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Paludisme : des champignons OGM pour tuer les moustiques ?

Par Christophe NOISETTE

Publié le 28/07/2020

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Une expérimentation de trois ans impliquant un champignon génétiquement modifié destiné à tuer des moustiques a été réalisée par des chercheurs étasuniens et burkinabés entre 2015 et 2017, dans le village de Soumousso au Burkina Faso. Cette expérimentation menée en secret a été révélée via la publication d’un article dans la revue Science en mai 2019 [1].

Des chercheurs ont modifié génétiquement un champignon [2], Metarhizium pingshaense, en ajoutant un transgène issu d’une araignée australienne Hadronyche versuta (laquelle produit une neurotoxine appelée ω/κ-hexatoxin-Hv1a2, connue sous le nom de Hybrid [3]). Cette toxine et certaines souches de ce champignon sont naturellement létaux pour de nombreux insectes dont certaines espèces de moustiques, les Anopheles. Ainsi, en Tanzanie, des spores de Metarhizium (non GM) ont été disséminées à l’intérieur des maisons et cette action « a réduit le nombre de piqûres infectieuses, mais la protection complète a été empêchée par la faible virulence de l’agent pathogène (…) et sa faible persistance », écrivent les auteurs de l’article de Science. Le but de la modification génétique est donc d’augmenter la létalité du champignon vis-à-vis des moustiques. L’idée philanthropique est donc encore une fois d’aider à faire reculer le paludisme en éliminant le vecteur principal de cette maladie.

La révélation de cette expérimentation a donné lieu à d’importantes citations dans la presse généraliste internationale, généralement très enthousiaste. Peu d’articles ont questionné l’illégalité et la confidentialité de cette expérience.

L’essai était-il légal ?

Des associations africaines ont de « sérieux doutes » quant à la légalité de l’expérimentation au regard de la loi burkinabé sur la biosécurité (loi n°064-2012). L’article scientifique évoque de façon ésotérique « un essai semi-terrain [4] (…) dans une MosquitoSphere ». Contacté par Inf’OGM, un des chercheurs, Adboulaye Diabaté, nous précise que cette expérience a reçu une autorisation de mise en essai en milieu confiné. L’Agence nationale de biosécurité du Burkina Faso, contactée également, ne nous a cependant pas envoyé le dossier d’autorisation.

Cette MosquitoSphere, d’une surface de 608,5 m², est une sorte de grande cage entourée de moustiquaires. Elle est composée de trois chambres : dans la première, des tissus noirs sont imprégnés du champignon GM, dans la seconde du champignon naturel et la dernière sert de chambre témoin. Dans chaque chambre sont lâchés 1000 moustiques mâles et 500 femelles Anophele colluzzii. Des carcasses de veaux apportent le sang nécessaire à la survie des moustiques. Les auteurs écrivent que « la nature étant trop complexe pour être imitée à l’intérieur, un essai en milieu confiné sur le terrain constitue le meilleur moyen d’évaluer l’efficacité ».

Selon l’ONG African Center for Biosafety (ACB), l’essai aurait dû être autorisé au titre de la dissémination dans l’environnement. Dans ce cas, une consultation et participation du public auraient été obligatoires et des essais préalables en milieu totalement confiné auraient dû être réalisés avant la dissémination (article 17 de la loi burkinabé). Interrogée sur ce point par Inf’OGM, l’Agence nationale de biosécurité du Burkina Faso n’a pas répondu.

Quelles sont les mesures précises de confinement qui ont été prises par les chercheurs ? La MosquitoSphere a-t-elle des portes doubles (sas) ? Les chercheurs ont-ils utilisé des vêtements de protection ? La moustiquaire utilisée répond-t-elle aux normes de confinement applicables aux insectes ? L’article ne les mentionne pas et les chercheurs n’ont pas répondu à nos questions. En revanche, dans certains articles, des photos montrent des chercheurs ou des responsables dans la MosquitoShere en habit « civils ». Concrètement l’absence de vêtement de protection ou d’équipement de laboratoire laisse la porte ouverte à une contamination des vêtements par des spores de champignons, qui peuvent ensuite être transportées hors de la structure et dans les espaces publics. Étant donné que cette espèce de champignon se reproduit en infectant les moustiques, toute fuite de spores fongiques GM ou de moustique infecté signifie qu’une persistance dans la nature est possible.

