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Nouveaux OGM : le HCB valide le projet de décret

Par Eric MEUNIER

Publié le 23/07/2020

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Publié le 15 juillet 2020, l’avis du Haut Conseil des Biotechnologies (HCB) confirme la validité juridique du projet de décret destiné à établir la liste des techniques de mutagénèse donnant des OGM non réglementés, plus de dix ans après l’adoption initiale de la loi. Mais, côté Comité scientifique, cette confirmation est noyée dans des arguments visant à préparer une éventuelle dé-réglementation de ces nouveaux OGM.

Selon ce projet de décret notifié à la Commission européenne le 6 mai 2020 comme l’a rapporté Inf’OGM [1], les techniques ou méthodes de mutagénèse dites dirigées ou celles de «  mutagénèse aléatoire in vitro consistant à soumettre des cellules végétales cultivées in vitro à des agents mutagènes chimiques ou physiques » font partie des techniques donnant des OGM à soumettre aux obligations établies par la législation européenne. En attendant qu’une consultation publique soit organisée sur ce projet, le gouvernement a reçu le 7 juillet l’avis du Haut Conseil des biotechnologies (HCB) qu’il avait sollicité officieusement début juin.

Un historique d’utilisation commerciale sans risque non démontré

La principale information attendue par le gouvernement est de savoir si la « technique de mutagénèse aléatoire in vitro » telle qu’il l’a définie dans son projet de décret aurait un historique d’utilisation commerciale sans risque. Cette réponse est fournie en creux par le Comité scientifique (CS) du HCB [2]. S’il explique que « la mutagenèse induite in vitro s’est développée, dans les années 1960-1970 », il précise surtout que « la mutagenèse suivie de la sélection in vitro de cellules végétales […] reste très limitée dans son utilisation ». Surtout, le développement dont parle le CS du HCB est l’utilisation en laboratoire de cette technique, pas son utilisation à des fins commerciales. Or, pour ce qui est de cette utilisation commerciale justement, il souligne que sur les 3 300 variétés mutées et déclarées volontairement à la base de la FAO et de l’AIEA [3], moins d’une centaine ont « pour origine des individus issus de mutagénèse in vitro [dont] plus de la moitié d’entre elles ont d’ailleurs été obtenues avant l’année 2001 ». Ce chiffre final d’une cinquantaine de variétés obtenues par mutagénèse in vitro avant 2001 doit de plus être encore diminué car il tient compte aussi des variétés obtenues par des techniques de mutagénèse in vitro mises en œuvre sur des bourgeons, des germes, des plantules et non sur des cellules isolées. Finalement, le constat tiré par le CS du HCB, bien que non énoncé clairement, est que la technique de mutagénèse concernée par le projet de décret n’a pas d’historique d’utilisation commerciale et donc, logiquement, sa sécurité n’est pas avérée !

Cette information était finalement la plus attendue de la part du CS, sinon la seule. Car en juillet 2018, la Commission européenne a rappelé à la Commission et aux États membres de l’UE qu’ils avaient le droit d’exempter des requis de la loi les seuls OGM obtenus par mutagénèse ayant un historique d’utilisation sans risque ! En février 2020, le Conseil d’État avait de son côté précisé que la technique de mutagénèse aléatoire in vitro consistant à soumettre des cellules isolées à des agents mutagènes donne des OGM à réglementer. Une décision qui avait obligé le gouvernement à proposer ledit projet de décret.

Le Comité économique, éthique et social (CEES) du HCB a également validé cette absence historicité d’utilisation commerciale sans risque avant 2001 de variétés obtenues par mutagénèse appliquée sur des cultures cellulaires [4]. Dans sa recommandation, il déclare sobrement mais efficacement que « le projet de décret est compatible avec le droit de l’Union et satisfait dans ses grandes lignes aux injonctions du Conseil d’État ». Si elle soulève certaines ambiguïtés contenues dans le projet de décret, cette recommandation contient également des commentaires non partagés par tous les membres du CEES mais fournis par le HCB pour nourrir le débat. À l’instar de la confusion entretenue par le CS du HCB entre certaines techniques voire entre développement d’une technique et utilisation commerciale de cette dernière, certains membres du CEES [5] considèrent que la « mutagénèse aléatoire in vitro » serait utilisée « en amélioration des plantes à travers le monde depuis de nombreuses décennies ». Certes, les cultures de plantules au laboratoire, dites in vitro, existent depuis une cinquantaine d’années, avec ou sans mutagénèse. Mais elles ne sont pas concernées par le projet de décret qui ne s’applique qu’à la mutagénèse aléatoire in vitro appliquée sur des cellules de plantes multipliées in vitro. Or, cette dernière a été développée pour quelques applications en culture agricole en même temps que la transgenèse qui n’est pas exclue de l’application de la réglementation OGM européenne, notamment, car sans historique d’utilisation sans risque…

