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UPOV : il est possible de caractériser les nouveaux OGM

Par Eric MEUNIER

Publié le 17/03/2020

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Les entreprises clament à tout va qu’elles sont incapables de faire la différence entre leurs nouveaux OGM mutés et des plantes ayant acquis la même mutation naturellement ou par des méthodes de sélection traditionnelles. Mais elles sont capables de caractériser au niveau génétique leurs propres variétés végétales comme le montre un travail de l’Union pour la Protection des Obtentions Végétales (Upov). Or, les méthodes utilisées peuvent tout à fait servir à différencier les nouveaux OGM des plantes non GM, pour peu qu’une volonté politique existe pour mettre les protocoles en place.

Les entreprises semencières sont-elles en train de réussir un tour de force en faisant croire que ce que leur main gauche peut faire, leur main droite en est incapable ? La question se pose. Elles affirment que les nouveaux OGM sont non différenciables des plantes qui peuvent être obtenues par sélection traditionnelle ou que la Nature peut produire. À l’appui de cette affirmation, quelques « voix scientifiques » comme celles des comités d’experts allemands, néerlandais et suisses, qui, se réclamant de trente années d’évaluation de la biotechnologie moderne et d’expériences accumulées, estiment que « les produits créés avec des techniques d’édition du génome (…) ne peuvent être différenciés de produits ayant des mutations naturelles ou obtenus par radiation ou avec des produits chimiques ». Pourtant, une telle différentiation est bel et bien faite par ces entreprises lorsqu’elle est nécessaire pour caractériser des variétés et défendre une propriété industrielle.

Les variétés végétales caractérisées par leurs « marqueurs biochimiques et moléculaires »

Le 1er novembre 2019, le Conseil de l’Upov adoptait un document au titre un tant soit peu barbare mais parlant : «  Conseils en ce qui concerne l’utilisation des marqueurs biochimiques et moléculaires dans l’examen de la distinction, de l’homogénéité et de la stabilité (DHS) » [1]. Dans ce document, l’UPOV fournit des « indications en ce qui concerne l’utilisation des marqueurs biochimiques et moléculaires dans l’examen » de la DHS d’une variété.

Ces marqueurs moléculaires sont des séquences génétiques tellement caractéristiques de telle ou telle variété qu’elles en sont une sorte de signature. À l’instar de panneaux indicateurs le long d’une route, ils signalent la présence de séquences conférant tel ou tel caractère phénotypique. Ils sont donc utilisés pour décrire, identifier, distinguer et tracer une variété végétale.

Au sein du génome d’une plante, de telles séquences génétiques, qui sont généralement plusieurs, ont été identifiées comme statistiquement toujours liées à un caractère phénotypique particulier de la plante. Avoir une liste de plusieurs de ces petites séquences revient donc à constituer une « empreinte génétique » de chaque variété. En faisant des analyses génétiques à la recherche de tels marqueurs dans une plante, il est possible de les classer par groupe si ces marqueurs sont présents de manière homogène et stable au sein de plusieurs plantes étudiées. Si en plus, ces marqueurs sont retrouvés dans un groupe de plantes mais pas dans un autre, ils permettent de caractériser une variété.

Dans son document, l’Upov prend un exemple familier pour les lecteurs d’Inf’OGM puisqu’il s’agit d’une variété transgénique tolérant un herbicide. Un exemple simple car il est facile de concevoir qu’un transgène serve lui-même de marqueur moléculaire puisqu’il est introduit spécifiquement dans une plante. Mais l’Upov précise que le marqueur peut également être une séquence génétique située « à l’extérieur » du transgène. Il peut alors s’agir d’une séquence qui a muté non intentionnellement suite à l’insertion du transgène et est devenue signature de la présence de ce transgène. Ce type de marqueur peut tout aussi bien être caractéristique de la présence d’un transgène que de la modification de la plante ou de ses parents par transgenèse, y compris si le « gène extérieur » n’est plus présent, ou d’une mutation introduite par une des nouvelles techniques de mutagénèse.