Les chercheurs évoquent dans leur article quelques avantages de ce champignon GM par rapport aux lâchers des moustiques transgéniques ou issus du forçage génétique : ce dernier ne se limite pas à cibler une seule population de moustiques mais l’ensemble des moustiques, voire d’autres insectes comme nous le verrons plus loin dans cet article. En termes de coexistence, le champignon semble avoir une moindre capacité à se disséminer spontanément : ses grandes spores collantes et sensibles à la lumière ultraviolette ne se propagent pas naturellement dans l’air, et si ces spores sont, par ailleurs, fixées sur des draps, dans les maisons, les possibilités de déplacement sont encore réduites. Enfin, précisent les chercheurs, les Metarhizium spp. se sporulent après la mort de l’hôte sur le cadavre de l’insecte, mais les « charognards » peuvent intervenir avant la sporulation, empêchant ainsi la dispersion des spores.

Un champignon aux cibles multiples…

L’Agence pour la protection de l’environnement étasunienne (EPA), soulignent les chercheurs, a autorisé par le passé une autre souche de Metarhizium : Metarhizium anisopliae, génétiquement modifié (avec un transgène qui n’a rien à voir avec celui introduit dans cette expérience pour un essai dans un champ de choux qui a eu lieu aux États-Unis en 2003). L’article scientifique qui relate cet essai a été rédigé notamment par Raymond J. St. Leger (l’un des co-auteurs de l’article de Sciences). Cet essai visait à contrôler la stabilité du champignon, et son impact sur les autres insectes non cibles et la rhizosphère.

L’essai étasunien ne nous dit donc rien sur les risques de cette souche de Metarhizium, ni sur sa version génétiquement modifiée.

La modification génétique du champignon a-t-elle altéré les propriétés de la toxine ou du champignon ? En l’absence d’étude de toxicologie, difficile à dire. Mais cette modification pourrait altérer la toxicité des champignons GM pour l’homme et d’autres organismes non ciblés, ou avoir des répercussions imprévues sur les moustiques.

Ces mêmes chercheurs, dans un autre article consacré à cette expérience [5], soulignent l’absence de toxicité pour les criquets et les abeilles. Or, cet article ne fournit des données que pour les abeilles mais rien sur les criquets. Par ailleurs, il est probable qu’un flux de gènes s’opère entre Metarhizium pingshaense (dont les auteurs affirment la non toxicité) génétiquement modifié et Metarhizium anisopliae présent naturellement dans le milieu (et dont la toxicité pour les criquets et autres insectes est avérée [6]). L’ensemble de ces éléments montrent qu’il est nécessaire en tout cas de mener de plus amples évaluations avant de pouvoir affirmer une réelle non toxicité pour les insectes non cibles.

Le professeur Diabaté nous confirme que les organismes non cibles qui ont été testés au Burkina Faso sont l’abeille (Apis mellifera adansonii) et le cafard (Periplaneta americana). Il nous précise que « ces insectes non cibles ont été mis en observation jusqu’à leur mort. Puis ils sont mis en observation sur de l’agar. En principe, si l’insecte est infecté par le champignon, au bout de quelques jours, on voit le champignon croître sur son corps, mais cela n’a jamais été observé chez ces insectes non cibles. Il faut savoir que la spécificité de ce champignon à son hôte s’exprime déjà au niveau cuticulaire. Si le champignon n’arrive pas trouver une porte d’entrée au niveau cuticulaire de l’insecte, alors il ne peut pas l’infecter, ce qui est le cas avec ces insectes non cibles ». Plus récemment, il nous apprend que son équipe a réalisé des tests sur la chenille du karité (Cirina. butyrospermi), la chenille légionnaire d’automne (Spodoptera frugiperda) et les criquets pèlerins (Schistocerca gregaria) et conclut que Metarhizium pingshaense n’arrive pas à les infecter. Il précise que ces derniers tests n’ont pas encore été publiés, qu’ils vont élargir la base de tests à d’autres insectes et qu’une publication scientifique sera réalisée quand ils auront récolté assez de données. Autre précision concernant ces insectes non cibles : « le test a été réalisé avec le champignon non modifié. Le principe de l’infection reste le même pour le champignon modifié ou sauvage. En effet, la modification génétique s’exprime quand le champignon a pu pénétrer la cuticule de l’insecte et bourgeonner jusqu’au niveau de l’hémolymphe. Donc si le champignon n’arrive pas à traverser la cuticule de l’insecte alors il ne l’infecte pas et donc la toxine n’est pas produite. La traversée de la cuticule de l’insecte n’est pas une fonction de la modification apportée au champignon ».

