n°160 - juillet / septembre 2020

Forçage génétique : une transmission hégémonique de transgène

Par Eric MEUNIER

Publié le 21/09/2020, modifié le 01/12/2023

Partager

Des organismes vivants, comme des moustiques ou des souris, peuvent être modifiés génétiquement par transgenèse de manière à ce que près de 100% de leur descendance hérite de la modification génétique. Une transmission hégémonique de cassettes transgéniques qui va à l’encontre du brassage génétique qui caractérise les lois de l’hérédité du monde animal. Cette déclinaison de la transgenèse s’appelle le « forçage génétique  ».

Après avoir passé plus de vingt années à entendre le terme de transgenèse, d’autres noms sont apparus ces dernières années comme Crispr/Cas, méganucléase ou forçage génétique. Ce dernier, traduction de l’expression anglaise Gene Drive, est un nouveau nom donné à un mode opératoire qui est, de fait, une transgenèse.

Les principes techniques de base

Prenons un organisme d’une espèce à reproduction sexuée. La première étape composant son forçage génétique est la modification de son génome en laboratoire pour y insérer une cassette transgénique. Cette cassette est composée des éléments habituels que sont promoteurs et terminateurs. Outre ceux-ci, une séquence codant pour un complexe Crispr/Cas est également présente. Une séquence supplémentaire peut également être ajoutée, codant pour une autre protéine qui conférera un caractère particulier à l’OGM (voir schéma ci-dessous).

Schema Foràage génétique

Trois notions interviennent donc pour déterminer les caractéristiques de l’OGM obtenu. La première est liée à la séquence codant le complexe Crispr/Cas. Ce complexe coupe l’ADN en un lieu déterminé. Insérer dans un génome la séquence codant ce complexe oblige l’OGM à le produire. Inévitablement, à chaque fois qu’il sera produit, ce complexe remplira sa fonction, à savoir couper le génome de l’OGM aux lieux ciblés.

La seconde notion concerne le lieu ciblé pour l’insertion du transgène. Si ce lieu d’insertion choisi est une séquence du génome remplissant une fonction particulière dans l’organisme, elle sera de fait désactivée puisque coupée en deux.

Enfin, la troisième notion concerne la présence ou non d’une séquence d’intérêt autre que celle codant le complexe Crispr/Cas. Une séquence qui, de fait, induira une caractéristique additionnelle à l’OGM.

Dans le cadre du forçage génétique, la première faculté de cette cassette transgénique insérée dans le génome d’un organisme vivant sera de forcer sa transmission à chaque descendant de l’OGM. Ce forçage se fait selon un mécanisme que nous allons voir.

Pourquoi parle-t-on de transmission hégémonique ?

La reproduction sexuée repose sur la rencontre de gamètes de deux individus. Elle permet notamment ce qu’on appelle le brassage génétique. Chaque individu possède 2n chromosomes et répartit n chromosomes dans chaque gamète (cellules sexuelles mâle ou femelle). Lors de la rencontre des gamètes à n chromosomes de deux individus, une cellule se forme avec un génome composé à moitié de celui de chacun de ses parents (2n). Dans le cadre du forçage génétique, la cassette transgénique insérée a la particularité de se retrouver dans tous les gamètes formés, et donc dans tous les descendants.

Pour comprendre, reprenons l’OGM de base. Sur un des deux chromosomes composant son génome se trouve la cassette transgénique codant notamment le complexe Crispr/Cas. Ce dernier, une fois exprimé, va couper le second chromosome, non encore modifié génétiquement, au lieu cible d’insertion. L’organisme va alors réparer cette coupure en utilisant comme modèle la cassette transgénique présente sur le premier chromosome.

L’OGM aura donc la cassette transgénique non plus sur un mais sur ses deux chromosomes. Lorsqu’il produira ses gamètes pour la reproduction sexuée, ce ne sont donc pas 50% des gamètes qui auront la cassette mais 100%. En conséquence, toute la descendance héritera de cette cassette transgénique. Et, dans chacun des organismes de cette descendance, les cassettes transgéniques exprimeront le complexe Crispr qui coupera le chromosome issu du parent non transgénique pour y insérer une cassette transgénique. Et ainsi de suite à chaque génération, comme le montre l’illustration ci-dessous : la transmission de la cassette transgénique est hégémonique.

Tout ceci constitue l’explication théorique du forçage génétique. Mais comme nous allons le voir dans ce dossier, la mise en œuvre n’est pas aussi simple et surtout, est loin d’être sans risque.

Actualités
Faq
A lire également