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ÉTATS-UNIS – Une cinquantaine de nouveaux OGM dans les tuyaux

Par Eric MEUNIER

Publié le 21/04/2020

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Aux États-Unis, le ministère de l’Agriculture indique avoir reçu, entre 2010 et 2020, quarante-neuf dossiers d’OGM présentés comme sans transgène, parmi lesquels de nombreux « nouveaux OGM  ». Sur ces quarante-neuf dossiers, le gouvernement a répondu favorablement pour que quarante-huit d’entre eux soient dérèglementés, c’est-à-dire non soumis à la réglementation OGM de ce pays. Une liste publique mais incomplète, des OGM de l’entreprise Cibus par exemple n’apparaissant pas.

En avril 2020, l’Union européenne se demande encore comment détecter et tracer les nouveaux OGM. Début 2019, ses experts européens soulignaient pourtant que les nouveaux OGM sont détectables et traçables à la condition de se servir de méthodes déjà connues bien que non encore utilisées en routine [1]. De fait, si les modifications génétiques à détecter et tracer sont connues, la méthode est simple. Mais si elles sont inconnues, comme dans le cas d’OGM illégalement commercialisés, une étape préalable d’enquête est nécessaire pour réduire le champ d’investigation : quelles plantes, quelles caractéristiques, quels importateurs… Une enquête qui peut se baser notamment sur la connaissance des OGM autorisés dans d’autres pays. Et notamment aux États-Unis, un des principaux marchés des végétaux génétiquement modifiés.

Peu de demandes en dix ans

Sur son site Internet, le ministère de l’Agriculture étasunien (USDA) publie, depuis 2010, les demandes qu’il a reçues pour savoir si tel ou tel organisme génétiquement modifié doit être réglementé ou dérèglementé en tant qu’OGM [2]. Au cours de cette dernière décennie, 49 demandes ont été déposées et pour 48 d’entre elles, l’USDA a répondu que les produits concernés n’avaient pas à être réglementés comme OGM : ce sont les OGM sans séquences transgéniques insérées dans le produit final.

Comme le montre le tableau ci-dessous, un tiers de ces demandes concerne du maïs et du soja et plus d’un tiers concerne des protocoles opératoires faisant intervenir le complexe Crispr. D’autres protéines coupant l’ADN sont également utilisées comme Talen ou des méganucléases. Au total, près des trois quarts des demandes déposées font intervenir une nucléase dans le protocole opératoire de modification génétique. Enfin, la nature même des modifications souhaitées varie. Il peut s’agir de mutations, de délétions ou d’insertions de « quelques » nucléotides ou d’insertions de séquences codantes complètes.

Synthèse des 49 demandes déposées aux États-Unis pour des « nouveaux » OGM

Demandes par année Dossiers par plante Dossiers par étape technique
2010 1 Soja 9 Crispr 18
2011 4 Maïs 7 Talen 9
2012 4 « Plantes » 5 Méganucléase 4
2013 0 Tabac 5 Nucléase à doigt de zinc 3
2014 6 Tabouret des champs 4 Nucléase 2
2015 5 Tomate 3 Cisgénèse 3
2016 7 Pomme de terre 3 Intragenèse 1
2017 8 Cameline 2 Ségrégant négatif 7
2018 7 Blé 2
2019 6 Riz 2
2020 (avril) 1 Luzerne 1
Citron 1
Laitue 1
Pomme 1
Prunier 1
Raisin 1
Staria viridis 1

Tableau élaboré par Inf’OGM d’après le site de l’USDA [3].


D’autres dossiers non publics !

Outre le seul et unique refus de l’USDA (cf. encadré ci-dessous), on note que ces 49 demandes doivent être complétées par trois autres même si l’information n’est pas officialisée sur le site du ministère de l’agriculture étasunien. En 2011, Inf’OGM renseignait que l’entreprise Cibus affirmait avoir reçu une lettre non publique de l’USDA, datée du 25 mars 2004, pour lui signifier que son canola (un type de colza) génétiquement modifié par un protocole ayant comme étape une mutagénèse par oligonucléotide était considéré comme non réglementé en tant qu’OGM [4]. De son côté, un article publié dans Physiologia Plantarum en 2018 liste trois OGM absents de la liste de l’USDA : ce canola GM de Cibus, un lin modifié selon le même protocole par la même entreprise [5] et un soja génétiquement modifié par l’entreprise Calyxt via un protocole opératoire utilisant la nucléase Talen à une étape pour avoir une composition en acide oléique différente.

