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Les revues scientifiques ignorent-elles trop les résultats négatifs ?

Par Eric MEUNIER

Publié le 21/10/2019, modifié le 01/12/2023

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« Nous avons besoin de plus d’honnêteté en science ». C’est par cette affirmation que Devang Mehta, jeune chercheur de l’Université d’Alberta au Canada, conclut une tribune récemment publiée dans le journal scientifique Nature. Il y explique les difficultés rencontrées pour rendre publics des résultats rendant compte de l’échec d’une modification génétique du manioc par la technique Crispr-Cas9 (dite des « ciseaux moléculaires »). Si l’article a finalement été publié en avril 2019, il avait, avant cela, essuyé plusieurs refus.

Publier des résultats de recherche est important pour les scientifiques. Cela valorise leur travail, contribue à leur réputation et leur permet de décrocher des financements. Mais, une hypothèse de départ bien formulée et un protocole d’expérience bien mis en œuvre ne sont pas toujours garants que les résultats obtenus intéresseront les journaux scientifiques. Le parcours suivi par D. Mehta pour faire publier ses résultats montre qu’il faut également que ces résultats illustrent une réussite, un succès.

Le succès, un diktat en science ?

Plusieurs stratégies avaient été suivies pour tenter de rendre le manioc résistant au virus de la mosaïque du manioc africain. Mais D. Mehta et ses collègues ont constaté que si certaines de ces approches relevant des « biotechnologies se sont montrées efficaces », les virus ont finalement réussi à s’adapter. Les scientifiques ont donc choisi de tester une nouvelle approche en modifiant génétiquement du manioc, cette fois par Crispr. Les résultats de leur expérience ont montré que cela ne marchait pas (voir encadré ci-dessous) et il s’est dès lors avéré très compliqué pour D. Mehta et ses collègues de faire publier leur article. Dans sa tribune récente [1], D. Mehta raconte qu’ils ont tenté de publier leurs résultats dans trois journaux différents et que leur travail a donc fait l’objet de nombreuses relectures. Selon le chercheur, si l’article n’a pas été publié plus tôt, la faute n’est pas à chercher dans la qualité de leur travail scientifique car « chaque relecteur soulignait que notre travail était méthodologiquement correct ». Une seule explication possible pour lui, la nature même des résultats posait problème puisqu’il « devenait alors évident que nos résultats étaient un message que personne ne voulait partager ». Une situation que regrette D. Mehta. Pour ce chercheur, ces résultats obtenus sont importants puisque permettant à d’autres chercheurs d’avancer, de formuler des hypothèses, des questions… Mais ils ne racontent pas une « success story  ». Il s’agit là « d’un des pires aspects de la science d’aujourd’hui, sa définition toxique du “succès” » estime le chercheur canadien.

Une tendance générale

Dans sa tribune publiée début octobre 2019, le scientifique rappelle qu’une étude menée en 2012 par Daniele Fanelli avait montré qu’en 2007, 85% d’un ensemble de plus 4 000 articles publiés annonçaient des résultats positifs. Un symbole de ce que D. Fanelli considérait être une perte d’objectivité des revues scientifiques. Regrettant les pressions que subissent les chercheurs à publier des résultats positifs, D. Mehta estime que des articles exposant des résultats négatifs sont tout aussi intéressants pour le travail scientifique. Une approche qui aurait également le mérite, selon lui, d’éviter une mauvaise compréhension et utilisation des résultats.

Pour concrétiser son appel à plus « d’honnêteté en science », D. Mehta liste dans sa tribune quelques pistes. Il en appelle ainsi à ce que les « relecteurs et éditeurs s’engagent à publier des résultats négatifs […] les conférences académiques organisent des discussions honnêtes sur les expériences ratées (…) [et] les agences de financement soutiennent les scientifiques qui produisent des résultats négatifs ».

Du manioc génétiquement modifié inefficace


L’équipe de chercheurs s’est penchée sur les cas de contamination de culture de manioc par des virus de la famille des géminivirus. Leur objectif était de modifier génétiquement le manioc pour résister à un virus particulier, celui de la mosaïque du manioc africain. Pour cela, ils ont utilisé la transgenèse pour faire exprimer dans les cellules de manioc un complexe Crispr/Cas9 ciblant les virus entrants afin de les inactiver. Leurs résultats ont été publiés en avril 2019, dans la revue Genome Biology [2]. Ils y indiquent que « le système Crispr a échoué à conférer une résistance au virus après inoculation sous serre » du manioc africain. Ils ont aussi observé que certains virus avaient développé une résistance à Crispr/Cas9. Point remarquable, les chercheurs précisent avoir observé que des virus devenus résistants dans plusieurs plantes avaient développé cette résistance par le biais d’une même mutation.

Les chercheurs résument avoir observé que l’utilisation du système Crispr a abouti « à la sélection de virus mutés résistants au clivage [par Crispr/Cas9] en quantité abondante ». Ils précisent également que la rapidité de multiplication des virus s’est avérée supérieure à celle du système Crispr à les tuer. Un phénomène qui a participé à ce que cette stratégie de résistance via Crispr ne fonctionne pas. Surtout, ils concluent en recommandant d’être « très prudent dans l’utilisation de Crispr/Cas9 pour induire une résistance à des virus, que ce soit en serre ou au champ, de manière à éviter de provoquer une évolution de virus résistants ».

[1« Highlight negative results to improve science », D. Mehta, Nature, Career Column, 4 octobre 2019.

[2« Linking CRISPR-Cas9 interference in cassava to the evolution of editing-resistant geminiviruses », D. Mehta et al., Genome Biology, vol 20, Article number 80 (2019).

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