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Produits issus de procédés biologiques : finalement non brevetables

Par Zoé JACQUINOT

Publié le 04/06/2020

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La Grande chambre des recours de l’Office européen des brevets (OEB) a finalement tranché le 14 mai 2020 : les produits issus de procédés essentiellement biologiques, comme les procédés eux-mêmes, ne sont pas brevetables. Cette décision met fin à plus de huit ans de procédure et à un conflit plus politique que juridique dévoilant les dysfonctionnements de cet Office.

L’affaire soumise à la Grande Chambre des recours par le Président de l’OEB opposait la jurisprudence de l’OEB qui permettait la délivrance de brevets sur les produits issus de procédés essentiellement biologiques à une décision du Conseil d’administration de l’OEB prise en 2017 qui prononçait l’exclusion de la brevetabilité de ces produits (voir l’historique dans l’encadré ci-dessous).

La jurisprudence de l’OEB n’est pas immuable

Le 14 mai 2020, la juridiction de dernier recours au sein de l’OEB a adopté une « interprétation dynamique  » de l’affaire pour mettre fin au conflit : la jurisprudence n’est pas gravée dans le marbre et est susceptible d’évoluer pour s’adapter aux circonstances.

L’OEB reconnaît surtout l’autorité de la décision du Conseil d’administration, c’est-à-dire des acteurs et décideurs politiques membres de la Convention sur le brevet européen : la jurisprudence doit se conformer à leurs décisions. Le droit résulte de choix politiques, le rôle des juges est d’appliquer ceux-ci et non pas de les utiliser pour servir d’autres intérêts. Cette situation floue sur les intérêts et la séparation des pouvoirs au sein de l’OEB est dénoncée depuis longtemps [1]. Et cette décision ne règle pas ces problèmes structurels.

À l’origine de cet avis il y a…


La Convention sur le brevet européen (CBE) créée en 1973 précise dans l’article 53 que « b) les variétés végétales ainsi que les procédés essentiellement biologiques d’obtention de végétaux ou d’animaux » sont exclus de la brevetabilité. En 2015, la Grande chambre des brevets (dans les affaires dites Tomate II et Brocoli II, G 2/12 et G 2/13) interpréta de manière très restrictive cette disposition : la non brevetabilité de ces procédés ne s’étend pas aux produits qui en sont issus. Ainsi, une plante obtenue par un procédé essentiellement biologique [2] était brevetable contrairement à son mode d’obtention.

Cette jurisprudence, en plus de questionner le caractère nouveau que doit avoir une invention pour pouvoir être brevetée, contrevenait aussi aux droits des paysans et des obtenteurs. Elle renforçait les possibilités de brevetage des organismes vivants en permettant de breveter des plantes issues de méthodes de sélection traditionnellement utilisées par les paysans et les obtenteurs au profit d’entreprises qui n’étaient ni l’un ni l’autre.

Conflit entre les instances politiques et le juge de l’OEB

Le Parlement européen, le Conseil et la Commission européenne rappelaient alors que l’intention du législateur ne pouvait pas être d’accorder la brevetabilité sur ces produits et incitaient l’OEB à remédier à cette situation.

Pour répondre à cette demande, le Conseil d’administration de l’OEB a modifié en 2017 le règlement d’exécution de la Convention sur le brevet européen : les produits obtenus par des procédés essentiellement biologiques ne pouvaient dès lors plus être l’objet de brevets. Sur cette base légale, l’organe d’examen des demandes de brevets refuse à Syngenta la délivrance d’un brevet concernant un poivron.

Cependant fin 2018, une décision de l’organe judiciaire de l’OEB annule ce refus en invoquant une disposition de la CBE qui lui permettait d’écarter la décision du Conseil d’administration et donc d’écarter l’exemption de brevetabilité.

Cette décision provoque un nouveau tollé. Les juges de l’OEB se permettent en effet d’écarter le droit européen – que l’OEB reconnaît pourtant – et une décision prise par les représentants des pays membres signataires de la CBE réunis au sein du Conseil d’administration de l’OEB ! Le président de l’OEB se saisit du problème et porte l’affaire devant la Grande chambre des recours qui est la juridiction de dernier recours au sein de l’OEB. Cette affaire révèle de nombreux dysfonctionnements au sein de l’OEB. À quel point l’OEB peut-il ignorer le droit de ses pays membres et une décision interne directe de leur part ? [3].

Cette affaire était porteuse de nombreuses tensions et son dénouement donc très attendu.

L’avis de la Grande chambre des recours annoncé par l’OEB le 14 mai 2020 emprunte les bons rails juridiques et politiques : la non brevetabilité est confirmée.

Absence de rétroactivité pour plus de sécurité juridique ?

Au nom de la sécurité juridique, le juge de l’OEB a décidé de limiter la portée de la décision du 14 mai à partir du 1er juillet 2017, date de l’entrée en vigueur de la décision du Conseil d’administration de l’OEB. Ne sont donc pas concernés par cette décision les brevets portant sur des produits obtenus par des procédés essentiellement biologiques délivrés avant le 1er juillet 2017 mais également toutes les demandes de brevets encore pendantes qui ont été remplies avant cette date.

Il est donc possible que des brevets portant sur des produits obtenus par des procédés essentiellement biologiques soient tout de même délivrés après cette décision.

Par exemple, dans l’affaire au fond (T 1063/08) qui a occasionné le référé du Président, le brevet demandé par Syngenta sur un poivron sera potentiellement délivré car la demande a été remplie en 2011, soit avant le 1er juillet 2017 [4]. Avec une durée des brevets jusqu’à 20 ans, les brevets sur les plantes et les animaux ont encore de beaux jours devant eux.

Selon l’avis, au moment du référé formulé par le Président de l’OEB, l’affaire G 3/19 était susceptible d’avoir des conséquences dans 275 autres affaires (250 demandes en attente d’examen, 18 appels et 7 oppositions en cours).

De plus, qu’en sera-t-il pour les brevets sur les produits obtenus par des procédés essentiellement biologiques qui ont été délivrés postérieurement à juillet 2017. Ces brevets sont-ils de fait annulés ou bien devront-ils faire l’objet d’une procédure pour pouvoir être annulés ? Combien d’affaires cela concerne-t-il ? Ainsi, l’invocation de la sécurité juridique est louable mais sème la confusion.

D’autres problèmes ne sont pas résolus. La Coordination Européenne Via Campesina accueille favorablement l’avis de l’OEB mais rappelle dans un communiqué de presse [5] que cette avancée avantageuse « pourrait devenir inutile si la portée des brevets délivrés pour l’information génétique des plantes ou des animaux génétiquement modifiés peut encore s’étendre aux semences et aux animaux issus de croisements et de sélection conventionnels ».

[2La directive 98/44/CE relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques, que l’OEB a adoptée comme partie au règlement d’exécution de la Convention sur le brevet européen, considère qu’un procédé d’obtention d’un végétal ou d’un animal est essentiellement biologique s’il « consiste intégralement en des phénomènes naturels tels que le croisement ou la sélection ».

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