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États-Unis : les lâchers de moustiques OGM ont débuté

Par Christophe NOISETTE

Publié le 04/05/2021

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Le 1er mai 2020, l’agence étasunienne à la protection de l’environnement (EPA) a décidé d’autoriser des lâchers expérimentaux de plus d’un milliard de moustiques transgéniques d’un nouveau type : le OX5034 de l’entreprise Oxitec. Le 15 juin 2020, le ministère de l’Agriculture et des services aux consommateurs de Floride et les autres autorités locales impliquées ont donné leur autorisation à ces lâchers. Et le 20 août 2020, c’est le Conseil des commissaires du Florida Keys Mosquito Control District (FKMCD) qui a validé le projet de dissémination dans l’environnement de ces milliers de moustiques OGM. Plusieurs ONG de défense de l’environnement vont porter plainte contre l’EPA. Fin avril 2021, les premiers œufs de moustiques GM ont été disséminés.

Oxitec, la filiale d’Intrexon [1] qui a déjà disséminé des millions de moustiques génétiquement modifiés principalement au Brésil [2], attendait le feu vert pour un lâcher aux États-Unis depuis des années. Entre temps, Oxitec avait mis au point un nouveau moustique transgénique (OX5034) et avait donc demandé une nouvelle autorisation de lâcher expérimental aux autorités étasuniennes. Ce deuxième moustique OGM n’a été testé, à notre connaissance, que dans deux localités brésiliennes, Juiz de Fora et Indaiatuba.

Le 1er mai 2020, l’agence étasunienne à la protection de l’environnement (EPA) a décidé d’autoriser des lâchers expérimentaux avec ce nouveau moustique transgénique [3]. Contrairement à son prédécesseur, le moustique transgénique OX513A, la progéniture mâle de ce dernier-né survit, indique Oxitec, ce qui permet des cycles d’accouplements supplémentaires. Cependant, cette fonction multi-générationnelle de l’OX5034 est limitée dans le temps, car de moins en moins de mâles transmettent leurs gènes auto-limitants aux générations suivantes. Dans les deux cas, les femelles ne sont pas censées être relâchées dans la nature. Pour les mâles, la modification consiste notamment en l’ajout d’un transgène qui produit une protéine [4] de façon homozygote, alors que pour les femelles, le gène n’est présent qu’en un seul exemplaire, rendant cette dernière incapable de vivre sans la présence de tétracycline [5].

Le projet est, pour l’EPA, un « moyen de réduire les populations de moustiques pour protéger la santé publique contre les maladies transmises par les moustiques ». Le communiqué continue : « pour relever de front les défis de santé publique d’aujourd’hui, la nation doit faciliter l’innovation et faire progresser la science autour de nouveaux outils et approches pour mieux protéger la santé de tous les Américains ».

Les moustiques OGM sont-ils des médicaments ou des pesticides ?


Début mai 2020, la Food and Drug Administration (FDA), qui évaluait les moustiques transgéniques d’Oxitec depuis 2011, a transféré le pouvoir d’autorisation à l’EPA. Les insectes d’Oxitec ont donc changé de statut : ils sont désormais considérés comme un pesticide – utilisé pour supprimer les populations de moustiques sauvages – et non plus comme un médicament utilisé pour prévenir les maladies vectorielles comme le palu ou Zika. Ce changement de procédure permet d’accélérer la procédure d’autorisation. En effet, contrairement à la FDA, l’EPA est tenue par la loi fédérale d’examiner les nouveaux pesticides « aussi rapidement que », ce que la loi définit comme un délai de douze mois après le dépôt d’une demande. La FDA n’a aucun calendrier à respecter.

