Depuis plusieurs années, de nombreux agriculteurs et jardiniers réclament la possibilité de commercialiser des semences de populations de plantes diversifiées et capables d’évoluer en s’adaptant à la diversité et aux évolutions constantes des conditions de culture. Le législateur européen n’a pas souhaité retenir le terme de « population » aussi utilisé par certains généticiens et de nombreux naturalistes ou anthropologues. Il a choisi celui de « matériel ». Pour les tenants des semences paysannes, comme Guy Kastler, de la Confédération paysanne, ce terme « reflète la conception mécaniste du vivant d’une industrie qui considère les plantes comme une matière manipulable à volonté par l’homme et non comme des organismes ou des êtres vivants avec lesquels les humains peuvent échanger et coévoluer ».
Plusieurs projets européens récents [1] ont visé ou visent à mettre au point des semences de populations, et l’un d’entre eux concerne plus particulièrement leur commercialisation [2]. Le plaidoyer des agriculteurs bio en particulier [3], ainsi que des tenants des semences paysannes [4], concernant l’intérêt des semences non DHS (distinct, homogène et stable [5]) et des semences populations en général commence-t-il à porter ses fruits ?
Pour la Commission, l’utilisation de matériel hétérogène peut présenter des atouts
La Commission européenne écrit en effet : « l’utilisation de ce matériel varié peut présenter des atouts, en particulier s’agissant de la production biologique ou de l’agriculture à faibles intrants, afin de réduire, par exemple, la propagation de maladies » [6]. Pour Véronique Chable, chercheuse à l’Inrae [7], les variétés homogènes actuelles (DHS) ont un pouvoir d’adaptation quasi nul alors que les populations évoluent plus facilement en fonction du milieu : « Par exemple, les plantes paysannes sont plus collaboratives avec les micro-organismes de l’environnement » [8].
En 2015, l’Institut technique d’agriculture biologique (Itab) [9], la Confédération Paysanne, l’Inra et un groupement d’agriculteurs producteurs de semences bio (Ubios, coopérative de production et de commercialisation de semences 100 % bio [10]) se sont mis d’accord avec le ministère de l’Agriculture [11] et le Geves (Groupe d’étude et de contrôle des variétés et des semences [12]), pour lancer des parcelles d’expérimentation de deux populations de blé (voir encadré ci-dessous) créées lors d’un précédent projet européen sur la création variétale en bio [13].
L’origine des deux populations de blé
Les deux populations de blé étaient CCP YQ de l’Organic research center (ORC), issu de 10 parents ; et Mégamix de l’Inra du Moulon, issu de 80 parents (CCP pour composite cross populations, traduit en "Populations croisées composites" [14]). Le projet CCP consistait à « créer et amplifier deux populations génétiquement diversifiées avec deux méthodes de sélection, à partir des mêmes parents (populations), afin de comparer les deux structures en termes de potentiel agronomique et d’évolution de la diversité au cours du temps » [15].
Les premiers résultats techniques [16] montrent des différences entre les deux populations testées : la population Megamix est utile comme point de départ pour la sélection dans les fermes (mais pas à court terme car son rendement et ses qualités boulangères sont médiocres). Par contre, la population CCP YQ est « prête à l’usage », avec des qualités « proches de celles d’une variété pure », nous précise Maddalena Moretti, technicienne d’Ubios et de Bio en Normandie [17], et a l’avantage supplémentaire d’être plus résiliente grâce à sa diversité génétique. Fort de ces résultats encourageants, Ubios a travaillé avec l’Inra pour produire trois nouvelles populations CCP : deux en 2018 [18] et une [19] en 2019.
En 2017, la Commission a financé un autre projet européen, Liveseed [20], pour développer les semences et la sélection bio en Europe. Inf’OGM ne manquera pas d’en partager prochainement les résultats avec ses lecteurs. Et en attendant, nous vous invitons à lire le deuxième volet de notre enquête, sur l’élaboration du texte (acte délégué) qui servira à préciser le fameux « matériel hétérogène biologique » [21].