n°152 - septembre / décembre 2018

Agrocarburants : la filière actuelle n’est pas durable

Par Inf'ogm

Publié le 18/01/2019

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Avant de s’intéresser à l’utilisation des OGM dans les agrocarburants, un état des lieux général de la filière des agrocarburants dans l’Union européenne s’impose. Quelles sont les surfaces et variétés concernées par les agrocarburants ? Les agrocarburants permettent-ils de réduire les émissions de CO2 ? Pour le savoir, Inf’OGM a interrogé Laura Buffet, responsable « Carburants propres  » à l’association Transport & Environnement qui a pour mission de promouvoir, au niveau européen et mondial, une politique de transport basée sur les principes du développement durable.

Inf’OGM – La filière des agrocarburants bénéficie du soutien des pouvoirs publics. Quelle est aujourd’hui la part des agrocarburants sur le marché des carburants dans l’UE ?

Laura Buffet – Les agrocarburants bénéficient d’un soutien au niveau européen depuis plusieurs années et actuellement leur part dans les carburants européens se situe aux alentours de 4,5 %. Il est important de savoir que la majorité des agrocarburants est actuellement produite à partir de cultures alimentaires (colza, palme, blé, etc.) et que seule une partie minime est produite à partir de résidus et de déchets (par exemple huiles usagées). 
Actuellement, le marché du biodiesel représente environ 80 % du marché européen des agrocarburants et l’éthanol en représente 20 %.

La production actuelle d’agrocarburants – colza, maïs, eucalyptus, betterave – est-elle plus économe en énergie et en CO2 que les carburants issus du pétrole ? Certaines filières sont-elles plus pertinentes que d’autres ?

La production d’agrocarburants est associée indirectement à des déforestations et des reconversions d‘écosystèmes considérables. La conversion de terres agricoles, auparavant destinées à la production alimentaire, en terres de culture pour agrocarburants déplace ces cultures alimentaires ailleurs, afin de satisfaire la demande existante (et grandissante) pour l’alimentation humaine et celle du bétail. Cette expansion se fait souvent au détriment de forêts, prairies, tourbières et zones humides, qui sont des écosystèmes riches en carbone. Cela engendre une augmentation considérable des émissions de gaz à effets de serre. Or, ces émissions ne sont pas prises en compte par les politiques de soutien aux agrocarburants.

Si l’on prend en compte ces émissions, le biodiesel produit à partir d’huiles végétales, comme le colza ou l’huile de palme, émet plus de CO2 que le pétrole conventionnel. En moyenne, le biodiesel produit à partir de ces huiles émet 80 % de CO2 en plus et il domine le marché européen des agrocarburants. L’huile de palme est le biodiesel qui émet le plus de CO2, avec trois fois les émissions du diesel conventionnel.

La part d’huile de palme dans le biodiesel produit dans l’Union européenne a considérablement augmenté ces dernières années. Désormais, environ un tiers du biodiesel européen produit à partir de cultures alimentaires est produit à partir d’huile de palme. En France, environ 75 % des importations d’huile de palme sont utilisés pour la production de biodiesel. Et les conducteurs européens ne sont malheureusement pas informés de l’origine des agrocarburants et du pétrole qu’ils consomment.

La via Campesina manifeste contre les agro-carburants

Quelle est la surface des cultures de plantes destinées à être transformées en agrocarburants dans l’UE ?

Les données sur cette question sont assez limitées mais une étude de 2011 évoquait le chiffre de 13 % pour la surface agricole cultivée en Europe dédiée à la bioénergie. Ces chiffres regardent simplement l’utilisation « directe » des terres pour produire la bioénergie et ne considèrent pas les changements indirects qui s’opèrent afin de cultiver d’autres surfaces de terre pour le marché de l’alimentation. Ces chiffres ne prennent pas non plus en compte les surfaces utilisées en dehors de l’Union européenne pour la production d’agrocarburants qui sont ensuite importés par l’Union européenne.

La production actuelle d’agrocarburants – colza, maïs, eucalyptus, betterave – est-elle réellement une garantie de souveraineté et d’indépendance vis-à-vis des énergies fossiles ?

La quasi-totalité des véhicules sur les routes européennes ne peuvent utiliser que de petites quantités d’agrocarburants pour des raisons techniques et la réglementation limite la part de ces carburants alternatifs dans le diesel et l’essence (5 ou 10 % pour l’éthanol dans l’essence et 7 % pour le biodiesel dans le diesel).

Donc même en consommant des agrocarburants, les conducteurs européens aujourd’hui continuent à rouler majoritairement aux carburants fossiles.

Malgré la petite réduction de dépendance aux carburants fossiles, la politique actuelle de soutien aux agrocarburants a créé une dépendance accrue aux importations d’huiles végétales dans l’Union européenne.

Selon une étude publiée en 2013 par le Conseil International sur le Transport Propre (International Council on Clean Transportation), l’utilisation accrue d’huiles végétales européennes pour les agrocarburants a été associée à une baisse des exportations et une augmentation des importations d’huiles végétales, notamment l’huile de palme (l’étude ne mentionne pas les marchés auxquels étaient destinées les exportations passées d’huiles végétales).

De plus, les politiques de soutien aux agrocarburants ont également un impact sur les marchés des denrées alimentaires.

En augmentant la demande pour des denrées alimentaires à des fins énergétiques, ces politiques de soutien ont contribué à l’augmentation de leur prix, notamment pour les huiles végétales au niveau européen. En effet, plus on augmente la demande pour un produit/bien, et plus le prix de ce bien a tendance à augmenter.

Est-il possible que la production d’agrocarburants devienne écologiquement et économiquement pertinente ? Si oui, quelles seraient les contraintes / critères à imposer aux producteurs d’agrocarburants ?

L’utilisation de terres agricoles pour la production d’agrocarburants n’est pas une solution durable pour l’avenir. Un changement de cap est nécessaire et il faut que les décideurs politiques mettent un terme au soutien pour les agrocarburants de première génération produits à partir de cultures énergétiques et qui sont en général destinées également à l’alimentation, comme le colza, l’huile de palme, le blé, le maïs, etc. Au niveau européen, la décision a déjà été prise de limiter le soutien à ces agrocarburants à cause des impacts négatifs sur le climat, mais cela n’est pas suffisant.

D’autres alternatives au pétrole existent. Une possibilité par exemple est de se tourner vers des carburants de nouvelle génération produits à partir de résidus ou de certains déchets. Mais il faut, là encore, rester vigilants et s’assurer que des critères stricts de durabilité soient appliqués à ces carburants. De plus, les quantités disponibles restent très limitées.

Enfin, il est important de rappeler que l’électricité produite à partir de renouvelables comme le solaire ou l’éolien est le carburant le plus propre actuellement. Il y a des questions concernant le stockage de cette énergie intermittente mais les véhicules électriques peuvent agir comme moyen de stockage pour cette électricité renouvelable [1].

Des carburants synthétiques liquides produits à partir d’électricité renouvelable pourraient également constituer une solution d’avenir, notamment pour des secteurs comme l’aérien où la possibilité d’électrification est plus limitée.

[1Voir notamment La troisième révolution industrielle, 
Jeremy Rifkin, éd. Les liens qui libèrent, 2012.

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