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85 % des endives françaises sont des OGM

Par Christophe NOISETTE

Publié le 17/01/2020

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Le mardi 14 janvier 2020, une centaine de personnes, membres de la Confédération Paysanne, rejoints par des Faucheurs Volontaires, des militants d’ATTAC, de Free the Soil, d’Extinction Rebellion, de Justice Climatique… ont manifesté dans les couloirs du salon des productions végétales (Sival) qui s’est tenu à Angers. Ils protestaient contre « la commercialisation frauduleuse de semences d’endives OGM » : « Depuis vingt ans, les semenciers vendent des OGM sans le dire, au prétexte qu’ils n’auraient pas été obtenus par transgenèse »…

Les militants se sont retrouvés devant le stand de Vilmorin, leader sur le marché des endives OGM cachées (le 5e semencier mondial dont Limagrain est un des principaux actionnaires [1]).

Leur action visait à obtenir la transparence sur les méthodes de sélection des semenciers. En effet, comme le souligne le porte-parole national, Nicolas Girod, « potentiellement, des paysans plantent des OGM sans le savoir. Et le consommateur les consomme ». L’action visait en particulier des variétés d’endives obtenues par fusion cellulaire avec un tournesol, ce qui font d’elles des OGM reconnus comme tels par la législation européenne.

Les manifestants ont ensuite rejoint le stand du Groupement national interprofessionnel des semences et plants (Gnis) que la Confédération Paysanne avait interrogé par une lettre ouverte en mars 2019 : « les endives et chicorées commercialisées en France sont-elles des OGM cachés ? ».

Aucune réponse n’avait été donnée depuis, et aucune personne présente sur le stand du Gnis au SIVAL ne s’est dite habilitée à répondre. Mais dès le 15 janvier au matin, le Gnis reconnaissait sur son site que « Oui. Sur les 58 variétés d’endives existant au Catalogue officiel européen des variétés, 47 sont hybrides. La plupart de ces variétés hybrides, dont certaines datent de 1988, a été obtenue par une technique qui fait que les plantes qui en sont issues sont désormais classées comme OGM au regard de la directive européenne 2001/18/CE ». Tout en rajoutant aussitôt : « Mais cette même directive européenne précise que si les techniques concernées sont utilisées entre espèces d’une même famille botanique (donc qui pourraient se croiser naturellement et donner lieu à l’obtention de variétés par des méthodes de sélection traditionnelles), les semences des variétés obtenues n’ont alors pas à faire l’objet d’un étiquetage particulier. C’est le cas pour ces variétés d’endives OGM ».

Un « bidouillage » in vitro au départ

Concrètement, cette endive a été modifiée de façon non naturelle in vitro : les sélectionneurs ont fusionné une cellule d’endive avec une cellule de tournesol dont le noyau a auparavant été retiré. Le cytoplasme de la cellule de tournesol porte le gène « mâle stérile », lequel permet d’empêcher la nouvelle endive de s’autoféconder. La fusion cellulaire est citée par la réglementation européenne, comme la transgenèse, parmi les techniques produisant des OGM [2], et est exclue de son champ d’application si et seulement si elle concerne « des cellules végétales d’organismes qui peuvent échanger du matériel génétique par des méthodes de sélection traditionnelles ». Ce qui, selon la Confédération Paysanne, n’est absolument pas le cas avec cette endive étant donné que la fécondation entre une endive et un tournesol n’existe pas dans la nature ; mais qui a contrario serait possible selon le Gnis et l’Union française des semenciers (voir ci-dessous).

Actuellement ces variétés OGM cachées, souligne la Confédération paysanne, représentent 85% des endives cultivées en France.

Sélection naturelle… ou pas ?

Comme le Gnis, l’Union française des semenciers (UFS) conteste l’analyse de la Confédération Paysanne. Interrogé par Inf’OGM, Emmanuel Lesprit nous affirme que « l’article publié dans la revue Helia [3] en 1999 par Christov et Vassilevska-Ivanova récapitule les résultats de croisements entre le tournesol et les autres espèces de la famille des Astéracées. Contrairement à plusieurs croisements infructueux, le croisement avec l’endive a produit 11% d’inflorescences portant des graines, prouvant une compatibilité entre les deux espèces ».

