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Bientôt un blé transgénique argentin ?

Par Frédéric PRAT

Publié le 12/09/2019

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Et si l’Argentine était le premier pays au monde à autoriser la commercialisation d’un blé transgénique ? Il ne manque plus en effet qu’une signature pour accorder cette autorisation. Mais les craintes de perdre un marché vital d’exportation, notamment vers le Brésil, pourraient faire reculer le gouvernement argentin.

HB4, c’est le nom de code d’un transgène dont les droits sur le blé sont exploités par Trigall, une entreprise conjointe des semenciers Bioceres (Argentine) et Florimond-Desprez (France, 14e semencier mondial [1]).

Un blé miracle…

Plus de dix années de recherche ont été nécessaires à l’Université nationale du Littoral (UNL) et au Conseil national de recherches scientifiques et techniques (Conicet), instances publiques, pour mettre au point ce blé transgénique censé pousser dans des conditions de stress hydrique (en langage moins savant « tolérant la sécheresse »), grâce à l’insertion d’un gène de tournesol ; et tolérant aussi les herbicides à base de glufosinate d’ammonium [2].

Le gène de tournesol est nommé HaHB-4. Il a été découvert «  presque par hasard  » [3] en 2004 [4] par Raquel Chan, chercheuse à l’UNL, docteure de l’Université de Strasbourg. Selon une étude de février 2019 [5], ce gène, introduit dans du blé, permet d’augmenter les rendements en moyenne de 16 % dans des conditions de stress hydrique. Il a aussi des effets similaires sur le maïs et le soja. Interrogée sur les expérimentations, Raquel Chan précise à Inf’OGM, qu’« il y a des environnements où les différences entre transgéniques et non transgéniques furent de 90 % (lieux où la productivité est très faible, environnement défavorable), et d’autres où cette différence est de zéro ou proche de zéro. 20 % (sic) est une moyenne de ces lieux où se firent les expérimentations ». Pour développer commercialement cette découverte, l’UNL s’est associée à Bioceres, une entreprise argentine fondée par une cinquantaine d’entrepreneurs dont quelques millionnaires de l’agrobusiness [6] pro-OGM. La demande de brevet [7] a été déposée en 2013 conjointement par Bioceres, Conicet et l’UNL. Et accordé en mai 2015 [8] à ces mêmes entités. Bioceres a créé par la suite deux joint venture : l’entreprise Verdeca (avec l’entreprise étasunienne semencière Arcadia), pour développer le soja HB4 ; et l’entreprise Trigall, avec la société française Florimond-Desprez, pour développer le blé HB4. Interrogée par Inf’OGM, Florimond-Desprez n’a pas souhaité détailler ce montage.

Au niveau mondial, le transgène HB4 est autorisé commercialement dans trois pays et sur une seule espèce, le soja, à la fois pour la culture, l’alimentation humaine et/ou animale : Argentine (depuis 2015, sur soja HB4 [9] et HB4 x GTS 40-3-2), Brésil (2019, les deux mêmes sojas) et États-Unis (approbation en 2017 sur le soja HB4 par la FDA et le 9 août 2019 par l’USDA).

Le soja HB4 n’est cependant pas encore cultivé : le pdg de Bioceres attend en effet son approbation en Chine, qui selon lui devrait arriver en 2020 [10]. Il a confirmé à Inf’OGM le 16 septembre : « nous travaillons avec les autorités locales et les pays acheteurs de blé argentin pour pouvoir assurer la commercialisation dès que possible. Mais nous n’avons pour le moment aucune date potentielle pour l’approbation finale« .

… mais pas encore autorisé à la culture

Le blé HB4 a passé toutes les étapes techniques et réglementaires en Argentine pour être autorisé à la culture, notamment l’analyse comparative du blé GM vs son équivalent presque isogénique et d’autres blés cultivés dans la région, avec aucune différence significative [11]. Selon la procédure, la Commission nationale de biotechnologies (Conabia) a supervisé cette autorisation. La Conabia, composée de 34 membres, dont 26 issus de l’industrie est, comme son homologue européenne l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA), critiquée par les opposants aux cultures transgéniques pour ses potentiels conflits d’intérêts [12].

Manque donc la dernière étape : l’autorisation du département des marchés agricoles, dépendant du ministère de l’Agriculture… pris entre deux feux. D’un côté, l’envie de devenir le premier pays au monde à autoriser la culture et la commercialisation d’un blé GM tolérant la sécheresse, mettant en avant une technologie argentine. De l’autre, les risques énormes de se voir fermer des marchés d’exportations (voir encadré final), puisque ce blé GM n’est pour le moment autorisé dans aucun pays du monde, même si des demandes sont en cours en Uruguay, Paraguay, Brésil et États-Unis.

