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Crispr : plus d’effets hors-cible que prévus

Par Eric MEUNIER

Publié le 19/12/2019, modifié le 01/12/2023

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« Nous avons développé un nouvel outil pour détecter […] les modifications faites par Crispr et il montre qu’il peut y avoir plus de modifications non intentionnelles […] que nous avions pensé ». La déclaration émane de chercheurs qui viennent de publier un article dans le journal Nature. Alors que certains États membres et industriels souhaitent déréguler certains nouveaux OGM au motif qu’ils ne sont pas différenciables de ce que la Nature produit, cet article montre pourtant que Crispr laisse des traces non naturelles.

Le travail dont les chercheurs de l’Institut « d’édition du génome » aux États-Unis viennent de rendre compte appartient au domaine médical humain [1]. Leur objectif était de mettre au point un outil permettant de choisir la meilleure stratégie pour opérer une modification génétique avec Crispr dans le monde animal. Finalement, ils ont obtenu un outil qui leur a surtout servi à observer et analyser les modifications génétiques non intentionnelles obtenues. Des résultats qui alimentent la prudence quant à la précision et sécurité alléguées de cette technique.

Des modifications non intentionnelles nombreuses

Les utilisations de la technique Crispr sur l’humain imposent aux chercheurs d’être certain du résultat obtenu. Comme l’expliquait en 2017 Stanislas Lyonnet, directeur de l’institut de recherche Imagine sur les maladies génétiques, à propos de l’utilisation de Crispr en thérapie génique, la médecine humaine ne peut se payer le luxe de l’imprécision. Les chercheurs étasuniens ont donc conduit une expérience in vitro : ils ont coupé un ADN circulaire (plasmide) à l’aide d’un complexe Crispr/Cas9 ou Cas12 puis, en ajoutant des petites séquences d’ADN et des extraits de cellules humaines qui vont permettre à la réparation d’avoir lieu, ont obtenu de l’ADN ayant intégré ces petites séquences.

Avec Crispr/Cas9, sur l’ensemble des molécules d’ADN obtenues en fin d’expérience, la modification génétique désirée était présente dans au mieux 65,7% des cas, au pire dans 5,4% des cas. Souvent, ce sont des petites insertions ou délétions de quatre ou cinq paires de bases qui ont eu lieu, en aval du site de coupure par Crispr. Avec le complexe Crispr/Cas12a, la fourchette obtenue va de 18,8 % à 65 %, certaines modifications étant accompagnées d’insertions ou délétions plus grandes qu’avec Crispr/Cas9. Dans tous les cas, les modifications non intentionnelles observées étaient présentes à proximité du site de coupure visé.

Des résultats à extrapoler prudemment

Les chercheurs annoncent continuer leur travail de caractérisation. Ils se positionnent également prudemment sur les mécanismes en jeu. Comme ils le précisent, ils ne peuvent garantir que leurs observations dans un système utilisant des extraits de cellules puissent être transposées à une expérience similaire utilisant des cellules entières. Dans une cellule, l’ADN est en effet dans d’autres conditions que dans leur système qui peuvent influer sur la précision et l’efficacité de la modification génétique. Ils estiment par ailleurs que le type de modifications non intentionnelles observées pourraient ne pas survenir à chaque expérience. Mais, dans la balance, les chercheurs rappellent également qu’un travail sur cellule impliquerait d’autres problèmes comme celui lié à l’apport du complexe Crispr/Cas dans la cellule par exemple. L’entreprise Recombinetics qui voulait commercialiser des bovins sans corne mais avec des séquences génétiques en trop peut en témoigner [2].

