Actualités

Nouveaux OGM : un « vaste débat » pour le futur Parlement européen

Par Eric MEUNIER

Publié le 17/01/2019

Partager

Pour exclure les nouveaux OGM de la législation européenne, toutes les pistes sont mises sur la table. Le 8 janvier 2019, des députés européens échangeaient sur le sujet. Pour certains, la décision de juillet 2018 de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) doit être simplement mise en œuvre. Pour d’autres, la législation européenne doit être modifiée voire une nouvelle législation doit être adoptée pour différencier les OGM mutés des autres OGM. Dès octobre 2018, certains États membres s’interrogeaient, eux, sur la possibilité d’un allègement immédiat pour les essais en champ d’OGM mutés…

Dans son arrêt du 25 juillet 2018, la Cour de justice européenne a rappelé que les organismes issus de mutagénèse sont des OGM. Elle a surtout clarifié que l’exemption permettant aux OGM issus de mutagénèse d’échapper aux requis de la législation OGM ne peut profiter qu’aux « organismes obtenus au moyen de techniques/méthodes de mutagénèse qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps » [1].

La mise en œuvre de cet arrêt est depuis lors entre les mains de la Commission européenne et des États membres. Mais le Parlement européen (PE) s’intéresse également de près aux statuts juridiques des nouveaux OGM. Ainsi, le 8 janvier 2019, une réunion commune des comités « agriculture » et « environnement » de ce Parlement a permis à la Commission européenne d’expliquer souhaiter un débat « ouvert et franc » sur le sujet [2]. Elle a surtout montré que la volonté de certains de voir exclus de la législation européenne les nouveaux OGM est toujours forte.

Protéger consommateurs et environnement ou…

À l’instar du député allemand du groupe des Verts, Martin Hausling, plusieurs eurodéputés – tout comme la Commission européenne – ont rappelé que l’arrêt de la CJUE ne change pas le droit. Il clarifie simplement le cadre réglementaire qui doit s’appliquer aux produits issus des nouvelles techniques de mutagénèse. Un cadre que l’eurodéputé Jacques Colombier du groupe Europe des Nations et des Libertés (Rassemblement National) considère comme « justifié » car elle est une « garantie pour les consommateurs européens ».

Même son de cloche chez les Verts autrichiens. Thomas Waitz rappelle ainsi le refus des OGM par les consommateurs européens qui « veulent savoir ce qu’ils achètent, ce qu’ils mangent ». Un refus que les « producteurs et agriculteurs devraient accepter » selon Martin Hausling. Pour Waitz, il est logique que le législateur prenne en compte tous les « effets non souhaités des nouvelles techniques ».

Karine Gloanec Maurin, du groupe de l’Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates au Parlement européen (Parti Socialiste), elle, souligne que derrière ces nouvelles techniques, c’est « l’accaparement du vivant par quelques grands groupes industriels au nom de la faim dans le monde, du changement climatique » qui est à l’œuvre. Et d’ailleurs, l’argument de la faim dans le monde avancé par les partisans des biotechnologies a été dénoncé par Luke Ming Flanagan du groupe de la Gauche unitaire européenne/Gauche verte nordique qui considère « paternaliste et dangereux » de prétendre nourrir l’humanité parce que « nous [serions] supérieurs, plus intelligents et que nous [serions] les seuls à pouvoir le faire » alors qu’en fait, « cela rend les gens dépendants lorsqu’ils n’ont pas à l’être ».

Au final, Eric Andrieu, eurodéputé français du Groupe de l’Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates (Parti Socialiste), définit cet arrêt comme sage car « dès lors [que la CJUE] nous signale que les techniques de mutagénèse comportent des risques, il faut savoir raison garder ». Il souligne alors que les « objectifs ne sont pas forcément les mêmes » entre les intérêts des groupes industriels et les enjeux de la protection de l’environnement, du climat ou de l’alimentation. Il souhaite donc un vaste débat sur l’avenir des biotechnologies qui pourrait avoir lieu lors de la prochaine mandature du Parlement européen.

… sauver la compétitivité des entreprises

Les deux Présidents de séance de cette réunion ont, eux, privilégié l’argument de la concurrence. Pour le député Czesław Adam Siekierski du Groupe du Parti populaire européen, Président de la commission « Agriculture », la procédure d’autorisation des OGM est considérée comme « longue et coûteuse par certains » et « il se dit qu’il faudrait permettre aux entreprises d’investir dans le secteur ». Une vision partagée par le député Nils Torvalds du Groupe Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe et Vice-Président de la commission « Environnement » qui énonce qu’en 2050, « il y aura environ 10 milliards de personnes sur terre qui devront être nourries », ce qui impose donc d’avoir « une agriculture compétitive ». Or, continue l’eurodéputé, la décision de la CJUE empêche cette agriculture-là.

L’argument principal de l’industrie pour éviter toute réglementation sur ces nouveaux OGM est d’affirmer que les plantes génétiquement modifiées par les nouvelles techniques de mutagénèse ne sont pas différenciables de plantes apparues naturellement dans les champs. Si aucun député n’a osé l’affirmer mot à mot, l’idée en a été suggérée. Ainsi, John Stuart Agnew du Groupe Europe de la liberté et de la démocratie directe considère que « les entreprises veulent juste maximiser l’opportunité de la mutagénèse naturelle ».