Des dossiers aux particularités notoires

Le premier type de dossier que l’on pourrait qualifier d’inhabituel concerne des plantes appelées « ségrégants négatifs« . De manière simple, il s’agit de plantes dans lesquelles une séquence transgénique a été insérée afin d’induire une autre modification génétique comme des mutations. Les entreprises expliquent ensuite que par des rétro-croisements successifs avec une autre plante, la séquence transgénique est « retirée » et seule reste la modification génétique. Ce sont ces plantes qui sont appelées ségrégants négatifs. Les États-Unis dérèglementent ce type d’OGM, du fait de l’absence de transgène dans la plante finale, selon les affirmations des entreprises. Par contre, dans l’Union européenne, cette particularité ne change rien au niveau légal puisqu’il s’agit toujours de plante génétiquement modifiée d’une manière non naturelle, qui plus est, avec une étape préalable de transgenèse.

Un autre type de dossier comporte une particularité plus administrative. Cinq dossiers sont rendus publics mais avec peu voire aucune information sur les modifications opérées dans la plante. La raison est que ces dossiers ont fait l’objet d’une demande de non divulgation puisque contenant des « informations commerciales confidentielles ». Une confidentialité qui ne concerne que le public mais pas l’administration qui a bien sûr accès au dossier complet.

Dernière particularité, et non des moindres : si on met de côté les canolas et lins de Cibus modifiés pour tolérer des herbicides, aucune des demandes de dérèglementation d’OGM sans transgène ne concerne des plantes modifiées pour tolérer des herbicides ou tuer des insectes. Alors que ces deux caractéristiques représentent quasiment l’intégralité des caractéristiques obtenues par transgenèse, les demandes reçues par l’USDA sont sur d’autres caractéristiques : composition chimique de la plante, résistance à des maladies ou encore raccourcissement du calendrier de floraison.

Exhaustive ou non, cette liste est une source d’informations importantes pour l’Union européenne qui, depuis la décision de sa Cour de justice en juillet 2018, doit se doter des moyens pour détecter et tracer les nouveaux OGM. Si elle ne préjuge en rien des OGM qui seront ensuite effectivement commercialisés, aux États-Unis ou ailleurs, elle informe cependant sur ce qui pourrait potentiellement arriver sur le marché, légalement ou illégalement…

Un dossier refusé car trop général


L’institut irlandais Teagasc a déposé en octobre 2015 une demande de dérèglementation non pour un OGM en particulier mais pour un protocole opératoire de modification génétique applicable à plusieurs plantes. Cet institut, résume l’USDA dans sa réponse, indiquait modifier génétiquement des plantes via « une transformation opérée par [la bactérie] Ensifer à des fins de transgenèse, cisgenèse, édition du génome (via par exemple des nucléases à doigts de zinc, Talen, Crispr/Cas) ».

Bien que ne considérant pas la bactérie Ensifer adhaerens comme un parasite végétal (une donnée à considérer pour obtenir une dérèglementation aux États-Unis), l’USDA refuse de délivrer une réponse générale de dérèglementation pour toute plante modifiée génétiquement en utilisant cette bactérie. Le ministère étasunien indique en effet que « si une transformation opérée par Ensifer servait à introduire des séquences dérivées d’un parasite végétal, la plante GM obtenue » devrait probablement être réglementée. Le ministère ajoute que selon l’espèce végétale modifiée et sa nouvelle caractéristique phénotypique, une évaluation de son pouvoir envahissant pourrait être nécessaire.

Le ministère conclut donc que le statut réglementé ou déréglementé de plantes modifiées par un protocole faisant intervenir la bactérie Ensifer ne pourra être établi qu’au cas par cas. Si la liste de l’USDA est complète, son invitation faite à Teagasc en mars 2016 à lui envoyer le dossier d’une plante GM spécifique n’a pas encore été suivie d’effet pour le moment.

[3Un dossier concernant un champignon modifié de même que trois dossiers concernant des micro-organismes n’ont pas été comptabilisés dans ce tableau qui recense les seules espèces végétales.

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