L’Uruguay vient de boucler une consultation publique pour pouvoir autoriser le lancement des essais avec ce blé GM. Le 26 juin 2019, et malgré de nombreux commentaires défavorables, la commission d’évaluation des risques en biosécurité (ERB) concluait que rien ne s’opposait à ces essais [13]. Et au Paraguay, le ministère de l’Agriculture a révélé en février 2019 que ce blé HB4 avait également passé tous les contrôles de biosécurité, et qu’il était « en évaluation pour sa dissémination commerciale » [14].

Par ailleurs, si ce blé GM était autorisé en Argentine, il n’y serait pas étiqueté, conformément à la loi nationale.

L’ex-attaché agricole argentin de l’Union européenne, Gustavo Idígoras, expliquait récemment [15] que l’Argentine avait « 38 marchés extérieurs de blé et que les alimenter avec des logistiques distinctes générait de nouveaux défis ». Notamment avec le Brésil. Car ce pays, traditionnellement importateur de blé, se fournit principalement en Argentine (84 % des sept millions de tonnes de blé importé en 2018 [16], sur un total de 13 millions de tonnes de blé argentin exportées en 2019 [17], pour 19 millions de tonnes produites [18]). Mais les rapports Brésil/Argentine ne sont pas toujours au beau fixe : en mars 2019, le président brésilien Jair Bolsonaro a signé un accord avec les États-Unis pour acheter 750 000 tonnes de blé étasunien exempté de taxes. Et par ailleurs, le Brésil n’a pas approuvé ce blé HB4 : rien qu’avec le Brésil, la moitié des exportations argentines de blé est donc en jeu, soit une somme autour de 450 millions d’euros annuels.

Des positions très contrastées

Du coup, les clivages classiques entre pro et anti OGM ne suffisent pas pour expliquer les méandres de ce dossier du blé GM. Le gouvernement argentin actuel est globalement très pro-agrobusiness et OGM : 20 autorisations d’OGM ont été accordées depuis son accession au pouvoir en décembre 2015, sur les 55 accordées depuis 1996. Et si le président Macri a créé un potager biologique « sans OGM  » dans sa résidence présidentielle, il n’a pas hésité, en avril dernier, à qualifier « d’irresponsable » un jugement qui protégeait les écoles contre les pulvérisations de pesticides [19].

Cependant, il existe des dissensions à l’intérieur même du gouvernement : le secrétaire de l’agro-industrie, Luis Miguel Etchevehere, est contre l’autorisation du blé GM, tandis que le ministre de la production, Dante Sica et le secrétaire des Sciences, Lino Barañao, sont pour.

Côté industrie, la Fédération de l’Industrie de la meunerie (FAIM), s’est également positionnée contre l’autorisation. Mais l’Aapresid, chambre réunissant des entrepreneurs de l’agrobusiness et soutien des plantes transgéniques en Argentine, est pour, avec un argument simple : si l’Argentine autorise ce blé, les autres pays finiront par le faire aussi, rappelant ce qui s’était passé pour le soja. Dans les années 2000, le soja GM argentin avait en effet tellement contaminé le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay que ces derniers avaient été obligés d’approuver le soja transgénique.

Les secteurs écologistes et citoyens ont lancé en 2016 la campagne « No se metan con nuestro pan [20] » (« ne vous mêlez pas de notre pain »). Contrairement à l’Amérique centrale, l’Argentine est en effet peuplée d’émigrants européens (les rares peuples autochtones ayant été largement décimés), notamment espagnols et italiens, qui ont amené avec eux la tradition de la cuisine avec du blé (pizza, pâtes, pain…), une des bases actuelles du régime alimentaire argentin.

Des blés GM déjà autorisés ?

Ce n’est pas la première fois que les industriels tentent de modifier génétiquement le blé, et Inf’OGM s’en est régulièrement fait l’écho [21] : on en trouvera la liste détaillée dans nos précédents articles, notamment ’’Calyxt : 19 nouveaux OGM « dans les tuyaux  »’’ [22] [23] [24]

Un seul de ces blés, le MON71800 [25] tolérant le glyphosate (comme le Roundup) est autorisé depuis 2004 dans quatre pays (Australie, Colombie, Nouvelle-Zélande et États-Unis), mais seulement pour la consommation, jamais pour la culture commerciale. Ce type d’autorisation sert donc à accepter des cargaisons contaminées ou des repousses [26], sans doute suite à des essais en milieu ouvert.

Ces tentatives de blé transgénique aboutiront-elles un jour ? Le blé, première céréale consommée au monde, est LE symbole d’une alimentation encore non OGM, même si les variétés sur le marché ont été beaucoup transformées (gluten devenu peu digestible, pailles courtes…) et si des blés hybrides (mais pas OGM) commencent à être commercialisés.

