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Brésil – Syngenta condamnée suite à la mort d’un paysan

Par Christophe NOISETTE

Publié le 22/01/2019

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Le 29 novembre 2018, la Cour de Justice de l’état du Paraná a confirmé le jugement de première instance contre Syngenta, reconnaissant sa co-responsabilité dans le meurtre d’un leader du Mouvement des Sans Terre (MST) en 2007, lors de l’occupation d’une ferme de cette entreprise. Syngenta, condamnée à payer des dommages et intérêts, peut encore faire appel à la Cour supérieure de justice et à la Cour suprême fédérale.

En 2015, un tribunal civil de Cascavel (Paraná) jugeait que Syngenta, entreprise suisse rachetée par ChemChina en 2017, devait payer des dommages et intérêts à la famille de Valmir Mota de Oliveira, connu sous le nom de « Keno », un des responsables du Mouvement des Sans Terre (MST) [1], décédé suite à l’intervention d’une entreprise de sécurité, NF Segurança. Syngenta nous précise en effet que ce tribunal a estimé que « Syngenta devait assumer la responsabilité du comportement de la société de sécurité, car Syngenta avait eu recours à ses services ». Ce leader paysan avait été tué par balle lors d’une occupation d’une ferme de Syngenta le 21 octobre 2007. Syngenta est aussi condamnée à payer des dommages et intérêts à l’encontre d’une autre syndicaliste, Isabel Nascimento de Souza, qui avait perdu la vision de l’œil droit.

« Ils se sont mis à tirer dans tous les sens »

L’intervention de l’entreprise de sécurité aurait pu tourner au carnage. 40 miliciens de NF Segurança, entreprise mandatée par Syngenta « ont surgi armés jusqu’aux dents et entièrement vêtus de noir et ont encerclé les agriculteurs, ils se sont mis à vociférer et à tirer dans tous les sens dans la confusion la plus totale..… En plus de Keno, les miliciens ont aussi tenté d’abattre une femme, Isabel do Nascimento de Souza. Agenouillée au sol, elle a relevé la tête pour fixer ses assassins dans les yeux et a reçu une balle dans l’œil droit, une autre est venue se loger dans son poumon, d’autres agriculteurs ont été blessés, sept », peut-on lire dans le livre consacré à Syngenta [2]. Enfin un membre de l’entreprise de sécurité a lui aussi été tué au cours de cette intervention.

Syngenta avait bien entendu fait appel de cette condamnation. Mais le 29 novembre 2018, la Cour de Justice de l’état du Paraná confirmait le jugement de première instance. Le juge rapporteur, José Augusto Aniceto, a écarté la thèse de la responsabilité passive de Syngenta : un contrat formel avait en effet été conclu entre l’entreprise de sécurité privée NF Segurança et Syngenta. Syngenta reste donc co-responsable – avec l’entreprise de sécurité qu’elle a embauchée – des dommages et intérêts à verser à la famille de Keno.

Mais la majorité des juges a aussi considéré que les occupants avaient leur part de responsabilité car ils prenaient un risque en occupant un terrain privé et les juges ont donc demandé une réduction du montant de l’indemnisation. Cependant, comme le précise le MST, dans les motivations de son verdict, le juge Wellington Emanuel Coimbra de Moura a écarté une telle interprétation, et a attribué à l’entreprise toute la responsabilité des faits. En effet, pour lui, l’entreprise de sécurité aurait dû faire appel au pouvoir judiciaire. Syngenta nous précise que la décision écrite n’a toujours pas été rendue (elle devrait être publiée courant janvier). Ceci dit, Syngenta nous précise aussi que « la Cour d’appel a aussi considéré que le MST devait assumer une part de responsabilité dans les événements de 2007, elle a donc limité les dommages et intérêts que Syngenta devait payer à 50 % du total des dommages requis ».

Syngenta peut toujours faire appel à la Cour supérieure de justice et à la Cour suprême fédérale. Mais même si Syngenta fait appel, il est déjà possible d’imposer à cette entreprise le paiement de la compensation.

« Au Brésil, les entreprises ne peuvent être tenues pénalement responsables d’homicide »

« Justice a été faite. Aujourd’hui, l’entreprise Syngenta est reconnue coupable. Je suis très émue », a déclaré la veuve de l’agriculteur, Íris Maracaípe Oliveira, en apprenant la condamnation en seconde instance.