Pour caractériser une variété sur le plan génétique, le travail consiste à dresser une liste des marqueurs caractéristiques de cette variété, comme une matrice de référence. Lorsqu’une plante est contrôlée, elle peut être analysée au niveau génétique quant à la présence de plusieurs marqueurs. Selon les résultats de présence ou absence des différents marqueurs, la matrice donnera le nom de la variété à laquelle la plante appartient. Les analyses d’empreintes digitales ou de reconnaissance faciale fonctionnent sur ce même principe de rechercher 30, 40 ou 100 points caractéristiques et conclure à l’identité de la personne analysée.

Le maïs a des empreintes digitales

Une présentation faite lors d’une réunion de l’Upov en octobre 2019 par l’Académie des sciences agricoles et forestières de Pékin en Chine illustre ce travail [2]. Des marqueurs ont été choisis de manière à permettre de distinguer de manière univoque plusieurs variétés de maïs. De tels marqueurs sont de deux types : soit des répétitions de micro-séquences génétiques (SSR), soit des variations de séquence sur un seul nucléotide (SNP) entre deux plantes. Pour développer un kit d’analyse, les scientifiques chinois ont choisi de détecter des SNP considérés comme caractéristiques. Ils ont utilisé une plaque de plastique qui permet d’analyser la présence ou l’absence de chacun des SNP choisis. La plaque Maize6H-60K a ainsi été mise au point après l’identification des marqueurs de 400 lignées de maïs chinois ou étranger. Pour les scientifiques chinois, il s’agit de la première « plaque […] pour identification de variétés, la confirmation de la propriété intellectuelle et l’amélioration végétale » du maïs.

Au cours de la même réunion, l’Association Internationale d’Analyse des Semences (Ista), une organisation regroupant des laboratoires spécialisés dans l’analyse de semences – dont certains laboratoires d’entreprises privées comme Monsanto, BASF ou Syngenta – a présenté un protocole d’analyse des variétés basé sur l’étude de l’ADN [3]. Un protocole toujours en cours de consolidation ayant nécessité de sélectionner un groupe de marqueurs pour chaque variété, de choisir des variétés commercialisées comme matériel de référence, d’évaluer la puissance (statistique) des marqueurs choisis pour discriminer entre les variétés de référence puis de confirmer ce résultat avec plusieurs laboratoires (tests inter-laboratoires comme pour la validation des méthodes de détection d’OGM transgéniques) [4]. L’Ista a expliqué à l’Upov qu’un tel protocole a abouti à la mise au point d’une méthode validée en 2017 pour identifier et vérifier les variétés de maïs, basée sur une liste de marqueurs (des micro-séquences répétées, SSR) [5]. Elle annonçait également travailler sur un protocole semblable pour le blé. Ayant déjà reçu l’accord d’obtenteurs pour utiliser leurs variétés, une « matrice de référence allait être obtenue en analysant ces variétés avec les marqueurs retenus ». L’avoine, l’épeautre et le pois seraient les plantes suivantes. L’ISTA précise finalement, comme pour montrer que de telles analyses de l’ADN sont maîtrisées depuis longtemps, que ces « techniques basées sur l’ADN sont développées et utilisées par les entreprises semencières et obtenteurs. Elles sont disponibles pour les analyses de semences et déjà utilisées dans plusieurs laboratoires de plusieurs pays ».

Enfin, l’organisation internationale de normalisation (ISO) a déjà édicté en 2015 des normes à suivre pour analyser l’empreinte moléculaire du maïs ou du tournesol et vérifier l’identité des variétés [6]. Deux normes utilisent des « méthodes horizontales pour l’analyse des marqueurs biomoléculaires » et ont été mises au point par le comité ayant publié les normes utilisées pour détecter les OGM transgéniques [7].

