n°152 - septembre / décembre 2018

Biologie de synthèse : entre promesses virtuelles et risques réels

Par Christian Berdot, Amis de la Terre

Publié le 18/01/2019, modifié le 01/12/2023

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Agrocarburants, chimie « verte », aliments produits à l’aide d’enzymes génétiquement modifiés : la liste des produits potentiels issus de la biologie de synthèse semble infinie, même si les processus technologiques ne sont pas aboutis. Mais leur production à grande échelle induit des risques immenses, notamment à cause la dissémination inévitable des microorganismes modifiés pour les produire…

Il y a quatre ans, l’affaire Ecover attirait l’attention du grand public sur la biologie de synthèse.

Ecover promeut la biologie de synthèse

En effet, les Amis de la Terre des États-Unis et le groupe canadien ETC avaient découvert qu’Ecover voulait commercialiser des lessives qui contenaient une huile tirée d’une micro-algue modifiée par biologie de synthèse. Ecover présentait pourtant cette huile comme « naturelle » et en plus « écologique », car elle remplaçait l’huile de palme ! 
Jeff Conant, qui fait campagne pour les Amis de la Terre des États-Unis contre l’huile de palme, précisait : « Nourrir des algues modifiées par biologie de synthèse, avec le sucre d’une plante aux conséquences écologiques aussi désastreuses que la canne à sucre, ne rend pas cette méthode plus respectueuse de l’environnement que l’huile de palme ».

Les industriels évitent d’ailleurs de parler de biologie de synthèse et parlent plutôt de produits obtenus par « fermentation » ou « bio-sourcés ». Cette affaire Ecover n’était pourtant que la pointe de l’iceberg.

La saga des agrocarburants

L’industrie aéronautique cherche des alternatives aux carburants pétroliers pour pouvoir continuer à se développer malgré les conséquences catastrophiques pour les climats. De nombreuses start-ups ont fleuri, poussées par des millions de dollars de subventions publiques ou par des fonds privés issus de BP, Total, Exxon, etc. sans oublier Monsanto, Cargill, Bunge et Azucar Guarani (contrôlé à 100% par le groupe français Tereos [1]. Les géants de l’énergie investissaient dans ces nouvelles techniques, car ils pouvaient ainsi espérer posséder et contrôler les carburants, mais surtout les micro-organismes brevetés qui les synthétisent. 
Tous nous promettaient monts et merveilles. En 2009, Sapphire Energy affirmait : « En 2018, nous produirons plus de 380 millions de litres et en 2025 nous devrions produire 3,8 milliards de litres par an. »

Après avoir vendu quelques litres de « brut vert » à près de sept dollars le litre, Sapphire s’est retourné vers la production d’huiles riches en Oméga-3 et de produits pour animaux… puis a fermé en 2017.

Il y a quelques années, Rex Tillerson, le pdg de Exxon, déclarait : « ce que nous avons fini par comprendre, c’est que l’obstacle est fondamentalement un problème scientifique, ce qui le rend encore plus difficile à résoudre », affirmant qu’il faudrait encore attendre 25 ans pour les agrocarburants à base de micro-algues.

Solazyme, un des leaders des agrocarburants, a fini en vendant des crèmes anti-rides sous le nom de TerraVia, avant de déclarer faillite en 2017. La majorité des firmes se sont recyclées dans des niches plus profitables, comme Algenol qui produit des huiles riches en Oméga-3.

Amyris travaille depuis des années avec Total et semble persister. La firme a passé en 2017 un accord avec Cathay Pacific, mais fait le plus gros de son chiffre d’affaire avec des produits de beauté et de santé.

Des milliards de dollars de subventions publiques ont ainsi été engloutis dans ces mirages technologiques, alors qu’ils auraient été mieux utilisés pour favoriser les économies d’énergie et les énergies renouvelables.

Nouvelle bio-économie contre environnement

Ces nouvelles firmes nous promettent toutes des produits sains, respectueux de l’environnement et apportant des solutions aux problèmes écologiques.

De très nombreux produits sont tirés de levures, bactéries ou autres micro-algues modifiées génétiquement pour synthétiser les molécules souhaitées. Cela pose de graves questions de sécurité pour les écosystèmes. Une fois passés à l’échelle industrielle, ces installations ne manqueront pas de laisser ces micro-organismes génétiquement modifiés s’échapper dans la nature ce qui pourrait avoir des conséquences irréversibles (voir encadré ci-dessous). 
De plus, pour alimenter ces micro-organismes, il faut des quantités considérables de biomasse, d’intrants, d’eau, d’énergie. 
Le National Research Council estime que pour remplacer seulement 5 % des carburants utilisés dans les transports par des carburants à base de micro-algues, il faudrait de six à quinze millions de tonnes d’azote, soit de 44 à 107 % des besoins des États-Unis et de un à deux millions de tonnes de phosphore, soit de 20 à 51 % des besoins. 
Une autre étude montrait que pour couvrir 17 % des importations de carburants des États-Unis par des carburants à base de micro-algues, l’eau nécessaire équivaudrait à un quart de l’eau d’irrigation utilisée dans le pays… 
Sans oublier l’énergie nécessaire notamment pour puiser l’eau douce ou saline, la faire circuler entre les bassins et la pomper dans les différentes zones pour faire fonctionner le système. L’étude de Murphy et Allen de 2011 arrivait à la conclusion que la quantité d’énergie nécessaire pour la seule gestion de l’eau est sept fois plus importante que ce que l’agro-diesel extrait pourra fournir… 
L’autre grave menace pour l’environnement est la destruction d’écosystèmes pour produire le sucre nécessaire à nourrir les micro-organismes. Cette destruction d’écosystème passerait, par exemple, par une déforestation pour cultiver à plus grande échelle des plantes comme la canne à sucre. Une culture qui, lorsqu’elle est industrielle, est également connue pour des conditions de travail proches de l’esclavage.

Si cette nouvelle bio-économie se développait à grande échelle – agrocarburants, chimie « verte », aliments, etc. – l’explosion des besoins mondiaux en sucre menacerait donc de nombreux écosystèmes précieux de la planète et les populations qui y vivent.

Après l’échec des agrocarburants, quelques firmes internationales sont prêtes d’un côté à ruiner les petites paysanneries mondiales spécialisées dans des produits très spécifiques ; et de l’autre, à détruire des écosystèmes entiers pour permettre l’expansion des plantations de canne à sucre qui seront nécessaires à la nourriture des micro-organismes modifiés génétiquement pour synthétiser ces produits. 


Des micro-algues GM potentiellement invasives


Les micro-algues jouent un rôle de premier plan dans la régulation du carbone de la planète, la production d’oxygène (50 %) et dans les cycles des nutriments. Elles sont le fondement des chaînes alimentaires des océans et des eaux douces. On les retrouve dans les eaux froides des pôles, dans les déserts, les grottes, dans les sols, etc. 
Les espèces de la famille des Prototheca – dont une espèce fut utilisée par Solazyme – se retrouvent non seulement dans les eaux douces et marines, mais aussi dans des infections bactériennes des arbres (écoulement de sève), dans des herbes, des aliments, le sol et même dans le système digestif de divers mammifères.

Alors qu’un pied de maïs ne peut se reproduire qu’à partir du nombre limité de ses grains, les algues peuvent doubler leur nombre tous les jours. Cela change complètement l’échelle des risques et on peut aisément imaginer les conséquences d’une marée « noire » due à la dissémination d’algues qui produisent un agrocarburant, se multiplient et colonisent de nouveaux écosystèmes aquatiques…

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