet de décret sont des variétés de colza Clearfield. La technique d’obtention du colza Clearfield a été identifiée par la bibliographie et les brevets.

Les variétés de colza de type Clearfield ont été identifiées à partir de plusieurs sources, notamment le catalogue commun (par recherche de variétés comprenant « CL » dans le nom), le rapport de l’Anses sur les variétés tolérantes aux herbicides
 [10] et des sites internet d’entreprises semencières ».

Au-delà de la simple recherche bibliographique, avez-vous d’autres moyens (tests en labos ?) pour identifier ces variétés ?

« Il n’y a pas à ce jour de méthode d’analyse validée pour la détection du colza Clearfield  ».

Enfin, la France discute-t-elle avec les autres pays européens pour savoir comment ils ont géré la désinscription de ces variétés dans leurs propres catalogues nationaux ?

« Les États membres ont été informés de la décision du Conseil d’État et des projets de décret et d’arrêtés notifiés par la France. Les autres États membres ne sont pas tenus par l’avis du Conseil d’État et ne vont donc probablement pas retirer les variétés de colza Clearfield de leurs catalogues nationaux. Ces variétés resteront donc au catalogue commun européen ».

Ce que la Commission et le gouvernement français oublient de préciser, c’est que le pays qui a inscrit sur son catalogue national, et donc sur le catalogue européen, une variété GM n’ayant pas obtenu d’autorisation au titre de la réglementation OGM est obligé de – et non pas « peut » – la radier tant qu’elle n’a pas obtenu cette autorisation. La question posée est donc de savoir si l’UE considère ou non les variétés de colza CL comme des OGM.

En effet, si ces variétés sont considérées comme des OGM réglementés et, en l’absence d’autorisation, interdites de commercialisation en France, mais maintenues au catalogue européen comme des variétés non GM, n’y a-t-il pas un risque « d’entrave au bon fonctionnement du marché unique européen » ? Comment la France pourra-t-elle en effet refuser la commercialisation sur son territoire d’huiles ou d’aliments issus de colza CL en l’absence de traçabilité et de méthodes d’analyse officiellement validées ? Et un tel refus ne sera-t-il pas considéré comme une entrave au fonctionnement du marché unique par les pays considérant que le colza CL n’est pas un OGM réglementé ? La France devra-t-elle solliciter une clause de sauvegarde ?

La Commission va-t-elle harmoniser l’application de l’arrêt de la CJUE ?

La Commission européenne a refusé d’harmoniser a priori les conditions d’application de l’arrêt de la CJUE du 25 juillet 2018 en disant que c’est à chaque État de l’appliquer. Lié par la décision du Conseil d’État, le gouvernement français était lui dans l’obligation de prendre une décision. Il a donc annoncé son intention d’interdire sur son territoire la culture et la commercialisation des variétés de colza CL. La décision du Conseil d’État ayant été prise en application de cet arrêt de la Cour de justice de l’UE, il devrait revenir à la Commission de proposer les initiatives indispensables à cette harmonisation européenne. Notamment, définir une liste exhaustive et précise des techniques donnant des OGM exemptés du champ d’application de la directive européenne 2001/18 en application de l’arrêt de la CJUE, d’une part ; ainsi que les méthodes d’analyse officiellement validées permettant d’identifier les OGM réglementés non transgéniques, d’autre part [11].

On le voit, la saga OGM dans l’UE rebondit de plus belle, et l’on saura, à la fin de la procédure européenne d’examen [12], si le projet de décret français destiné à établir la liste des techniques de mutagénèse donnant des OGM non réglementés [13], après avoir été approuvé par le HCB [14], l’est aussi par la Commission européenne… Inf’OGM suit de près les avis reçus sur ce projet de décret et vous tiendra rapidement informés.

[1Sauf si remise directe par le producteur à un utilisateur final n’en faisant pas une exploitation commerciale, comme par exemple les jardiniers amateurs, voir Frédéric PRAT, « Ventes de semences : les réactions à l’opposition de la Commission », Inf’OGM, 25 juillet 2020

[2Comme la variété de maïs OGM du semencier français Limagrain LG31710 YG.

[7Via son service de presse.

[11À ce jour, ces méthodes n’ont été définies que pour les OGM transgéniques.

[12reportée a minima au 7 novembre suite à l’avis circonstancié de la Tchéquie…

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