Le CS prend position contre la « légitimité » scientifique de ce décret

Si le CS ne conteste pas la légalité du projet de décret présenté, il a, par contre, mis une certaine énergie à suggérer que distinguer les différentes techniques de mutagénèse (sur cellules simplement multipliées in vitro, avec ou sans agent mutagène supplémentaire, sur graines, bourgeons, plantules ou plantes entières, etc.) n’aurait scientifiquement pas de sens. À l’appui de cette thèse, le CS a focalisé son attention sur la seule mutation qui pourrait être revendiquée. Affirmant que les mécanismes biologiques à l’origine des mutations sont les mêmes quelle que soit la technique de mutagénèse utilisée, le CS en tire la conclusion qu’il « n’identifie pas de différences biochimiques entre les mutations, qu’elles soient obtenues par mutagénèse aléatoire in vitro, in vivo, ou spontanément, sur cellules isolées ou entités pluricellulaires. Il n’y a pas non plus de différences entre les phénotypes induits par ces techniques. Seules leur probabilité d’obtention et leur facilité de sélection varient ». Il est, en effet, vrai d’affirmer que rien n’est plus similaire, chimiquement parlant, à une molécule d’adénine (l’une des quatre bases composant l’ADN) qu’une autre molécule d’adénine, surtout si elle se trouve à la même position dans un génome… Mais la mutagénèse n’est pas si docile pour permettre de générer une seule et unique mutation souhaitée. Que ces dernières soient « biochimiquement identiques » à celles qui se produisent naturellement ou par d’autres techniques ne doit pas masquer que la mutagénèse a des effets ailleurs sur le génome et l’épigénome. Des effets qui varient suivant les techniques de mutagénèse utilisées.

Le reste de l’avis du Comité scientifique consiste en un historique des différentes recherches ayant permis de mettre au point les techniques de mutagénèse, dont celle sur cellules multipliées in vitro avec utilisation d’agents mutagènes. Remontant en 1902, le CS revient sur l’historique de l’utilisation d’agents mutagènes, de la mise en culture de cellules, de la régénération de plantes à partir de ces cellules isolées. On notera néanmoins que, pour cette dernière étape fondamentale pour toutes techniques utilisant des cellules isolées, le CS s’abstient de renseigner que la régénération provoque elle aussi de nombreuses mutations. Comme il s’abstient de renseigner que, pour les espèces dites « récalcitrantes », il est encore aujourd’hui impossible de développer des plantes ainsi régénérées, suffisamment stables pour en commercialiser les semences.

La traçabilité des nouveaux OGM est possible

On soulignera avec intérêt que le CS définit la traçabilité de ces OGM comme très compliquée mais donc possible. Pour le détail, il note dans son résumé qu’en « l’absence de différences à l’échelle moléculaire, et dans le cadre actuel des moyens de contrôle reposant sur des techniques de biologie moléculaire, la traçabilité et l’attribution de mutations à une technique donnée d’obtention seraient très compliquées ». Or, cette absence de différences à l’échelle moléculaire est justement l’objet de débats. Comme Inf’OGM l’a déjà rapporté, ces différences moléculaires pourraient être des mutations non intentionnelles ou un changement de l’état chimique de l’ADN qui persistent dans le génome d’une plante génétiquement modifiée. Si les entreprises ont pris soin depuis 2014 d’expliquer que de tels effets non intentionnels ont lieu quelle que soit la technique utilisée, Inf’OGM a déjà rapporté que plusieurs de ces mutations non intentionnelles peuvent constituer des signatures ouvrant la porte à la traçabilité. Une présentation faite en octobre 2019 aux experts européens confirme d’ailleurs cet état de fait. Il était ainsi expliqué, à l’instar de l’avis du CS du HCB qu’il « est impossible de distinguer pour une variation d’un nucléotide (SNV) entre une mutation introduite par «  édition de génome  » et une mutation apparue naturellement ». Mais, et la différence est de taille, il était aussitôt ajouté qu’une « information accessoire [ndlr, obtenue par séquençage par exemple] telle que des mutations somatiques peut être collectée à une échelle plus globale pour différencier entre les deux mutations  » !

