n°154 - mars / avril 2019

Plantes mutées : 
le tournant de 2018

Par Zoé JACQUINOT

Publié le 20/05/2019

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L’année 2018 a été riche en évènements sur la question des nouveaux OGM. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), a confirmé dans un arrêt publié en juillet que les produits issus des nouvelles techniques de mutagénèse sont bien des OGM. Pourquoi est-ce un tournant « his
torique » ? L’heure est au bilan avec de nombreux enjeux qui se profilent pour 2019.

L’année 2018 a été riche en évènements sur la question des nouveaux OGM. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), a confirmé dans un arrêt publié en juillet que les produits issus des nouvelles techniques de mutagénèse sont bien des OGM. Pourquoi est-ce un tournant « his-
torique » ? L’heure est au bilan avec de nombreux enjeux qui se profilent pour 2019.

En France, du colza et du tournesol rendus tolérants à des herbicides (Variétés rendues tolérantes à des herbicides – VrTH) sont cultivés à partir de 2008 sans que l’on connaisse précisément leur mode d’obtention [1]. Or, ces variétés n’ont subi aucune évaluation des risques ou procédures d’autorisation avant leur dissémination et ne font l’objet d’aucun suivi. Une bataille politique va opposer l’inaction du gouvernement à des citoyens qui exigent la mise en place d’un moratoire sur ces variétés rendues tolérantes à des herbicides et qui revendiquent que certaines de ces variétés sont des « OGM cachés » qui doivent être soumises à la législation correspondante.

Le Conseil d’État saisit 
la CJUE

Après quelques années d’atermoiements, un recours porté par des associations [2] devant le Conseil d’État pousse ce dernier à saisir la CJUE d’une demande en interprétation de la législation européenne concernant le statut des plantes issues des nouvelles techniques de mutagénèse ayant recours au génie génétique [3].

Le 25 juillet 2018, le doute n’est plus permis, la Cour confirme que les plantes mutées issues des nouvelles biotechnologies sont bel et bien des OGM. Cette décision sur les « nouveaux OGM » a suscité des réactions contrastées. Que contient la décision et quelles en sont les conséquences ?

La Cour règle tout d’abord la question de la nature des organismes obtenus par mutagénèse. Pour cela, elle utilise le critère adopté par le législateur de la technique utilisée (et non le critère du produit final comme cela est fait aux États-Unis ou au Canada par exemple et que les industriels aimeraient voir appliquer dans l’UE). Ainsi, la mutagénèse, comme la transgenèse, donnent des OGM, car elles provoquent des modifications du matériel génétique d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement. La Cour se garde de définir quelles sont les techniques concernées, elle se borne à constater que les « techniques/méthodes impliquent, pour certaines d’entre elles, le recours à des agents mutagènes chimiques ou physiques, et, pour d’autres, le recours au génie génétique ».

Les nouveaux OGM 
ne sont pas exemptés 
de la directive OGM

Cependant, la réglementation européenne sur les OGM (ici la directive 2001/18, annexe I B) permet à certains OGM d’échapper à son champ d’application, dont ceux issus de la mutagénèse. Ici, la Cour introduit une distinction temporelle pour savoir si les nouveaux OGM doivent être exemptés ou non de la réglementation OGM. 

Pour la Cour, seuls peuvent être exemptés ceux issus de techniques qui ont été traditionnellement utilisées et dont la sécurité est avérée depuis longtemps. Cela exclut de l’exemption a minima toutes les techniques apparues postérieurement à la directive 2001/18 mais cette temporalité reste floue quant à sa limitation.

En substance, les nouvelles techniques de mutagénèse produisent des OGM qui doivent être soumis aux exigences d’analyse des risques et de transparence des informations prévus par la réglementation européenne. Avant toute commercialisation, les OGM en question doivent être évalués et autorisés puis étiquetés et faire l’objet d’un suivi de leur culture et de leur commercialisation.

Vents contraires

Les entreprises et autres acteurs des biotechnologies se plaignent que les contraintes pour se conformer aux obligations de la réglementation OGM coûtent trop cher et durent trop longtemps. Ils plaident que les nouvelles techniques de biotechnologies ne produisent pas réellement des OGM car elles ne font qu’imiter la nature : les nouveaux OGM seraient donc indétectables et ne nécessiteraient pas de différence de traitement. Après avoir dédaigné cette question de la détectabilité pendant un temps, la Commission a commandé un rapport qui devrait sortir courant avril 2019. De tels outils de détection sont importants notamment pour les actions de contrôle sur les produits vendus en Europe. De plus, de tels outils devraient en théorie déjà exister car les entreprises doivent pouvoir défendre les brevets qu’elles déposent sur des séquences génétiques ou des plantes.