Si l’Upov est en passe de valider l’utilisation de séquences génétiques « marqueurs » de traits phénotypiques pour caractériser les variétés de ses collections de référence, la question est de savoir pourquoi les plantes modifiées par des nouvelles techniques de mutagénèse ne pourraient pas être caractérisées de la même manière avec des marqueurs spécifiques. D’autant que le terme « matrice de référence » utilisé par l’Ista dans sa présentation est similaire à celui d’approche matricielle utilisée pour l’identification des OGM [8]. Plusieurs articles ont par ailleurs déjà renseigné que SSR et SNP sont quelques-uns des marqueurs génétiques utilisables depuis longtemps en amélioration et identification variétales pour lesquels des serveurs en ligne sont déjà proposés [9]. Autant dire que cette connaissance que des séquences génétiques peuvent servir de marqueurs ou signatures ne date pas d’hier…

Le cas des biotechnologies modernes

Considérer que les mutations naturelles par exemple et celles obtenues par de nouvelles techniques OGM ne sont pas différenciables néglige – volontairement ? – les effets non intentionnels qui résultent nécessairement de chacune des étapes du protocole opératoire d’une nouvelle technique. Une fois caractérisés, ces effets non intentionnels, comme des mutations et épimutations, peuvent servir de marqueurs moléculaires à l’instar des SNV de l’Upov.

Début octobre 2019, le sujet a été justement discuté par les experts européens sur la détection et la traçabilité du réseau ENGL [10]. Dans une présentation intitulée « les futures méthodes de séquençage du génome appliquées à la détection des OGM », il fut ainsi expliqué qu’il « est impossible de distinguer pour une variation d’un nucléotide (SNV) entre une mutation introduite par « édition de génome » et une mutation apparue naturellement, mais une information accessoire [ndlr, obtenue par séquençage par exemple] telle que des mutations somatiques peut être collectée à une échelle plus globale pour différencier entre les deux ». En d’autres termes, différencier entre une plante obtenue par une nouvelle technique de mutagénèse et une plante résultant de mutation naturelle (donc entre une plante GM et une plante non GM) est possible si tant est qu’on en ait la volonté politique et qu’on s’en donne les moyens. D’autant que la présentation faite continue en précisant que « l’analyse en profondeur des mutations avec un faible taux d’erreur de séquençage pourrait être une approche pour constituer des empreintes efficaces. Des mutations […] fruits du procédé de transformation peuvent être exploitées pour constituer une empreinte unique d’évènements autorisés ».

Il ne paraît donc pas exister d’obstacle technique à l’utilisation par l’approche matricielle de marqueurs génétiques et épigénétiques pour différencier des nouveaux OGM de plantes ayant une ou des mutations obtenues par des croisements conventionnels ou naturellement. La question qui reste est finalement celle de la volonté politique d’établir les référentiels permettant aux services officiels de détecter et différencier ces nouveaux OGM ou, au contraire, de modifier la législation européenne pour qu’elle ne concerne plus que les seuls OGM transgéniques.

[4European Network of GMO Laboratories (ENGL) (2015). « Definition of minimum performance requirements for analytical methods of GMO testing ». In JRC Technical Report, pp. 24 pp.

[5Règle 8.10.3 des «  International Rules for Seed Testing », disponible à l’achat sur https://www.ingentaconnect.com/content/ista/rules/2020/00002020/00000001

[6Les normes ISO/TR 17623:2015 et ISO/TR 17622:2015

[8Bertheau, Y. (2019). « New Breeding Techniques : detection and identification of the techniques and derived products ». In Encyclopedia of Food Chemistry Reference Module in Food Science, L. Melton, F. Shahidi, and P. Varelis, eds. (Oxford : Academic Press), pp. 320-336.

[9Voir par exemple : « Use of SSR markers to complement tests of distinctiveness, uniformity, and stability (DUS) of pepper (Capsicum annuum L.) varieties », Kwon, Y.-S. et al. (2005), Molecules and cells 19, 428-435 ;

« Plant variety and cultivar identification : advances and prospects », Korir, N.K. et al. (2013), Critical Reviews in Biotechnology 33, 111-125.

« Development of model web-server for crop variety identification using throughput SNP genotyping data », Singh, R. et al. (2019), Scientific Reports 9, 5122.

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