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Le forçage génétique à la rescousse du Roundup ?

Par Christophe NOISETTE

Publié le 24/01/2020, modifié le 01/12/2023

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Certaines variétés de plantes adventices sont devenues tolérantes à un ou plusieurs herbicides, notamment au Roundup, aux États-Unis et au Canada. De nouveaux herbicides ont alors été proposés pour tenter de contourner cette résistance, comme le Dicamba ou le 2,4-D… Mais ces stratégies de contournement ne pourront pas durer éternellement. C’est là qu’intervient le forçage génétique.

Dans une étude publiée dans Weed Science [1], des chercheurs de l’Université de l’Illinois ont identifié des signatures génétiques qui distinguent les plantes mâles des femelles chez deux espèces d’amarantes parmi les plus problématiques (Amaranthus tuberculatus et Amaranthus palmeri). De façon empirique, chacun peut facilement faire la différence entre mâle et femelle. L’enjeu est de trouver les mécanismes moléculaires engendrant ces différences afin de pouvoir cibler, en amont, in vitro, ces éléments génétiques responsable de la détermination sexuelle pour pouvoir forcer la nature à ne produire que des mâles.

Ne produire que des mâles pour éradiquer une espèce

Les auteurs qualifient cette « découverte (…) [d’] élément crucial dans le développement d’un système de contrôle génétique pour les mauvaises herbes ». Ils espèrent disséminer dans l’environnement des plantes mâles génétiquement modifiées pour n’engendrer que des descendants mâles et ainsi réduire drastiquement, sinon exterminer, les populations d’amarantes. La modification génétique serait issue du forçage génétique – une biotechnologie qui vise à générer chez une espèce particulière une modification génétique hégémonique par rapport aux autres individus non modifiés [2]. En effet ce projet démiurgique ne peut « fonctionner » que si la totalité des descendants sont des mâles (au lieu des 50 % si l’hérédité naturelle s’appliquait).

L’un des auteurs de l’article, Patrick Tranel, se défend dans un article publié sur le site Genetic Literacy Project [3] : « Il est important de souligner que nous ne sommes pas sur le point de libérer ces amarantes génétiquement modifiées. Nous faisons de la recherche fondamentale, laquelle pourrait nous éclairer sur la façon d’y parvenir ». En effet, l’article scientifique précise bien que l’équipe n’a pas trouvé le ou les gènes spécifiques de la masculinité chez l’une ou l’autre des espèces. Ils ont plutôt identifié de petites séquences génétiques associées à une région mâle, vraisemblablement sur un chromosome particulier. Ils pensent que le(s) gène(s) spécifique(s) de la masculinité se trouve(nt) quelque part dans cette région.

Le travail a consisté à cultiver 200 plantes de chaque espèce d’amarantes et à séquencer l’ensemble des génomes. Respectivement, ils ont identifié 345 et 2754 séquences spécifiques aux mâles à partir de l’ensemble des données pour les deux amarantes étudiées (A. palmeri et A. tuberculatus). Ils ont identifié également « un nombre inattendu de 723 séquences spécifiques aux femelles » dans un sous-ensemble des femelles d’A. tuberculatus », mais, nuancent-ils, « des recherches ultérieures ont montré que la spécificité « femelle » de ces marqueurs était limitée à la population à partir de laquelle ils ont été identifiés ». Autrement dit, ils n’ont pas réussi à retrouver ces marqueurs de spécificité femelle dans une autre population d’amarantes, donc ils ne peuvent les généraliser à l’espèce.

Ils ont ensuite testé des « amorces » : « Les amorces choisies pour amplifier spécifiquement des séquences spécifiques aux mâles furent testées sur de multiples populations géographiquement distinctes d’A. tuberculatus et d’A. palmeri, tout comme sur d’autres espèces d’amarante. Deux jeux d’amorces pour A. palmeri et quatre jeux d’amorces pour A. tuberculatus furent tous capables de distinguer entre les plantes mâles et femelles avec une précision d’au moins 95 % ». Autrement dit, les séquences mises en évidence fonctionnent.

Une fuite en avant déraisonnable

Le Professeur Tranel précise encore que ce travail, et le fait de disposer d’un ensemble de séquences génétiques permettant d’identifier avec précision les mâles avant la floraison, peut aider à mieux comprendre la biologie des plantes et leur réaction à l’environnement, comme le fait de déterminer si ces amarantes peuvent changer de sexe dans certaines conditions ou si un sexe est plus sensible aux herbicides. Un article récent, publié dans The Lancet [4], montre justement l’effet de l’exposition à des produits chimiques (dont herbicides) sur le ratio des sexes. La présence de tels produits chimiques ne pourrait-elle pas faire échouer cette stratégie génétique ? Dans quelle mesure l’environnement et les mutations épigénétiques ne sont-ils pas des obstacles à la réussite d’un tel projet ?

Admettons donc que les chercheurs arrivent à identifier un (ou des) gène(s) de la masculinité dans la région mâle, la production d’amarantes génétiquement modifiées par forçage génétique posera encore des questions : l’éradication de cette population d’adventices aura-t-elle des conséquences sur l’écosystème et la chaîne alimentaire ? Cette transmission forcée sera-t-elle absolue ?

Rappelons que l’amarante est aussi une plante alimentaire traditionnelle. Même s’il ne s’agit pas nécessairement des mêmes sous-espèces, faut-il croire leur prétention d’éliminer tout risque de dissémination de la modification génétique de type forçage génétique au sein d’une même espèce vers des sous-espèces alimentaires ?

Éradiquer une espèce dans un écosystème est tout sauf anodin : et si la lutte contre les adventives passait plutôt par des méthodes culturales comme des couverts végétaux, semis directs (sans Roundup !), rotations de cultures, densité de semis… Les bios y parviennent, pourquoi pas les autres agriculteurs ?

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