Actualités

OMPI : des brevets plus transparents en 2021 ?

Par Eric MEUNIER

Publié le 16/12/2019

Partager

L’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) souhaiterait adopter en 2021 un système international unique de brevet. Un système qui obligerait de déclarer le matériel d’origine végétale, animale, microbienne « ou autre » utilisé pour mettre au point une invention pour laquelle un brevet est demandé. Initiées depuis de nombreuses années, les négociations étaient restées bloquées en 2018, certains pays dont les États-Unis s’opposant à une telle obligation. Les discussions viennent de reprendre.

L’Assemblée générale 2019 de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) a relancé la discussion sur un système unique international de brevet. Un débat commencé en 2002, quand la Convention sur la Diversité Biologique demandait à l’OMPI de réfléchir à rendre ou non obligatoire la divulgation d’informations pour obtenir un brevet.

Un différend majeur acté en 2018

Fin 2018, les membres de l’OMPI s’étaient quittés sur de forts désaccords quant à savoir si les ressources génétiques ayant servi à mettre au point une invention devaient être obligatoirement divulguées ou non [1]. Plusieurs pays d’Asie, Afrique, d’Amérique du Sud, des Caraïbes, du Pacifique et la Russie se déclaraient inquiets que des brevets continuent d’être délivrés sans que l’origine du matériel utilisé pour mettre au point une invention ne soit obligatoirement déclarée. Dans le domaine du vivant, ces pays estiment qu’une telle absence de déclaration est la porte ouverte à la biopiraterie et au pillage sans partage des avantages de leurs ressources génétiques. Sans compter que pour eux, de tels brevets peuvent également mettre en danger l’accès à – et l’utilisation de – toutes les plantes qui contiennent ces informations, y compris le matériel d’origine (voir encadré).

Pourquoi les séquences numérisées inquiètent ?


Depuis plusieurs années, les ressources mises dans la numérisation des génomes sont croissantes. À tel point qu’en 2018, il était annoncé que dans le cadre du EarthBioGenome Project, les génomes de tous les êtres vivants sur Terre seraient décryptés en dix ans, pour un montant de 4,7 milliards de dollars [2]. Ce séquençage à grande échelle des génomes alimente des bases de données informatiques où les génomes sont à disposition. Les entreprises ont donc ainsi accès à un nombre croissant de génomes d’organismes vivants. La crainte de plusieurs pays souhaitant lutter contre la biopiraterie de leurs ressources génétiques est assez simple. Ils craignent en effet que des entreprises puissent mettre au point des « inventions » en utilisant les séquences génétiques numérisées. Le système actuel des brevets fonctionne de telle manière qu’après avoir obtenu un brevet pour une telle invention, une entreprise serait en position de revendiquer le droit exclusif d’utilisation de tout organisme contenant la séquence génétique telle qu’enregistrée dans l’ordinateur. Y compris la ressource génétique à la base de l’invention ! De ce fait, on comprend mieux pourquoi ces pays demandent la divulgation obligatoire des ressources génétiques utilisées car c’est le seul moyen de pouvoir bénéficier du partage des avantages. On comprend également mieux pourquoi la discussion sur le statut « ressource génétique » des séquences numérisées est important.

Une problématique générale qui rejoint de fait le sujet des nouveaux OGM. Ces derniers, qui font l’objet de brevets, doivent être obligatoirement étiquetés et traçables en Europe. Obligation qui contraint le titulaire du brevet à indiquer par quels moyens son invention peut être distinguée des autres produits, y compris donc des ressources génétiques à l’origine de l’invention et des autres organismes contenant une information génétique semblable, naturellement ou suite à des procédés traditionnels de croisement et de sélection. Un étiquetage et une obligation de traçabilité qui signent donc la présence de brevets. Un étiquetage dont les entreprises aimeraient donc bien se débarrasser…

À l’inverse, la Suisse, les États-Unis, le Canada, le Japon, les États membres de l’Union européenne, les pays d’Europe Centrale et États baltes s’opposaient à une telle obligation de divulgation. Ils militaient pour que l’OMPI crée plutôt « des bases de données et des systèmes d’information relatifs aux ressources génétiques […] afin d’aider les examinateurs de brevets à découvrir « l’état de la technique » pertinent » au moment de l’examen d’une demande de brevet. La préférence de ces pays était de doter les offices nationaux de brevets des moyens d’aller chercher l’information sur le matériel à l’origine d’un brevet plutôt que d’imposer aux demandeurs de ces brevets de la révéler obligatoirement.

