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Inde – Des paysans poursuivis pour la culture d’une pomme de terre

Par Zoé JACQUINOT

Publié le 12/07/2019

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En avril 2019, la multinationale PepsiCo portait plainte contre neuf paysans indiens de l’État du Gujarat pour avoir cultivé une variété de pomme de terre sélectionnée et protégée par un certificat d’obtention végétale (COV) sans y avoir été autorisés par l’entreprise. Les dommages et intérêts demandés étaient colossaux pour des paysans d’un milieu rural pauvre (10 millions de roupies chacun, soit environ 128 000 euros). Depuis, PepsiCo a retiré sa plainte face à la résistance des paysans et de la société civile qui ont refusé de se laisser intimider.

La variété de pomme de terre FC5 a été développée pour avoir une humidité inférieure à la moyenne, parfaite pour la fabrication des chips Lay’s, marque de PepsiCo. L’entreprise dispose en Inde d’un certificat d’obtention végétale sur cette variété et seuls certains paysans sont autorisés à cultiver cette pomme de terre dans le cadre d’un contrat de vente exclusif avec la société. En avril 2019, PepsiCo attaquait en justice quatre paysans qui avaient cultivé cette pomme de terre hors contrat dans l’État de Gujarat (côte occidentale de l’Inde) comme elle avait attaqué cinq autres paysans d’un district voisin quelques mois auparavant. Chacun cultivait ce tubercule sur un tiers d’hectare en moyenne et en culture vivrière.

La loi autorise les paysans à conserver, utiliser, semer, resemer, échanger, partager ou vendre leurs produits agricoles

PepsiCo invoquait l’infraction de ses droits en vertu de la section 64 de la loi indienne de 2001 sur la protection des variétés de plantes et les droits des paysans [1]. Mais la section 39 de ce même texte, invoquée en défense, introduit une exception au bénéfice des paysans et les autorise à conserver, utiliser, semer, resemer, échanger, partager ou vendre leurs produits agricoles, y compris les semences d’une variété protégée. Sous réserve qu’ils n’en vendent pas les graines comme « semences de marque«  [2] (ou le matériel reproductif dans le cas des pommes de terre).

La loi indienne reconnaît le certificat d’Obtention végétale (COV). Mais contrairement aux exigences de la convention UPOV de 1991 intégralement appliquées en France et en Europe, la protection du COV indien ne s’étend pas aux semences de ferme. La loi indienne garantit en effet le droit inaliénable des paysans de conserver, d’utiliser, d’échanger et de vendre librement leurs propres semences et les récoltes qu’elles leur donnent. Une seule restriction limite ce droit : si ces semences résultent de la multiplication d’une variété protégée par un droit de marque, le paysan qui ne dispose pas d’un droit d’usage de cette marque ne peut pas revendiquer la dénomination de cette variété lorsqu’il en commercialise la récolte, que ce soit sous forme de produit agricole, de semences ou de plants. Pour contourner ce droit des paysans indiens, certaines entreprises semencières imposent aux agriculteurs des contrats d’exclusivité : l’agriculteur n’est pas propriétaire de sa récolte, il est obligé de la vendre en totalité à l’entreprise qui lui a fourni les semences ou les plants et n’a le droit d’en faire aucun autre usage. C’est contre ce type de contrat d’intégration imposé par PepsiCo que se sont mobilisés avec succès les syndicats paysans et la société civile indienne.

Levée de boucliers contre PepsiCo

En réponse à cette pression, le syndicat de paysans indiens All India Kisan Sabha [3] a notamment appelé au boycott des chips Lay’s et des autres produits de PepsiCo [4]. Cet appel s’est accompagné d’une mobilisation de la société civile, notamment sur les réseaux sociaux avec #BoycottPepsi ainsi que d’une couverture médiatique importante. PepsiCo a été accusée par ses opposants d’attenter à la souveraineté et à la sécurité alimentaire des paysans de cette région rurale et pauvre.

Dès le 26 avril 2019, lors d’une audience au tribunal du district pour quatre des paysans mis en cause, la firme a proposé un règlement à l’amiable [5]. Il était offert le choix entre la destruction des stocks et l’inutilisation future de la variété, ou bien l’entrée des paysans dans le programme de production et de vente exclusive de PepsiCo (qui est la seule manière de cultiver légalement cette variété).

Le verdict du tribunal prévu pour le 12 juin était très attendu mais, dès le 2 mai, PepsiCo annonçait retirer sa plainte [6]. En France l’affaire a également eu des échos avec une pétition lancée le 2 mai 2019 par CyberActeurs [7].

Contexte politique

À quelques jours des élections législatives en Inde, cette affaire a eu un rebondissement important dans un pays où la population rurale a encore une forte voix. Quelques figures politiques se sont indignées et ont défendu les paysans contre les attaques du géant étasunien. Mais les institutions gouvernementales indiennes sont restées silencieuses [8].

Depuis, les paysans et la société civile réclament des excuses et comptent engager une procédure pour obtenir compensation face au harcèlement dont ils ont fait l’objet [9]. Ils exigent également que l’État sorte de son silence et protège réellement les droits des paysans.

[1Plant Varieties and Farmers’ Rights (PPV&FR) Act, 2001 – Section 64 « Infraction. — Sous réserve des dispositions de la présente loi, porte atteinte à un droit établi en vertu de la présente loi :

a) celui qui, n’étant pas l’obtenteur d’une variété enregistrée en vertu de la présente loi, ni un agent enregistré ni un titulaire inscrit de cette variété, vend, exporte, importe ou produit une telle variété sans l’autorisation de son obtenteur ou dans le cadre d’une licence ou d’un organisme enregistré sans l’autorisation du licencié ou de l’agent enregistré, selon le cas,

b) celui qui utilise, vend, exporte, importe ou produit toute autre variété donnant cette variété, avec une dénomination identique ou faussement similaire à la dénomination d’une variété enregistrée en vertu de la présente loi, de manière à causer de la confusion chez les gens qui identifient la variété enregistrée
 ».

[2La loi précise, toujours dans la section 39, qu’on entend par “semence de marque” toute semence mise dans un emballage ou un autre récipient et étiquetée de manière à indiquer qu’elle est d’une variété protégée par la présente loi

[3AIKS, qui se traduit par «  Union de tous les paysans indiens  », est le front paysan du parti communiste indien.

[4Pepsico possède, entre autres, les marques Pepsi, Lay’s, Tropicana, 7Up, Cheetos, Quaker Foods, etc., http://www.rfi.fr/emission/20190501-inde-neuf-producteurs-pommes-terre-poursuivis-pepsico

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