Plus d’un milliard de moustiques seront lâchés

Le but de ces lâchers, affirme l’EPA, est de tester l’efficacité des moustiques transgéniques d’Oxitec. Il s’agit donc d’une première étape avant des lâchers plus conséquents. L’EPA précise également que « l’entreprise doit recevoir l’approbation des deux états et des autorités locales avant de procéder aux essais sur le terrain ». Le 15 juin 2020, le ministère de l’Agriculture et des services au consommateur de la Floride [6], soutenu entre autre par le ministère de l’Environnement de Floride, le ministère de la Santé de Floride, la Commission en charge de la Conservation de la faune sauvage, a accordé son autorisation. Et, le 20 août 2020, c’est le Bureau des Commissaires du Florida Keys Mosquito Control District (FKMCD) a validé (4 vois pour, une voix contre) le projet de dissémination dans l’environnement de ces millions de moustiques OGM [7]. Au cours de ce vote, les opposants ont à nouveau tenté de faire entendre leur crainte. A l’instar de Max Moreno, expert en maladies transmises par les moustiques de l’université de l’Indiana, ils doutent aussi de l’efficacité de ce moustique : « Les moustiques créés en laboratoire n’ont pas passé par un processus de sélection naturelle, dans lequel seuls les plus forts survivent et s’accouplent. Une fois qu’ils sont relâchés dans l’environnement, seront-ils aussi aptes que les mâles naturels et seront-ils capables de leur faire concurrence pour s’accoupler ».

Les ministères texans, eux, n’ont pas encore délibérés.

Les essais sont prévus dans le comté de Monroe, en Floride, à partir de l’été 2020 et pour deux ans (508 560 000 moustiques annuellement sur une surface de près de 1300 hectares), et dans le comté de Harris, au Texas, à partir de 2021 et pour un an (249 600 000 moustiques sur un peu moins de 150 hectares). Ce qui fera au final sur ces deux territoires et pour ces deux années, près de 1,3 milliard de moustiques potentiellement relâchés.

L’autorisation limite les lâchers à 20 000 moustiques males par semaine et par acre, avec un minimum de 500 mâles [8]. Par ailleurs, l’EPA a conditionné son autorisation à deux contraintes : les lâchers ne peuvent pas être faits à moins de 500 mètres d’une ferme produisant des agrumes (voir l’encadré ci-dessous) ou d’une station d’épuration des eaux. L’essai devra être stoppé si « Oxitec trouve des individus femelles contenant la construction génétique OX5034 survivant jusqu’à l’âge adulte » et Oxitec devra aussi « dès que possible appliquer des pesticides dans les zones où les femelles survivantes ont été détectées et continuer de surveiller la présence de la construction génétique OX5034 chez les femelles Aedes aegypti jusqu’à ce qu’elles ne soient plus détectées pendant au moins deux générations successives de moustiques, soit un minimum de 10 semaines ».

Les moustiques et les agrumes


Interrogée par Inf’OGM sur la raison d’être de la limite imposée pour les lâchers par rapport aux champs d’agrumes, l’EPA nous répond : « Cette restriction vise à garantir que les moustiques femelles OX5034 ne rencontrent pas dans l’environnement des niveaux de tétracycline qui entraîneront la survie de ces moustiques femelles OX5034 adultes. Les moustiques femelles OX5034 Aedes aegypti peuvent survivre lorsqu’elles sont exposées à une dose suffisamment élevée de tétracycline.

Une compilation d’études de recapture de lâchers dans le monde entier a révélé que la plupart des moustiques
Aedes aegypti sont récupérés dans un rayon de 20 à 50 mètres du point de lâcher, avec un petit pourcentage trouvé à 170 mètres mais généralement pas plus de 200 mètres du point de lâcher. Par conséquent, une restriction de 500 mètres des sources potentielles (200 m pour les mâles OX5034 relâchés + 200 m pour les femelles Aedes aegypti accouplées + 100 m de tampon supplémentaire) fournit une zone tampon prudente pour empêcher les moustiques OX5034 de rencontrer la tétracycline dans l’environnement  ».

Plusieurs études estiment en effet que Aedes aegypti ne se déplace pas sur des distances importantes. Cependant ces distances ont été calculées sur la base de recapture [9], ce qui peut être un biais important. Selon le résumé d’une étude brésilienne menée par des chercheurs de l’Institut Oswaldo Cruz-Fiocruz [10], « trois cohortes de femelles Aedes aegypti marquées par de la poudre ont été relâchées et recapturées quotidiennement (…) ; le taux de recapture variait entre 5 et 12,2 % au sein des cohortes. (…) La distance moyenne parcourue variait de 57 à 122 m, avec une dispersion maximale de 263 m ». Et une autre étude [11] note que « la femelle Aedes aegypti pouvait, en quelques jours, parcourir au moins 441 m à partir d’un point de relâchement ». Enfin, d’autres études évoquent des distances plus importantes. Enfin, une étude brésilienne [12] stipule que la femelle Aedes aegypti peut parcourir plus de 800 mètres en six jours, indépendamment des facteurs humains (transport et commerce).