En appliquant le principe de précaution pour assurer la sécurité alimentaire et sanitaire des conso
mmateurs et de l’environnement, qui est l’un des objectifs de l’Union européenne, cette décision s’est vue qualifiée de régressive et antidatée par certains politiques [4]. Les industriels et certains scientifiques s’y opposent également. Ils voient dans cette décision une limitation à la compétitivité et à la capacité d’innover des entreprises, de faire des recherches dans ce domaine ou de répondre, selon eux, aux enjeux agricoles, environnementaux et climatiques de demain.

Tournesol

Enjeux politiques en perspective pour 2019

Beaucoup de voix se sont ainsi levées, dont au sein du Parlement, de la Commission européenne [5] ou de certains gouvernements, pour suggérer l’idée d’une révision de la directive 2001/18. Une révision qui serait l’opportunité parfaite pour potentiellement alléger ou rendre la décision de la CJUE caduque. Par exemple, des conseillers européens du mécanisme de conseil scientifique de la Commission (dit SAM) ont recommandé la révision de la directive dans le but de ne pas avoir à appliquer la décision de la CJUE. En mettant en lumière les fonctions au sein d’une grande multinationale semencière d’un des signataires de l’avis du SAM, Inf’OGM a révélé que cet avis avait été rédigé sous la pression directe des industriels [6].

Bien que l’arrêt de la Cour soit d’application immédiate et directe, il y a eu peu de mesures concrètes pour s’y conformer. La Commission renvoie aux États membres pour faire appliquer le droit de l’Union, arguant son rôle de simple contrôle de la bonne application, tandis que les États renvoient à la Commission pour coordonner et harmoniser les outils permettant d’appliquer la réglementation à ce sujet.

En France, bien que cette décision ait été saluée à travers une lettre signée par quatre ministères [7], le Haut Conseil des Biotechnologies (HCB) avait émis un avis contesté sur lequel le gouvernement ne s’est jamais exprimé [8]. De plus, la France attend l’arrêt que le Conseil d’État doit rendre suite au renvoi préjudiciel et qui devrait régler la question des VrTH au regard de cette interprétation de la CJUE.

De manière générale, toute prise de décision concrète semble repoussée à l’échéance électorale du printemps 2019 avec les élections du Parlement européen en mai et le renouvellement de la composition de la Commission.

Du côté de cette dernière et des industriels, le terrain se prépare pour des réactions rapides d’allègement voire de déréglementation après les élections. À l’image de ces dégustations de snacks « criperisés » illégaux proposées dans plusieurs villes européenne [9]. Le Parlement européen et les gouvernements arriveront-ils à contrer les différents courants et attaques contre la législation OGM alors qu’encore et toujours ses opinions majoritaires concernant les OGM ne sont pas écoutées [10] ?

[1Depuis, on sait que le colza a été obtenu par la culture de microsospores, mais la méthode employée pour le tournesol demeure encore actuellement inconnue.


[2Confédération paysanne, Réseau
Semences Paysannes, Les Amis de la Terre France, Collectif Vigilance OGM et Pesticides 16, Vigilance OG2M, CSFV 49,
OGM dangers, Vigilance OGM 33,
Fédération Nature et Progrès

[8Le comité scientifique du HCB a exprimé le 2 novembre 2017 l’idée qu’il était possible de réglementer les nouveaux OGM autrement, en proposant notamment une prise de décision au cas par cas ou encore l’adoption du critère de produit final. Cf. Eric MEUNIER, « Nouveaux OGM : le HCB préconise une évaluation différenciée », Inf’OGM, 4 décembre 2017

[9La dernière en date a eu lieu le 5 mars 2019 devant le Parlement européen avec le slogan « give CRISPR a chance ».


[10Le Parlement européen adopte 
régulièrement des résolutions d’oppositions à l’autorisation d’OGM dans l’UE sans aucune répercussion. Zoé JACQUINOT, « UE – OGM : nouvelles oppositions du Parlement européen », Inf’OGM, 19 février 2019

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