n°158 - janvier / mars 2020

Burkina Faso : des lâchers en vue du forçage génétique

Par Christophe NOISETTE

Publié le 10/04/2020, modifié le 01/12/2023

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Depuis juillet 2019, des moustiques mâles stériles transgéniques ont été lâchés au Burkina Faso, pour préparer, à terme, un lâcher d’une autre nature : celui d’autres moustiques, vecteurs du paludisme, mais forcés génétiquement afin que leur population se réduise. Sur le terrain, difficile d’en savoir plus…

Le 1er juillet 2019, à Bana, au Burkina Faso, le projet Target Malaria a disséminé dans l’environnement
6 400 moustiques mâles génétiquement modifiés par transgenèse pour être stériles. L’autorisation avait été donnée en août 2018 par l’Agence nationale de biosécurité. Concrètement, ce moustique a été modifié pour produire une enzyme qui 
« cible un site spécifique sur le chromosome X et le découpe en morceaux, rendant le mâle stérile. Il en est de même lors de la fertilisation de l’œuf, de sorte que les œufs pondus par les femelles inséminées par ce mâle sont non viables ». Ce n’est pas la même modification que celle déployée par Oxitec, qui a modifié génétiquement le moustique mâle Aedes aegypti [1].

Une consultation publique… 
mais un audit privé

Ce projet n’est qu’une première étape. Le but ultime est de créer une lignée de moustiques Anopheles gambiae génétiquement modifiés par forçage génétique, pour réduire drastiquement la population de moustiques vecteurs du paludisme. Cette technologie force les lois de
l’hérédité mendélienne, avec des descendants des moustiques disséminés portant majoritairement la modification génétique… Ainsi, contrairement à la stratégie d’Oxitec, il ne serait pas nécessaire de réintroduire aussi souvent des moustiques en grand nombre et à intervalles réguliers. 
Cette première étape n’a pas vocation à réduire la population de ces moustiques mais à favoriser l’acceptation sociale d’un projet d’éradication d’une espèce. Pour Delphine Tizy, salariée de l’Imperial College pour ce projet : « La population locale a montré son soutien au lâcher et le comité de suivi était présent pour ce lâcher (comité composé de membres de la communauté). Le lâcher a également été fait en présence de l’agence nationale de biosécurité et du comité d’éthique ». En amont du lâcher, Target Malaria avait organisé de nombreux débats dans les villages, en plénière ou par groupe (femmes, éleveurs, religieux, etc.). Delphine Thizy nous assure que « tout le monde a pu participer ». 
Depuis un an, un salarié du projet vit à Bana, l’un des trois villages prévus pour la dissémination, et « fait presque du porte à porte » pour sensibiliser la population..

Target Malaria a travaillé à partir de 2017 avec les linguistes et les communautés pour expliquer avec
« des mots suffisamment neutres » ce qui était prévu. Objectif : obtenir un
« consentement » signé, qu’Inf’OGM, malgré sa demande, n’a pu se procurer. De même, un audit aurait été fait par Target Malaria pour déterminer le niveau de compréhension de la population à ce projet. Mais cet audit « n’est pas public car il s’agit d’un document interne d’évaluation ».

Peu de contestation permise

Ce point de vue est totalement contesté par la société civile à l’instar du Collectif Citoyen pour l’Agro-Écologie (CCAE) et de la Coalition africaine pour la protection du patrimoine génétique (Copagen). Tapsoba Ali de Goamma, un des responsables du CCAE, a rencontré les villageois de Bana. Il précise à Inf’OGM que le consentement a été donné par un petit groupe, de 5 à 10 personnes, composé de chefs de village, de leaders paysans, de religieux, totalement acquis à la cause de Target Malaria. Il considère, aussi, que la majorité des villageois restent sceptiques et maîtrisent très mal ce sujet. On leur dit que ce projet va permettre d’éradiquer le palu, et ils ont envie d’y croire. Il nous raconte qu’un chef de village a demandé à la Copagen, dans une lettre qu’Inf’OGM s’est procurée, de ne pas publier les enregistrements audio et vidéo des échanges. 
Delphine Thizy reconnaît qu’au niveau local, les discussions avec les communautés et autres parties prenantes « sont ouvertes à tous » mais sans débat contradictoire car ils n’invitent « pas spécifiquement de personnes critiques ».

Le projet Target Malaria nous affirmait en juillet 2019 que des « recaptures intensives et journalières » de moustiques allaient être réalisées pendant une dizaine de jours. Mais, malgré nos demandes, nous n’avons reçu aucune précision sur ces captures…

Des fonds privés et publics pour Target malaria


Target Malaria est un consortium qui réunit 130 personnes de 14 institutions de différents pays, financé par la Fondation Bill & Melinda Gates et Open Philanthropy Project Fund à hauteur de 75 millions de dollars (et d’autres subventions sont attendues).

le site du projet précise aussi que « les laboratoires individuels ont également reçu des fonds supplémentaires de diverses sources pour soutenir le travail de chaque laboratoire, y compris, mais sans s’y limiter, du DARPA, du DEFRA, de la Commission européenne, du MRC, des NIH, du ministère ougandais de la santé, de l’UNCST, du Wellcome Trust et de la Banque mondiale [2]« .

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