Un article énumère quelques rares cas de toxicité d’une espèce de Metarhizium non GM sur la santé humaine [7].

Un venin d’araignée mortel pour les insectes

Les chercheurs précisent que le ministère de l’Environnement des États-Unis (EPA), aux États-Unis, a autorisé la toxine de cette araignée comme biopesticide, en précisant notamment qu’elle est « modérément irritante pour la peau et les yeux ». Mais l’EPA a donné son aval sans exiger un certain nombre d’études de toxicité, déplore ACB. Cette toxine est connue aussi pour tuer d’autres insectes comme par exemple les papillons qui attaquent les champs de coton notamment : Helicoverpa armigera et Spodoptera littoralis. Les chercheurs affirment que si le venin de cette araignée peut être mortel pour les humains, la toxine qu’ils ont isolée du venin n’est mortelle que pour les insectes. Cependant, souligne ACB, « les expérimentations et donc les données font défaut pour pouvoir étayer les affirmations relatives à son innocuité pour les organismes humains ou autres non ciblés ».

Par ailleurs, compte tenu du manque d’informations détaillées sur les séquences génétiques précises insérées dans le champignon GM, on ne sait pas si la séquence produit une toxine effectivement identique à celle produite naturellement par l’araignée.

Quelle efficacité ?

Les chercheurs affirment que cette expérience a prouvé l’efficacité de ce champignon GM. Dans la chambre contenant le champignon transgénique, les populations de moustiques ont chuté en 45 jours pour atteindre seulement 13 moustiques adultes (contre 455 moustiques dans la chambre traitée avec un champignon de type sauvage et 1 396 moustiques dans la chambre sans champignon). Le professeur Diabaté nous précise que le but de l’expérience était de voir si le champignon modifié pouvait altérer la capacité de reproduction des moustiques. Les moustiques traités avec le champignon modifié n’étaient plus en mesure de maintenir un régime de reproduction constant pour maintenir le niveau de leurs populations.

Les chercheurs affirment cependant qu’une résistance aux champignons GM pourrait survenir, et pour éviter cela, il pourrait s’avérer nécessaire de créer un champignon avec plusieurs transgènes pour augmenter la virulence, ou de modifier plusieurs espèces de champignon, chacune associée à une toxine différente.

Mais la question en suspens est « combien de fois faudra-t-il disséminer de tels champignons dans la nature ? En quelle quantité ?  ». L’expérience relatée dans cet article a été faite avec finalement très peu de moustiques et comme pour toute expérience le passage à la réalité est souvent décevant.

Le tout biotech au détriment de solutions plus appropriables

Ce projet sur le champignon génétiquement modifié est une énième approche réductionniste dans la lutte antipaludique qui se préoccupe uniquement du contrôle du vecteur et néglige les aspects sociaux comme l’assainissement, la mise en place d’un système de santé robuste, une politique alimentaire durable…

Il existe aussi des solutions simples à base de substance naturelle, non brevetée, facile à cultiver et à utiliser, notamment l’artemisia [8]. La lutte antivectorielle peut être efficace en lien avec d’autres problématiques. En effet, récemment, de nombreux pays sont parvenus à éradiquer le paludisme (le Paraguay, le Sri Lanka, l’Algérie et l’Argentine) ou à le réduire de manière significative (Myanmar), en grande partie grâce aux améliorations des infrastructures de santé, qui ont augmenté leur capacité de diagnostic, de traitement et de surveillance, en plus d’adopter d’autres approches intégrées.