Les consommateurs et les mouvements écologistes ne s’y trompent pas : toute tentative de commercialisation d’un blé GM a jusqu’à maintenant systématiquement déclenché un tollé, comme en Australie [27], en Suisse [28], ou dans d’autres parties du monde [29] [30]. Jusqu’à présent, toutes ces oppositions ont été victorieuses, allant même jusqu’à l’arrêt (du moins annoncé) en 2005 du programme de recherche de Monsanto sur le blé tolérant le RoundUp [31].

Cependant, actuellement un blé génétiquement modifié par mutagénèse, Clearfield, résistant à des herbicides, est cultivé aux États-Unis [32].

Argentine : 6e pays exportateur mondial de blé

L’agriculture argentine emploie 7 % de la population active, contribue à 5 % de son PIB et assure les trois quarts de ses exportations. Si le soja arrive en tête des exportations (38,5 Millions de tonnes en 2019), suivi du maïs (34 Mt), le blé arrive en troisième position avec 13 millions de tonnes exportées (pour 19 millions de tonnes produites). Ces exportations représentent 8 % du marché mondial du blé (contre 23 % pour la Russie). En 2018, l’Argentine était le 6e pays exportateur de blé, derrière la Russie, Les États-Unis, le Canada, l’UE et l’Ukraine [33].

Le blé argentin est principalement exporté vers le Brésil, mais aussi le Maghreb, l’Afrique du Sud, ou l’Asie du Sud-Est [34]. La suppression des taxes à l’exportation en 2015 a contribué à ce décollage spectaculaire des exportations de blé (1,6 Mt seulement exportées en 2014).

Rappelons que le blé est, avant le riz, la principale culture céréalière du monde.

[2Cet herbicide est un reprotoxique présumé dont l’autorisation de mise sur le marché en France a été retirée par l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) à partir du 24 octobre 2017, voir https://www.anses.fr/fr/content/l%E2%80%99anses-proc%C3%A8de-au-retrait-de-l%E2%80%99autorisation-de-mise-sur-le-march%C3%A9-du-basta-f1-un-produit

[3« Un gène résistant à la sécheresse : une révolution biotechnologique en Argentine », 28/04/2012, https://www.rtflash.fr/gene-resistant-secheresse-revolution-biotechnologique-en-argentine/article

[4« Hahb-4, a sunflower homeobox-leucine zipper gene, is a developmental regulator and confers drought tolerance to Arabidopsis thaliana plants ». Dezar CA , Gago GM, Gonzalez DH, Chan RL, Transgenic Res, 01 Aug 2005, 14(4):429-440

[5Field-grown transgenic wheat expressing the sunflower gene HaHB4 significantly outyields the wild type, Fernanda Gabriela González, Matías Capella, Karina Fabiana Ribichich, Facundo Curín, Jorge Ignacio Giacomelli, Francisco Ayala, Gerónimo Watson, María Elena Otegui, Raquel Lía Chan

Journal of Experimental Botany, Volume 70, Issue 5, 15 February 2019, Pages 1669–1681, https://doi.org/10.1093/jxb/erz037

[6Hugo Sigman (président du Groupe Insud, présent dans 40 pays, diversifié avec depuis des laboratoires pharmaceutiques jusqu’à des moyens de communication), Gustavo Grobocopatel (surnommé «  le roi du soja  ») et Víctor Trucco (président honoraire de Aapresid, chambre réunissant des entrepreneurs de l’agrobusiness et soutien des plantes transgéniques en Argentine).

[7Brevet WO2013126451A1, 2013, https://patents.google.com/patent/WO2013126451A1/fr

[8Sous le N°US9035132B2, voir https://patents.google.com/patent/US9035132B2/fr

[9Introduction pré-commerciale en Argentine en mars 2019, via la société Verdeca, une joint venture entre Bioceres et la société étasunienne Arcadia.

[11Compositional equivalence of event IND-ØØ412-7 to non-transgenic wheat, Francisco Ayala and al., 8 Janvier 2019, Transgenic Res, https://doi.org/10.1007/s11248-019-00111-y

[17La France agricole, « Blé argentin, une origine opportuniste », 2 août 2019, p. 40-41

[21Retrouvez tous nos articles en tapant le mot-clé « blé » sur notre site www.infogm.org

[26Des repousses de blé GM ont été retrouvées à plusieurs reprises aux États-Unis et au Canada, voir les articles d’Inf’OGM en tapant les mots clé « blé » et « contamination ».

[34La France agricole, « Blé argentin, une origine opportuniste », 2 août 2019, p. 40-41

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