Des discussions dans un contexte tendu

Dans ce contexte tendu, la modestie des positions énoncées à l’AG 2019 peut se comprendre [3]. Tous les pays se sont en effet félicité que les discussions aient tout simplement continué au sein du comité intergouvernemental. L’OMPI a donc voté la prolongation pour 2020 – 2021 du mandat de son Comité intergouvernemental sur les ressources génétiques (IGC) présidé par Ian Goss. Sur cette période, ce comité aura pour mission « d’accélérer ses travaux en vue de finaliser un accord sur un ou plusieurs instruments juridiques internationaux […] propres à garantir une protection équilibrée et effective des ressources génétiques ». Une réjouissance partagée donc mais qui n’a pas empêché certains pays de rappeler la fermeté de leur position, à l’instar de l’Inde soulignant que « l’absence d’instruments juridiquement contraignants, l’appropriation illicite et le piratage continus des ressources génétiques et des savoirs traditionnels créerait un déséquilibre dans le système mondial de la propriété intellectuelle ». Quant à l’Union européenne, elle s’est déclarée « prete à poursuivre les discussions sur la base de [nouvelles versions révisées des textes sur les ressources génétiques] » et a adressé ses remerciements au « président de l’IGC pour son projet de texte sur les ressources génétiques ». Car Ian Goss a en effet pris l’initiative personnelle de proposer un texte réglementaire [4] avec l’espoir de faciliter ainsi une future prise de décision.

Vers une divulgation complète et un outil de vérification ?

Pour ce dernier, ce sont les modalités d’une obligation de divulgation internationale qui n’avaient pas été comprises en 2018. Une incompréhension qui avait participé à empêcher « les décideurs et les utilisateurs de prendre des décisions éclairées concernant les coûts, les risques et les avantages de cette obligation ». Avec sa proposition, il espère donc clarifier ces modalités.

Il détaille ainsi que le principe international d’une divulgation obligatoire serait que toute demande de brevet « sensiblement / directement  » fondée sur des ressources génétiques doit être accompagnée d’une divulgation de l’origine géographique ou, à défaut, de la source de ces ressources. « Sensiblement / directement » implique notamment que la ressource génétique se soit avérée nécessaire ou importante pour mettre au point l’invention. Il propose également que les ressources génétiques soient définies comme du matériel génétique « d’origine végétale, animale, microbienne ou autre contenant des unités fonctionnelles de l’hérédité ».

Cette définition évoque implicitement le débat sur les informations de séquences numérisées. La possible origine « autre » dans la définition proposée pourrait juridiquement concerner, par exemple, les molécules produites par biologie de synthèse, mais aussi les séquences enregistrées dans des bases de données informatiques permettant de « reconstruire » au laboratoire des organismes contenant certains caractères génétiques déterminés sans avoir besoin d’accéder aux ressources génétiques physiques elles-mêmes. Des ressources génétiques qui, rappelons-le, contiennent et ont fourni l’information sur les séquences génétiques associées à ces caractères ! Une définition qui « pourrait » les concerner donc car un flou persiste néanmoins dans la proposition de Ian Goss : une séquence génétique numérisée dans un ordinateur est-elle du « matériel génétique » ? La réponse est loin de faire l’unanimité comme l’ont montré les positions des États sur ce sujet au sein de la Convention sur la Diversité Biologique [5] et du Tirpaa [6]. L’OMPI, qui réunit les mêmes acteurs que ces deux autres instruments internationaux, saura-t-elle surmonter ces blocages ? Les discussions à venir le diront (voir encadré ci-dessous).

