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OGM : l’utilité ne doit pas faire oublier l’éthique

Par Olivier Leduc, OGM Dangers

Publié le 14/01/2020

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Le 16 octobre 2019, le Groupe européen d’éthique (EGE) a organisé une table ronde à Bruxelles sur l’« édition génique  » [1] chez les plantes, mais aussi les animaux et explicitement les humains. Le débat s’est à peu près limité à évaluer les avantages et inconvénients, dans une logique utilitariste. Cependant, certaines participations pourraient laisser penser que le rapport que prépare ce Groupe sera moins mièvre que les débats « éthiques » actuels, notamment ceux ayant présidé à la loi de « bioéthique » [2].

Différentes structures européennes (associations, sociétés savantes, fondations…) ont été invitées à s’exprimer le 16 octobre 2019, sur l’application des nouvelles techniques de modification génétique (NTMG) aux plantes, aux animaux non humains mais aussi aux humains (si, vous avez bien lu). Elles ont pu également poser des questions. Le groupe d’éthique (EGE) a entendu un représentant des associations de personnes handicapées, un de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), plusieurs d’associations de protection animale, mais aussi plusieurs chercheurs qui présentaient ce qu’ils pensaient obtenir des recherches qu’ils promouvaient… et quelques associations écologistes.

Un président multi comités d’éthique

La matinée était consacrée aux applications aux humains. Une chercheuse a montré des images très impressionnantes d’un embryon animal où des points lumineux mobiles étaient censés montrer la migration de cellules embryonnaires humaines. Les lumières sont toujours attrayantes. Il s’agissait de décrire un embryon chimère animal-humain comme cela est en train d’être autorisé en France par la loi de « bioéthique » ! [3].

Puis Hervé Chneiweiss a été présenté comme président du comité d’éthique de l’Unesco et conseiller auprès de l’OMS pour les questions d’éthique. Il a oublié de préciser qu’il a fondé l’association Arrige qui milite pour la légalisation de l’application des modifications génétiques aux humains, est membre du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) français, et est président du comité d’éthique de l’Inserm. Il dit ainsi dans Sciences et Avenir qu’« intervenir sur le génome humain est indispensable » en commentant la loi de bioéthique qui va légaliser cette pratique [4]. Un observateur inattentif pourrait croire qu’il est contradictoire puisqu’il demande également, avec l’OMS, que «  les autorités de réglementation de tous les pays [s’abstiennent] d’autoriser d’autres travaux » de modification génétique d’humain… Mais cet interdit sera levé dès que son groupe aura mis au point des règles qui les rendraient acceptables [5]. Veut-il s’assurer de ne pas être dépassé par des concurrents ou seulement travaille-t-il à l’acceptabilité ? On peut se demander si « l’éthique » n’est pas devenue la question oiseuse obligée pour faire passer le Progrès techno-scientifique. Le seul fait que le programme prévoie une session consacrée à de telles modifications aux humains est symptomatique.

Les règles de l’OMS

L’OMS, par la voix de M. Chneiweiss, préconise que si un chercheur n’a pas publié son essai dans un registre que gérerait l’OMS, il soit privé de possibilité de publier ses travaux et de demander des fonds publics. D’une part, il existe des revues qui seront prêtes à publier n’importe quel article, surtout s’il est sensationnel. D’autre part, il n’y a pas que des fonds publics pour financer une recherche. Cela lui a été objecté, mais il s’est dit « confiant ». M. Chneiweiss défend en fait la «  liberté de la recherche » même si elle s’oppose à la liberté du citoyen de ne pas vivre dans un monde où des enfants sont génétiquement modifiés… L’éthique ne devrait-elle préférer la liberté du citoyen à celle de la recherche ? Les deux sont-elles toujours compatibles ?

Avec l’OMS, il préconise la constitution d’un « registre central sur les recherches en matière de correction du génome humain  » pour une recherche « transparente et ouverte ». Une participante lui a demandé pourquoi une recherche transparente et ouverte serait forcément éthique. Sa réponse est qu’il a confiance dans «  la Recherche » … Bref c’est un acte de foi (en la Science et les scientifiques).

