n°153 - janvier / février 2019

Protection internationale des semences : ce qu’il faut déverrouiller

Par Frédéric PRAT

Publié le 20/03/2019

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De nombreux obstacles légaux, nationaux et internationaux, empêchent de plus en plus les paysans de ressemer une partie de leur récolte et de commercialiser une partie de leurs semences. Pour comprendre les résistances paysannes décrites dans le reste de ce dossier, penchons-nous d’abord sur ce cadre législatif international qui favorise les entreprises semencières, au détriment des paysans.


Les grosses entreprises semencières ont progressivement œuvré pour qu’une législation internationale protège leurs variétés, par des droits de propriété industrielle, essentiellement brevets et certificats d’obtentions végétales (COV) (voir encadré ci-dessous).

Une obligation de protection

L’Organisation mondiale du commerce (OMC) (164 États membres sur 193) indique, dans son article 27.3b de l’accord sur la propriété intellectuelle (ADPIC), que « les Membres prévoiront la protection des variétés végétales par des brevets, par un système sui generis efficace, ou par une combinaison de ces deux moyens ».

La propriété industrielle sur les semences


Aux États-Unis, le Plant Patent Act de 1930 reconnaît la possibilité de breveter des plantes ; et en 1970, le Plant Variety Protection Act permet de déposer non seulement l’équivalent des certificats d’obtention végétale (voir plus bas), mais aussi des brevets et cela non seulement sur les variétés transgéniques mais aussi sur les variétés classiques et à reproduction sexuée [1].

Le brevet permet d’interdire à un concurrent, en général pendant 20 ans, l’utilisation de la variété brevetée (essentiellement aux États-Unis, puisqu’on ne peut breveter une variété dans l’Union européenne), mais aussi celle de la technologie brevetée ou du produit issu de cette technologie.

Dans l’Union européenne, les semenciers ont préféré adopter un autre système, celui du certificat d’obtention végétale (COV) [2]. Ce certificat est octroyé à un semencier s’il a pu démontrer que sa variété est distincte, homogène et stable (les fameux critères DHS). Regroupés au sein de l’Union pour la protection des obtentions végétales (UPOV, créée en 1961), 75 pays, dont l’Union européenne, adhèrent à ce système. L’intérêt pour les semenciers est qu’ils peuvent repartir d’une variété sous COV pour en créer librement une autre si, depuis la révision de 1991, cette variété n’est pas essentiellement dérivée de la variété initiale.

La Convention sur le brevet européen (CBE) et la directive européenne 98/44 utilisent le droit donné par l’article 27.3b d’exclure « de la brevetabilité les varié-tés végétales ou les races animales, ainsi que les pro-cédés essentiellement biologiques d’obtention des végétaux ou d’animaux ». L’Union européenne a donc clairement choisi son système sui generis, (c’est-à-dire spécifique) : celui des COV, mais ne renonce pas aux brevets sur les caractères des plantes, qui sont de plus en plus utilisés.

Dans les deux cas, brevets ou COV, le paysan ne peut ressemer gratuitement une partie de sa récolte issue d’une semence protégée. Ajoutons, pour l’Union européenne, l’obligation d’inscrire, en payant annuellement [3], la variété dans un catalogue (avec les mêmes critères DHS que ceux du COV) pour avoir le droit d’en commercialiser les semences, et l’on comprend que le blocage à la commercialisation des semences se situe à plusieurs niveaux : la protection intellectuelle, les critères DHS, et les coûts d’inscription au catalogue. Enfin, des normes sanitaires et de production des semences commerciales strictes, inadaptées aux semences paysannes, empêchent définitivement la commercialisation de semences paysannes.

Tirpaa : une éclaircie pour les paysans ?

Le Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture (Tirpaa) [4], adopté en 2001, vise à « fournir un accès aux matériels phytogénétiques aux agriculteurs, aux sélectionneurs de végétaux et aux scientifiques ». Il prévoit un « système multilatéral d’accès facilité et de partage des avantages » mais jusqu’à présent, il a surtout permis l’accès aux ressources génétiques tout en échouant à mettre en œuvre un partage des avantages. C’est cependant le seul Traité international qui reconnaît « l’énorme contribution que les communautés locales et autochtones ainsi que les agriculteurs de toutes les régions du monde (…) ont apportée (…) à la conservation et à la mise en valeur des ressources phytogénétiques » et leurs droits de conserver, d’utiliser, d’échanger et de vendre les semences produites à la ferme, au partage des avantages, à la protection de leurs connaissances et à la participation à la prise de décision nationale concernant les semences. Cette reconnaissance et ces droits sont rappelés dans la Déclaration sur les droits des paysans, adoptée en décembre 2018 par l’ONU [5] : « les paysans et les autres personnes travaillant dans les zones rurales ont le droit de conserver, d’utiliser, de maintenir et de développer leurs propres semences, cultures et ressources génétiques, ou celles de leur choix. Ils ont également le droit de décider ce qu’ils souhaitent cultiver » (article 22, alinéa 2). 
Deux instruments juridiques importants pour défendre l’autonomie semencière des paysans.

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