Des limites à venir ?

La proposition de Ian Goss reprend également l’idée de systèmes d’information mise en avant en 2018 par les pays opposés à la divulgation de l’origine des ressources génétiques. Sans détailler s’il existe un lien entre ce système d’information et l’obligation de divulgation, le Président de l’IGC se contente de proposer que les États puissent « établir des systèmes d’information (tels que des bases de données) en matière de ressources génétiques ». Et d’ajouter que les États pourraient décider de constituer un groupe de travail pour se mettre d’accord sur les modalités d’alimentation de système d’information via « des bibliothèques numériques et des bases de données d’informations relatives aux ressources génétiques »…

Un paradoxe émerge ici. Car une telle proposition induit que les États qui n’auront pas renseigné dans ces bases de données numériques les données concernant l’état de la biodiversité sur leur territoire pourraient ne plus avoir les moyens de contester un brevet comme s’appropriant une de leurs ressources génétiques puisque n’ayant pas déclaré ces dernières dans ces bases. Mais paradoxalement, ceux qui rendront ces informations publiques permettront à des tiers de les utiliser pour obtenir en bout de course des brevets sur des informations génétiques associant séquence et fonction d’un gène. Alors que ce système est censé lutter contre le far-west des brevets sur le vivant, il pourrait au contraire l’asseoir encore plus solidement.

D’autant qu’une limite supplémentaire est contenue dans la proposition de Ian Goss, celle de la vérification des déclarations. Il propose en effet que les offices de brevets ne soient pas dans l’obligation de « vérifier l’authenticité de la divulgation » afin de « minimiser les coûts/charges transactionnels (…) et [d’éviter] tout retard de traitement déraisonnable pour les déposants ». Surtout, Ian Goss estime « que les offices des brevets ne possèdent pas l’expertise inhérente nécessaire pour prendre de telles mesures » de vérification. Cette vérification pourrait alors être confiée aux seuls contentieux juridiques entre acteurs où le dernier mot peut souvent revenir à celui qui dispose des meilleurs moyens de financer et de supporter la longueur de procédures juridiques.

Le système proposé par Ian Goss semble donc répondre à la demande des pays souhaitant une divulgation obligatoire des ressources génétiques utilisées pour mettre au point une invention. Mais ces pays devront être vigilants à ce que le bases de données qui en découleraient ne se retournent pas contre eux. Surtout si les offices nationaux n’ont ni l’obligation, ni l’expertise pour vérifier les déclarations. À ce jour, la proposition faite par le Président de l’IGC a réjoui tous les États. Mais elle ne préjuge pas des accords ou désaccords qui pourraient être mis sur la table. Et cette question sera aussi abordée dans d’autres instances, telles que la FAO, la Convention sur la diversité biologique ou le Tirpaa. C’est dire si les enjeux économiques des brevets sont d’importance majeure…

Calendrier du Comité intergouvernemental sur les ressources génétiques de l’OMPI en 2020 et 2021 sur les ressources génétiques


Février / mars 2020 : 41e session de l’IGC : mener des négociations sur les ressources génétiques en mettant l’accent sur les questions non résolues et en examinant des options relatives à un projet d’instrument juridique.

Mai / juin 2020 : 42e session de l’IGC : mener des négociations sur les ressources génétiques en mettant l’accent sur les questions non résolues et en examinant des options relatives à un projet d’instrument juridique (plus, le cas échéant, une réunion d’une journée d’un groupe spécial d’experts).

Octobre 2020 : Assemblée générale de l’OMPI.

Juin / juillet 2021 : 46e session de l’IGC : dresser un bilan concernant les ressources génétiques, les savoirs traditionnels et les expressions culturelles traditionnelles et formuler une recommandation.

Octobre 2021 : l’Assemblée générale de l’OMPI fera le point sur l’avancement des travaux, examinera le(s) texte(s) et prendra la (ou les) décision(s) qui s’impose(nt).

Actualités
Faq
A lire également