Syngenta, en tant qu’entreprise, n’a pas été attaquée au Pénal. Comme nous le précise Fernando Prioste, de Terra de Direitos [3], « au Brésil, les entreprises ne peuvent être tenues pénalement responsables d’homicide ». Syngenta confirme : « comme aucun de nos employés n’a été impliqué dans la fusillade en 2007, Syngenta n’a jamais fait l’objet de poursuites ni n’a été impliquée dans une procédure pénale. Cela signifie également que Syngenta n’a jamais été condamnée pour la mort de Keno ».

La procédure pénale visait donc des membres de l’entreprise de sécurité, le propriétaire de l’entreprise, Nerci de Freitas, et le propriétaire terrien [4] Alessandro Meneghel. Ce procès a été classé en 2017. En effet, pour le juge des affaires pénales de Cascavel, plus de dix ans se sont écoulés depuis les faits, le pouvoir judiciaire ne pouvait plus condamner les auteurs du meurtre de Keno. Fernando Prioste précise donc à Inf’OGM que la procédure a été « archivée sans que les auteurs soient reconnus coupables ou innocents ». Les associations considèrent que l’argumentation du juge est une atteinte aux droits de l’Homme.

« Nous allons donner des fusils aux producteurs ruraux »

Le Brésil est le deuxième plus gros producteur de plantes transgéniques au monde, après les États-Unis. Cette décision prend aussi un visage différent depuis l’élection de Jair Bolsonaro comme président de la République brésilienne. En effet ce dernier, rappelle Fernando Prioste, « menace d’armer les fazendeiros contre les mouvements sociaux ». Cité par Libération, Bolsonaro a en effet été clair sur son programme politique : « Pas un centimètre de plus pour les Indiens ni pour ces bons à rien de quilombolas [5] ». Ils traitent le MST de « voyous », de « bras armé du PT [parti des Travailleurs] » et a promis de se montrer intransigeant face aux occupations, qu’il qualifie d’« actes terroristes ». Pour cela, donc, il affirmait : « nous allons donner des fusils aux producteurs ruraux, ce sera leur carte de visite pour les envahisseurs » [6]. Enfin, il a nommé Tereza Cristina da Costa comme ministre de l’Agriculture. Proche de l’agro-industrie, elle a notamment en tant que parlementaire fait adopter le projet de loi n°6299 qui vise à assouplir la réglementation en matière de pesticides [7].

Syngenta sera-t-elle exonérée pour ses cultures illégales ?


En mars 2006, suite à une plainte de l’organisation Terre de Droits, l’Institut Brésilien de l’Environnement (Ibama) a condamné Syngenta à une amende d’un million de Reais (234 000 euros) pour avoir illégalement cultivé 123 hectares de soja transgénique aux abords du Parc d’Iguaçu, sur la commune de Santa Tereza. En effet le droit brésilien de l’environnement impose une zone tampon de dix kilomètres autour d’un parc naturel (mais aussi d’autres zones protégées) dans laquelle il est interdit de cultiver des OGM.

En décembre 2006, l’état du Paraná confirmait l’illégalité de ces cultures.

Cependant, Fernando Prioste, de Terra de Direitos, nous précise que « Syngenta n’a pas payé l’amende imposée par Ibama. Elle a réussi à obtenir une décision de justice suspendant l’amende. Le procès concernant la validité de l’amende n’a pas encore été jugé, mais jusqu’à présent, Syngenta a gagné ».

Syngenta nous précise en effet que « sur notre terrain à Santa Tereza do Oeste, (…) nous avions tous les permis nécessaires pour notre station de recherche, ce qui a été confirmé à la fois par le procureur et par le ministère de la Science et de la Technologie. Les allégations contraires ont été rejetées comme non fondées en janvier 2010 ».

[2Le livre noir des pesticides – Syngenta : Le Monsanto Suisse, Multiwatch, éditions d’En Bas, 360 p., 2018.

[3une ONG de défense des droits de l’Homme

[4fazendeiro

[5NDLR : les quilombolas sont des descendants d’esclave qui se battent aussi contre l’expropriation de leur terre.

[6« Brésil : l’ombre brune des grands propriétaires sur les urnes« , Chantal Rayes, Libération, 4 octobre 2018

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