n°157 - novembre / décembre 2019

Le Chili : un exportateur de semences transgéniques

Par Lucía Sepúlveda Ruiz*
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Publié le 30/12/2019

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Le Chili ne cultive pas d’OGM transgéniques pour son marché intérieur, mais autorise la culture d’OGM (essentiellement maïs, soja, colza) pour la production de semences produites en contre-saison pour l’exportation… dont une partie pour l’Union européenne. Le Chili permet également l’importation de nombreuses plantes transgéniques… non étiquetées sur son marché intérieur.

Le Chili ne cultive pas d’OGM transgéniques pour son marché intérieur, mais autorise la culture d’OGM (essentiellement maïs, soja, colza) pour la production de semences produites en contre-saison pour l’exportation… dont une partie pour l’Union européenne. Le Chili permet également l’importation de nombreuses plantes transgéniques… non étiquetées sur son marché intérieur.

Depuis 1992, l’industrie transnationale des semences a multiplié les semences transgéniques au Chili, mais seulement pour l’exportation et la recherche. Cette division internationale du travail est due au caractère « contre-saison » du marché chilien par rapport aux marchés des pays du Nord.

La réglementation en vigueur au Chili n’autorise pas la culture de plantes génétiquement modifiées pour le marché intérieur. Toutefois, de nombreux aliments composés d’ingrédients d’origine transgénique sont importés au Chili sans aucune évaluation toxicologique, et sont vendus sans aucun étiquetage. L’alimentation des animaux avec du maïs transgénique est également autorisée.

Côté étiquetage, la loi 20 060 sur l’étiquetage des denrées alimentaires oblige à une information sur de nombreuses caractéristiques (niveaux de sodium, de graisses saturées et de glucides), mais omet la présence ou non de transgènes. Les entreprises du secteur agroalimentaire transnational empêchent depuis des décennies l’avancement de normes spécifiques en matière d’étiquetage issues du ministère de la Santé ou examinées au Parlement.

Dans le même temps, la forte pression sociale, provoquée par un rejet de la majorité de la population vis-à-vis des aliments transgéniques, a empêché la promulgation de la loi sur la biosécurité, qui prévoyait notamment l’autorisation de cultures transgéniques destinées au marché intérieur.

Paradoxalement, depuis 1991, l’État a alloué plus de 16 millions de dollars [1] à des projets de recherche menés par des partenariats public-privé, ainsi que par des universités qui s’emploient à obtenir des variétés transgéniques : de maïs ; de cultures fruitières (pomme de terre, melons, vignes, pêches, prunes, cerises entre autres) ; et d’arbres (pins et eucalyptus).

Les caractéristiques recherchées vont de la résistance à des maladies (virales, bactériennes ou fongiques) à la résistance à des facteurs abiotiques, comme la salinité, le froid ou la sécheresse. Certains projets cherchent également à satisfaire les goûts du consommateur (pomme plus sucrée, raisin sans pépin) ; ou à enrichir les pommes en vitamine A ou le colza en caroténoïdes [2].

En parallèle, les domaines de recherche liés à l’agriculture biologique, à l’agroécologie ou à la sauvegarde des semences sont délaissés.

Une partie de semences OGM 
est exportée vers l’Union européenne

Le Chili est le premier producteur latino-américain de semences de contre-saison pour les pays du Nord. Les chiffres de production de semences transgéniques pour l’exportation varient d’une année sur l’autre, en fonction du climat des pays destinataires lors de leur cycle agricole précédent. En 2018, le Chili a exporté près de 24 000 tonnes de semences de maïs génétiquement modifié durant la contre-saison pour diverses destinations [3]. La majeure partie des exportations (18 000 tonnes) se fait vers les États-Unis, l’Afrique du Sud (4 700 tonnes) et dans une moindre mesure en Argentine (194 tonnes) et au Canada (125 tonnes). Seulement 241 tonnes ont été exportées dans l’Union européenne : plus de 147 tonnes vers l’Espagne, 93 tonnes en France (mais 275 tonnes en 2014) et près de 600 kg en Allemagne (mais 12 tonnes en 2015). Dans le cas des semences de tomates, le Service de l’agriculture et de l’élevage (SAG) nous a informé qu’elles étaient utilisées pour des expérimentations en milieu confiné (notamment en Allemagne) : on peut aussi faire l’hypothèse que certaines de semences ont été réexportées dans des pays tiers (voir la photo d’un sac de semences de maïs découvert dans l’usine de Monsanto à Trèbes) : interrogée, la DGCCRF n’a pas répondu.