L’UFS soutient donc que le croisement entre le tournesol et l’endive s’est probablement produit dans la nature, ces deux plantes étant toutes deux des astéracées. Yves Bertheau, ancien chercheur à l’Inra, à qui nous avons demandé une lecture de cet article, ne parvient pas à la même conclusion : « si c’est ça qu’ils appellent des croisements naturels, je ne sais plus du tout ce qui est naturel. Ils ont vraiment forcé la main à la nature. En effet pour procéder aux hybridations intergénériques (NDLR : entre différents genres), les auteurs utilisent une population de tournesol femelle CMS obtenue par castration chimique à l’acide gibbérellique. Une castration pas très naturelle.

Ensuite, d’une part, l’article souligne que plus de la moitié des croisements entre ces genres d’Astéracées ne donnent pas d’hybrides. Ce qui n’est pas trop étonnant vu les distances phylogéniques (cf. tableau ci-dessous). Et, d’autre part, il précise aussi qu’aucun hybride n’a été obtenu pour Cichorium intybus (chicorée amère), même en forçant la main. Certes, il y a eu des graines obtenues dans le croisement tournesol L721 msARG3 x
Cichorium intybus mais celles-ci n’ont pas germé ». Le chercheur conclut donc que « quand l’UFS évoque des hybridations intergénériques naturelles parmi les astéracées, on se demande où ils vont chercher ça, car dans l’expérience relatée dans cet article, même en conditions facilitantes, ça ne marche pas (comme ils le notent le cytoplasme femelle récepteur doit jouer). Et les auteurs relèvent que des sauvetages d’embryon ou d’autres techniques (sous entendu in vitro) pourraient régler ces problèmes d’incompatibilité. En effet dans de telles conditions, on maîtrise mieux les éléments du milieu que dans le cas de croisements « naturels » comme ils ont procédé (incompatibilités avant ou après fécondation) ».

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De même Daniel Evain, de la Confédération Paysanne, répond en citant les propos de Anne Duminy-Dubreucq : « Le tournesol et la chicorée appartiennent à la famille des Astéracées mais ne font pas partie de la même sous-famille, ce qui interdit les croisements directs ».

Certes, on peut imaginer qu’une technique comme le sauvetage d’embryon, qui n’est pas considérée par la réglementation européenne comme produisant des OGM, pourrait peut-être un jour permettre d’obtenir une endive demeurant viable après avoir été « fusionnée » avec un tournesol [4]. Mais pour l’instant, les plantes concernées ont toujours refusé de se plier à cette manipulation qui n’a donc pas quitté de domaine des hypothèses totalement théoriques.

C’est pourquoi le syndicat demande au gouvernement qu’il rende obligatoire l’information détaillée sur toutes les techniques d’obtention, de sélection et de multiplication des variétés commercialisées et qu’il « applique immédiatement la réglementation OGM » afin que ces endives soient évaluées et, si autorisées, étiquetées comme « OGM ».

[1Fin 2018, le classement des entreprises semencières mondiales était le suivant : En tête, Bayer, avec un chiffre d’affaires de 9,1 milliards d’euros (dont la marque Dekalb de Monsanto) ; en seconde position, Corteva, (7,3 milliards d’euros, anciennement Dow DuPont – qui possède la marque de maïs très répandue Pioneer) ; en troisième position, mais loin derrière, Syngenta (2 milliards d’euros) qui appartient désormais au groupe chinois ChemChina ; l’entreprise allemande KWS (1,4 milliard d’euros) suit en quatrième position ; et en 5e, ex-equo, avec 0,9 milliard d’euros, l’allemand BASF et Vilmorin dont Limagrain détient directement ou indirectement 74,02% du capital. https://www.willagri.com/2018/11/06/classement-mondial-des-semenciers

[2« La fusion de deux cellules ou davantage au moyen de méthodes qui ne sont pas mises en œuvre de façon naturelle » donne forcément un OGM régulé selon l’annexe IA 1 de la directive 2001/18.

[4Le tournesol est ici utilisé comme source femelle pour récupérer le cytoplasme.

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