Dans un monde fini, avec des ressources humaines, financières et techniques limitées, l’option biotechnologique se fait souvent au détriment des autres approches. Christophe Boëte écrivait que « le recours aux moustiques transgéniques semble en effet difficilement associable à d’autres programmes de contrôle des vecteurs. Vraisemblablement, l’introduction de ces moustiques nécessitera l’arrêt de la lutte antivectorielle pour favoriser leur installation : cela est-il sérieusement envisageable dans des pays où existent d’autres maladies transmises par des insectes ? (…) [On] favorise les solutions dites « de pointe » au détriment de celles qui font appel à des techniques simples. (…) Si la génomique est perçue comme cruciale dans la lutte contre le paludisme, un compromis dans les ressources, évidemment limitées, peut exister entre recherche et programmes de contrôle. Plus inquiétant, comme cela a été soulevé par deux chercheurs britanniques, David Rogers et Sarah Randolph, à propos du contrôle de la trypanosomiase (maladie du sommeil) africaine, les programmes impliquant des technologies de pointe sont susceptibles de dépendre d’une expertise et d’une technologie externes nécessitant de forts investissements en amont. Ainsi tout échec n’amène qu’une dette massive et une diminution des financements affectés aux activités traditionnelles de contrôle. (…) Évidemment, on peut rétorquer que les méthodes classiques et celles faisant appel à des technologies de pointe ne tirent pas leurs fonds des mêmes sources et que les premières font face à d’importants problèmes de mise en place : les moustiquaires imprégnées sont utilisées par moins de 2 % de la population africaine à risque alors que la déclaration d’Abuja (Nigeria) stipulait que la couverture devait être de 60 % en 2005. Or si l’utilisation de moyens aussi simples ne fonctionne pas, comment la mise en place de moyens plus technologiques aurait-elle davantage de succès ? » [9].

Qui sont les responsables de cette étude ?


Une partie des chercheurs qui ont co-signé l’article de Science participent aussi au projet de forçage génétique de Target Malaria qui se déroule aussi au Burkina Faso. Il s’agit des chercheurs Étienne Bilgo, Roch Dabire et Abdoulaye Diabaté.

Quant à Raymond St Leger, le chercheur qui dirige le projet, il travaille aussi sur le développement de champignons transgéniques destinés à la lutte contre les parasites agricoles. Dans un article publié avec Brian Lovett, en 2017, dans la revue Pest Management Science, il assume clairement le rôle de cheval de Troie des recherches en biotechnologies dans le cadre de la lutte contre la malaria. Ils concluent : « Les régulateurs sont disposés à s’attaquer aux problèmes auxquels ces technologies en cours de développement sont confrontées, mais cet effort nécessitera une impulsion claire et convaincante, telle que la possibilité de contrôler les maladies à transmission vectorielle ». En 2003, il co-signe un article financé en partie par Dupont. Il a participé à un ouvrage financé par la Fondation Bill & Melinda Gates sur les techniques destinées aux agriculteurs d’Afrique et d’Asie. Cette fondation prône le recours aux OGM [10] dans le cadre d’une vision transhumaniste [11].

[1Lovett, B., « Transgenic Metarhizium rapidly kills mosquitoes in a malaria-endemic region of Burkina Faso », Science 31 May 2019:Vol. 364, Issue 6443, pp. 894-897.

[2Ces champignons Metarhizium vivent dans le sol à proximité des racines des plantes, dans ce que l’on appelle la rhizosphère, où ils interagissent dans une relation symbiotique (mutuellement bénéfique) en favorisant la croissance des plantes. Mais ces champignons tuent aussi des insectes. En effet, pour se reproduire, le champignon infecte les insectes en pénétrant directement dans la cuticule avec ses spores, puis colonise le corps de l’insecte, provoquant sa paralysie, et le tuant au cours de ce processus. Le champignon sort alors du cadavre et produit de nouveaux spores.

[3Synthétisée par ce champignon, la toxine s’appelle Mp-Hybrid

[4L’article dit explicitement « a semifield trial  ».

[7Brunner-Mensoza C, Reyes-Montes M, Moonjely S, Bidochka MJ, Toriello C. (2018). « A review on the genus Metarhizium as an entomopathogenic microbial biocontrol agent with emphasis on its use and utility in Mexico ». Biocontrol Sci & Tech, 29, 83-102.

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