Toujours en 2018, le Chili a exporté également des semences de colza transgénique (6 500 tonnes), principalement au Canada : et de soja (6 000 tonnes), essentiellement aux États-Unis. De façon très anecdotique, Belgique, France et Suède ont importé quelques kilos de colza transgénique en 2014, 2015 et 2016. Et la Belgique, quelques kilos de soja ces mêmes années. Là encore, la question de la destination de ces semences reste un mystère…

En 2016, Monsanto était déjà le principal exportateur de semences hybrides et transgéniques multipliées au Chili. À noter que l’Association nationale des producteurs de semences, ANPROS, comprend dans ses membres Monsanto/Bayer, ainsi que le semencier allemand KWS, qui effectue des essais au champ de cultures transgéniques au Chili.

Le principal exportateur de semences chiliennes est… Bayer / Monsanto

Actuellement, la principale société exportatrice de semences transgéniques est la multinationale allemande Bayer / Monsanto, dont la fusion a été autorisée au Chili en juin 2018. En septembre 2018, Bayer / Monsanto a inauguré avec l’aide des hautes autorités nationales une nouvelle usine de semences, nommée Demand Fulfillment (traduction littérale : satisfaction de la demande !), à Viluco, dans la Région métropolitaine [4]. L’usine de Bayer / Monsanto, agrandie pour un coût de 8,5 millions de dollars, est la plus importante usine de semences de légumes en Amérique latine et la troisième dans le monde. Mais elle a échappé au système d’évaluation d’impact sur l’environnement : le non-respect de la loi illustre la complicité fréquente qui existe entre l’État et les investisseurs. D’autres usines de semences ont été construites sans étude d’impact, comme l’usine de la société nationale ANASAC ou encore les installations de Monsanto dans d’autres communes du pays telles que Graneros, Rengo et Lautaro. Les vives réactions citoyennes n’ont pas réussi à empêcher ces différentes constructions [5].

Difficile indépendance semencière

La plupart des variétés de plantes ornementales enregistrées au Chili sont originaires de l’extérieur du pays. Principal fournisseur, l’Europe, même si certaines semences ont été obtenues à partir de variétés indigènes chiliennes, telles que l’alstromère (muguet). Globalement, en dehors des OGM, l’agriculture conventionnelle au Chili est extrêmement dépendante des semences privatisées par les obtenteurs, principalement des transnationales. Le registre du ministère de l’Agriculture (SAG) indique que sont d’origine étrangère 96 % des variétés ornementales, 95 % des variétés de fruits, 60 % des variétés agricoles (parmi lesquelles des variétés de pomme de terre, le Chili étant pourtant l’un des centres d’origine de la pomme de terre) et 100 % des variétés utilisées dans les monocultures forestières.
 40 % seulement des variétés agricoles correspondent à des variétés d’origine nationale, la plupart développées il y a des décennies par l’INIA, un institut de recherche public.

Le prix élevé des semences industrielles et de leurs intrants chimiques a un impact considérable sur la crise actuelle de l’agriculture. Les organisations sociales qui s’opposent au Traité de libre échange Trans Pacifique (TTP) [6] ont souligné que le renforcement de l’industrie agro-alimentaire d’exportation, qui utilise beaucoup de pesticides et d’engrais, est exactement le contraire de ce qui est nécessaire lorsque le changement climatique commence à se manifester. ANPROS, organisation professionnelle des semenciers, a argumenté en faveur du TTP au Sénat.

Face aux nouvelles conditions du changement climatique, il est nécessaire de renforcer les pratiques agroécologiques et celles de la sauvegarde des semences indigènes et traditionnelles. Ces arguments ont été soulevés avec force par les dirigeant.e.s mapuches, peuple autochtone, dans le débat sur le TTP, défendant les biens communs de leur territoire, dont les plus importants sont la semence et l’eau.

Un « protocole gouvernemental » promet une nouvelle loi sur les semences qui comprend un registre des variétés traditionnelles dont la gestion serait confiée à l’INIA, ce qui a également été rejeté par les organisations paysannes. L’INIA, par le biais de sa banque de données, remplit un rôle de fournisseur de semences traditionnelles et indigènes pour les entités transnationales, les gouvernements et les universités qui cherchent à produire de nouvelles variétés. Autrement dit, les paysans et paysannes et les communautés autochtones ne souhaitent pas entrer dans le système de la propriété intellectuelle ou être une source pour la banque qui fournit la matière première gratuite aux multinationales semencières ; ils préfèrent mener un processus autonome de récupération, de multiplication et de protection de leurs semences, en fonction de leurs besoins propres.

[2Ibid.

[3Chiffres officiels du SAG – Service de l’agriculture et de l’élevage – l’entité chargée de la réglementation du marché des semences et des pesticides.

[4Une des 16 régions du Chili, dont la capitale est Santiago.

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