Sur le seul plan juridique, certains députés comme Jan Huitema du Groupe Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe ou Paolo de Castro du groupe de l’Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates au Parlement européen considèrent que la législation européenne serait trop détaillée en différenciant entre des plantes mutées exemptées (les conventionnelles) et d’autres non (les nouvelles). Mais elle ne le serait pas assez en ne proposant pas de distinguer juridiquement les produits obtenus par mutagénèse de ceux obtenus par transgenèse. Les deux députés semblent donc attacher de l’importance au procédé utilisé, mais semblent néanmoins méconnaître la législation européenne. Cette dernière différencie les techniques donnant des OGM selon qu’elles ont été traditionnellement utilisées ou non et surtout, qu’elles aient montré une historicité d’absence de risque.

Les députés souhaitent donc soit revoir l’annexe de la directive 2001/18 pour exempter les produits issus de mutagénèse quelle que soit leur historique d’utilisation, soit adopter une toute nouvelle législation pour différencier entre les techniques. L’objectif serait d’alléger l’encadrement des OGM obtenus par mutagénèse. Car, selon Jan Huitema, si la législation actuelle est maintenue, seules les multinationales « pourront utiliser les OGM [alors que] les petits obtenteurs ne pourront pas ». Une analyse reprise par la députée Anthea Mc Intyre du groupe des Conservateurs et Réformistes européens qui ajoute que « faim dans le monde, rareté des ressources, changement climatique » imposent d’accélérer la sélection.

Les députés favorables à une utilisation non encadrée des nouvelles techniques en appellent aussi à un débat. Le député Torvaldz demande un débat approfondi pour mettre sur la table tous « les arguments scientifiques » et non seulement certains comme le font des « activistes de terrain » ; et permettre d’établir « la façon dont l’arrêt pourra fonctionner à l’avenir pour l’UE mais aussi pour les habitants de la planète que nous devrons nourrir ». Clara Eugenia Aguilera Garcia, du groupe de l’Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates au Parlement européen, souhaite que ce débat repose sur des arguments scientifiques et non plus sur « l’éthique et la morale [qui] ne suffisent plus »…

La Commission européenne prépare le terrain

Présente à cette réunion, la Commission européenne a expliqué que la « mise en œuvre [de l’arrêt de la CJUE] est problématique ». Car, à en croire la Commission, « des produits identiques pourraient être obtenus par des techniques différentes de sélection. [Or], selon la technique de sélection, il est possible que les régimes réglementaires soient différents pour des produits pourtant identiques ». La Commission n’avance aucune donnée scientifique étayant cette affirmation issue de la communication industrielle. Pour la Commission, la question se pose de savoir « comment contrôler, comment les autorités de contrôle peuvent-elles faire la différenciation entre des produits obtenus par telle ou telle technique ? ». Un travail des experts européens dont les résultats sont attendus pour mars 2019 [3] devrait répondre à ces questions.

Alors que certaines ruses législatives sont évoquées (voir encadré), la Commission a affirmé ne pas vouloir « préparer une évaluation de la législation OGM ni formuler de nouvelles propositions législatives durant cette législature ». La Commission a néanmoins annoncé que « sur le moyen et long termes, le Conseil, le Parlement et la Commission européenne doivent garantir un système de gestion et de gouvernance qui puisse suivre l’évolution de la science d’un côté et d’un autre côté, des normes en matière d’innovation, de compétition et de sécurité ». Sur ce sujet qu’elle définit comme « épidermique, controversé, sensible », la Commission souhaite donc « un débat ouvert et franc avec toutes les parties prenantes ». Son objectif ? Que la « prochaine Commission européenne [puisse] développer une vision claire sur l’avenir de la politique des biotechnologies en Europe ».

Essai en champ, une ruse juridique au cas où ?


Sur la question des essais en champs, « deux États membres » ont interrogé la Commission européenne en octobre 2018 sur une disposition légale existante, permettant le cas échéant de soumettre les OGM obtenus par de nouvelles techniques de mutagénèse à une procédure dite « différenciée » [4].

Selon cette procédure légale, « si les disséminations de certains OGM dans certains écosystèmes ont permis d’acquérir une expérience suffisante », si « la sécurité pour la santé humaine et l’environnement [sont] suffisamment connues », si « des informations […] revêtant une importance significative pour l’évaluation des risques » sont disponibles tout comme celles montrant que « tout matériel génétique inséré est bien caractérisé » ou permettant d’identifier l’OGM… alors, une procédure différenciée peut être suivie [5]. Une procédure moins longue que la procédure normalement prévue puisque nécessitant moins d’informations à fournir.

Réponse de la Commission : « la Commission et les États membres sont tombés d’accord pour réfléchir et discuter ce point dans une prochaine réunion ».

[2Committee on the Environment, Public Health and Food Safety Committee on Agriculture and Rural Development ENVI AGRI joint meeting -17:15 / 18:09 – 07-01-2019.

[5Article 7 et annexe V de la directive 2001/18.

Actualités
Faq
A lire également