Il préconise quatre principes :

1. la transparence : quand on lève des fonds, il faut présenter ses travaux à ses pairs ;

2. un pilotage responsable de la science et l’inclusivité [sens à préciser pour M. Chneiweiss]. « Il serait irresponsable de procéder à une application clinique de l’édition génomique sur cellules germinales humaines » en attendant ses règles ;

3. partager les informations (notamment avec le site de recensement d’essais et des descriptions d’essais) ;

4. équité et justice sociale.

Le même continue avec l’énoncé : « Pour des applications somatiques [6], l’édition du génome humain va devenir une réalité dans le très proche futur ». Si c’est le futur, pourquoi s’y opposer ?

Des effets imprévisibles… seulement cherchés chez l’humain

Plus généralement, les intervenants scientifiques ont répété que les modifications génétiques induisent des effets hors-cible imprévisibles, mais aussi des effets en la cible. Ces effets sont clairement recherchés et trouvés pour les humains, mais puisque la considération pour les animaux non humains ou les plantes est faible, on ne les recherche pas chez ces derniers. D’ailleurs, si on les trouvait, cela pourrait « désespérer » le peuple. C’est probablement la raison pour laquelle ce n’est pas cherché.

Le forçage génétique : pas prouvé que ça marche !

Même M. Chneiweiss reconnaît que « les moustiques sont génétiquement divers comme nous le sommes et mutent tout le temps. Pour faire ce qu’on veut, le forçage génétique doit marcher tout le temps et pour une longue période, ce qui n’est absolument pas prouvé ». Encore une fois, cet intervenant ne veut surtout pas freiner le « Progrès ». Il veut juste pouvoir en contrôler les risques.

Les personnes handicapées : bientôt juste un souvenir ?

Autre sujet complexe : les personnes handicapées. Le représentant de l’association de personnes handicapées explique que « s’il y avait un handicap particulier qui pouvait être supprimé pour une personne particulière, je ne vois pas de souci ». Mais comme souvent, la temporalité est négligée. Puisqu’il est plus facile de détecter un handicap que de le soigner, la première chose qu’on verra sera la suppression des naissances de personnes handicapées. Un participant lui a donc demandé s’il voulait éradiquer les personnes handicapées ou le handicap. Il a répondu qu’il souhaitait éradiquer le handicap.

Les végétaux : parents pauvres de la recherche des risques

Le thème des applications végétales n’a rien apporté de bien nouveau car oscillant entre les risques sanitaires inconnus parce que non cherchés et l’éthique pour les végétaux qui est absolument nulle. Seul un participant a rappelé que l’expression d’« édition du génome » était trompeuse. Un éditeur, scientifique notamment, est une personne qui décide des marges, des caractères, des espaces, bref de la forme que prendra un texte. Il valide que le contenu mérite d’être publié. Mais jamais un éditeur ne changera le sens d’un article. Or l’« édition du génome  » fait justement cela. Quelle est la conséquence de cette manipulation ? Si ce n’est que de l’édition, alors les scientifiques ne font presque rien et on n’a donc pas de raison de surveiller… N’est-ce pas le but aussi des industriels ?

La présidente du groupe a rappelé que tout ce qui peut être fait ne doit pas forcément l’être. Cela peut sembler minimaliste, mais les technoscientifiques objectent soit que cela se fait ailleurs (et alors ?), soit que cela pourrait être utile (à qui, à quel terme et avec des inconvénients pour qui et à quel terme ?), soit qu’il ne faut pas être en retard dans la course avec la Chine ou les États-Unis. Bref, l’éthique n’étant pas première dans les décisions politiques, elle doit se juger à l’aune de l’utilité dont elle est pourtant l’ennemie et les éthiciens sont parfois réduits à dire des billevesées.

On notera tout de même un participant qui, en toute fin, a rappelé que « si l’on exige un étiquetage des OGM, ce n’est pas seulement pour les questions de risques. C’est pour notre Liberté. La liberté de savoir ce qu’on mange et la liberté pour nos amis paysans de savoir ce qu’ils sèment ».

On peut espérer que ce message sera reçu et transmis par l’EGE.

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