Dans une interview [3], E. Kmiec explique que leur travail a révélé des « mutations subtiles » autour du site de coupure ciblé, très différentes des risques habituellement soulevés pour Crispr d’avoir des « mutations hors-cible en dérivant loin du site visé et en coupant aléatoirement le génome » (cf. encadré). Ce sont en fait des mutations non intentionnelles autour du site ciblé dont Inf’OGM a déjà parlé [4]. B. Sansbury, l’autrice principale de l’article, estime que Crispr permet d’atteindre un niveau de réparation réussie qui « aurait été inimaginable voici cinq ans », et ajoute que ces observations d’effets non intentionnels nombreux doivent être mieux compris de manière à ce que « lorsque nous réparons un problème, nous n’en créions pas un autre ». En résumé, les chercheurs considèrent que Crispr ne sera jamais parfait à 100 % mais rêvent d’un « taux de précision de 70 à 80 % » !

Ce travail a été effectué dans une visée médicale humaine où l’on recherche beaucoup plus les erreurs que chez les animaux ou les plantes, lorsque Crispr est utilisé comme outil de thérapie génique. Mais ces résultats alimentent également les débats pour le domaine végétal. Car il est difficile de croire que l’utilisation du même outil sur des cellules de plantes se fera sans aucun effet non intentionnel proche du site de coupure. Or, comme Inf’OGM l’a déjà renseigné, de tels effets peuvent servir de signatures pour mettre en place des protocoles de détection et traçabilité des OGM obtenus, à l’image de la reconnaissance faciale ou d’empreintes digitales. Dès lors, il ne serait plus utile de modifier la législation OGM pour dérèglementer ces derniers au prétexte, selon leurs promoteurs, qu’ils ne seraient pas différenciables de ce que la Nature peut faire.

Des effets hors-cible prévisibles, mais pas toujours…


Longtemps niés dans les communications grand public ou envers le monde politique, les effets hors-cible de Crispr sont maintenant largement reconnus et acceptés dans les publications scientifiques. Pour preuve, cet article publié par M. Hauessler de l’Université de Californie (avec un financement de la Chan Zuckerberg Initiative) [5]. L’auteur y explique que les séquences d’ADN n’ayant pas besoin d’être similaires à 100 % pour se reconnaître et se coller les unes aux autres, « des modifications par Crispr n’ont pas tardé à être trouvées dans des positions non ciblées » de manière non surprenante. Selon lui, les premières études montrant de tels effets hors-cibles remontent à 2013 avec notamment une série d’études en 2015 montrant la présence de plusieurs milliers de modifications hors-cible dans des cellules en culture. Dans la majorité des cas, explique-t-il ensuite, ces modifications hors-cible ont lieu dans des parties du génome où les séquences ressemblent à celles que le complexe Crispr est censé viser. Dès lors, ces modifications, après avoir été longtemps niées, pourraient aujourd’hui être prédites par de simples logiciels qui comparent les séquences d’ADN. Mais d’autres difficultés resteraient néanmoins à résoudre précise M. Hauessler, Crispr ne coupant pas toujours les séquences visées par exemple.

Pour M. Hauessler, une voie à adopter pour les chercheurs devrait consister à utiliser des logiciels « construisant » les complexes Crispr. Une fois le protocole de modification génétique effectué, les chercheurs devraient croiser suffisamment de fois les organismes obtenus (croisement consanguin) pour « éliminer suffisamment d’effets hors-cible » puis faire une analyse à haut-débit pour trouver d’autres potentiels effets hors-cibles non prévus.

On peut tout de même rester dubitatif. Car finalement, après avoir été niés, les effets hors-cibles seraient aujourd’hui prévisibles mais certains non prévus pourraient tout de même apparaître… Finalement, la seule certitude concernant l’utilisation de Crispr pour insérer des mutations spécifiques ou des séquences d’ADN, c’est qu’il y aura toujours des effets hors-cibles…

[1« Understanding the diversity of genetic outcomes from CRISPR-Cas generated homology-directed repair », B. Sansbury et al., Communications Biology volume 2, Article n°458 (2019)

[5« CRISPR off-targets : a question of context », M. Hauessler, Cell Biol Toxicol (2019).

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