Au-delà de ces controverses scientifiques, des facteurs humains (véhicule) ou météorologique (ouragan, tornade…) peuvent augmenter la dispersion des moustiques. Dans ces cas, le moustique transgénique pourrait bien se retrouver beaucoup plus loin et étant donné la rapidité de reproduction de ces insectes, la diffusion du transgène est loin d’être impossible.

La Covid a bon dos

Dans son communiqué [13], Oxitec évoque « une décennie de déploiements réussis des technologies d’insectes Oxitec dans le monde entier », ce qui est fort contestable comme nous avons pu le documenter [14]. Il mentionne aussi la « crise dévastatrice de la Covid-19 » alors que ce sujet n’a strictement rien à voir avec le paludisme et autres maladies vectorielles transmises par un moustique ; et précise que son « objectif est de permettre aux gouvernements et aux communautés de toutes tailles de contrôler efficacement et durablement ces moustiques qui propagent les maladies sans impact nocif sur l’environnement et sans opérations complexes et coûteuses ». Cependant, notre enquête précédente montrait que le coût pour les municipalités brésiliennes était loin d’être anodin : « Dans un contrat entre Juiz de Fora et Oxitec, la somme de 3,3 millions de reais (plus de 700 000 euros) par an sur quatre ans
 est mentionnée, à laquelle s’ajoutent un certain nombre d’équipements que la mairie doit offrir à l’entreprise ». Ces coûts importants et cette efficacité douteuse ont incité certains pays et municipalités brésiliennes à arrêter ces lâchers.

La société civile porte plainte contre l’EPA


Plusieurs organisations étasuniennes, dont le Centre pour la sécurité alimentaire (Center for Food Safety, CFS), le Centre international pour l’évaluation des technologies (International Center for Technology Assessment, ICTA) et les Amis de la Terre ont annoncé, le 12 juin 2020 [15], porter plainte contre l’EPA. Pour elles, le ministère de l’environnement « a violé la loi sur les espèces menacées [en ne consultant pas les agences de protection de la faune avant de déterminer que les moustiques ne poseront pas de risques pour les espèces menacées [16] ».

Les premiers lâchers ont débuté…

Le projet a finalement débuté fin avril 2021 avec l’installation des premières boîtes dans six lieux différents des îles Keys [17] (canton de Monroe, état de Floride). Ces boîtes contiennent en théorie exclusivement des œufs de moustiques Aedes aegypti mâles. Cette première phase consiste à disséminer 12 000 moustiques mâles par semaine pendant 12 semaines. Ces moustiques mâles vont se reproduire avec les femelles Aedes aegypti sauvages dont la descendance est censée être exclusivement mâle. Ce qui devrait donc réduire la population de ce moustique dans les zones ciblées. Oxitec a assuré aux autorités compétentes que « les moustiques mâles survivants peuvent transmettre le gène d’autolimitation à leur progéniture mais seulement à 50% de leur descendance. Il ne s’agit donc pas de forçage génétique. Il sera donc nécessaire de relâcher régulièrement des moustiques transgéniques« .

[4Tetracycline Trans-Activator Variant (tTAV-OX5034)

[5L’EPA estime que seront émis dans la nature 5193,56 mg de cette protéine pour les 1,3 milliard de moustiques qui devraient être relâchés, voir plus loin.

[8Interrogée par Inf’OGM, l’EPA nous précise que cette limite maximale a été proposée par Oxitec et que « l’évaluation de la demande par l’EPA s’est basée sur ce taux d’application maximum proposé ».

[11Reiter P, Amador MA, Anderson RA, Clark GG 1995. Shortreport : dispersal of Aedes aegypti in a urban area after bloodfeeding as demonstrated by rubidium-marked eggs. Am JTrop Med Hyg 52 : 177-179, https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/7872449

[16Endangered Species Act.

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