Le CEES voudrait en faire plus

Dans un communiqué de presse publié le 15 juillet 2020, cinq organisations de la société civile [6] également membres du CEES du HCB, ont réagi à la publication de cet avis. Elles expliquent avoir vu leur champ d’expertise volontairement restreint par le Bureau du HCB : « le Comité Économique, Éthique et Social s’est […] vu interdire par le bureau du HCB de produire une recommandation sur les questions économiques, éthiques et sociales qui sont pourtant sa raison d’être. Au prétexte de manque de temps, il n’a eu le droit de s’exprimer que sur les questions juridiques ». Un constat effectivement appuyé par la question posé par le Bureau du HCB au CEES : « Sur le plan juridique, le projet de décret permet-il l’application de la décision du Conseil d’État et de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) ? ». Une « interdiction » paradoxale car le comité scientifique du HCB, dont deux membres représentent à eux seuls les deux tiers du Bureau de cette instance, souligne dans son avis regretter que « le projet de décret se focalise sur la dangerosité d’un ensemble de techniques sans fondement scientifique, et sans aborder l’impact environnemental, voire les conséquences économiques, éthiques et sociales potentielles des traits générés, quelle que soit leur méthode d’obtention ». Il apparaît dans ces conditions dommage qu’il n’ait pas saisi l’occasion de poser la question au CEES.

Comme nous l’avons vu, le CEES a donc répondu que le projet de décret est compatible avec le droit européen. Mais il a surtout souhaité se proposer pour un travail supplémentaire afin « de mettre à profit l’expertise pluridisciplinaire de ses membres dans un prolongement de ces travaux qui se ferait dans un temps moins restreint et permettrait une analyse plus détaillée ». Cette expertise complémentaire pourrait également porter sur d’autres injonctions du Conseil d’État concernant la tolérance aux herbicides. En effet, si deux arrêtés sont prévus pour interdire la culture et la commercialisation des colzas identifiés comme OGM réglementés mais non autorisés comme tels, le CEES rappelle dans sa recommandation que le gouvernement n’a pas encore agit sur un autre volet de la décision du Conseil d’État. Ce dernier enjoignait au gouvernement « de mettre en œuvre la procédure prévue par le [paragraphe] 2 de l’article 16 de la directive 2002/53/CE du 13 juin 2002 » qui, comme le rappelle le CEES, « autorise un État à assortir la commercialisation de variétés inscrites au catalogue de prescriptions quant aux conditions de culture appropriées, ici pour les VrTH ».

Finalement, la recommandation du CEES ne se résume pas à une seule position commune. Elle présente également «  les différentes visions exprimées » par les organisations membres de ce comité sur les différents points composant le dossier des nouveaux OGM. Des opinions qui reprennent sans surprise les positions des uns et des autres, comme une annonce des positions qui seront défendues demain, si un nouveau débat législatif devait s’ouvrir. Parmi celles-ci, on notera la demande que le CEES puisse travailler à conduire une évaluation plus globale. Il est, en effet, expliqué que le cadre de réflexion du CEES n’est pas celui du laboratoire mais bien celui des « sociétés et [des] écosystèmes  » où seront disséminés les OGM. Inf’OGM reviendra sur ses positions diverses dans un prochain article, complété par une analyse d’autres contributions qui sont fournies directement à la Commission européenne sur le projet de décret.

Pour résumer, le Comité Scientifique du HCB s’est attelé à argumenter que la technique de mutagénèse concernée par le projet de décret français ne se distingue pas des autres techniques de mutagénèse et que, les mécanismes biologiques étant les mêmes, les mutations seront indifférenciables… En termes plus clairs, le CS du HCB voit cette mutagénèse comme une simple continuation de certaines techniques de mutagénèse in vivo par exemple. Une approche qui ressemble à s’y méprendre aux questions posées très récemment par la Commission européenne aux experts de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA). Dans le mandat reçu, l’AESA est notamment interpellée pour fournir une description détaillée des techniques de mutagénèse aléatoire in vivo et in vitro, évaluer si les mutations obtenues et les mécanismes biologiques les induisant sont différents selon que la technique est mise en œuvre in vivo ou in vitro et, enfin, évaluer si les techniques de mutagénèse in vitro doivent être vues «  comme un continuum » des techniques de mutagénèse in vivo [7].

[2Avis du CS du HCB : Avis du CS du HCB

[3Une base de données des variétés mutées que le CS du HCB définit comme non exhaustive puisque alimentée sur une base volontaire mais dont on rappelle qu’elle est la seule existante. Cette base de données recense les variétés « développées par mutagénèse chimique et physique, ou variation somaclonale et activation des éléments transposables endogènes », https://mvd.iaea.org/#!Home

[4Recommandation du CEES du HCB : Recommandation du CEES du HCB

[5l’Union française des semenciers, le Groupement national interprofessionnel des semences et plants, la Coopération Agricole, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, les Jeunes Agriculteurs et la Coordination rurale.

[6Les Amis de la Terre, la Confédération Paysanne, la Fédération Nationale de l’Agriculture Biologique, France Nature Environnement et l’Union Nationale des Apiculteurs Français.

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