n°152 - septembre / décembre 2018Fiche technique / Etat des lieux

Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité : 10 ans déjà

Par Frédéric PRAT

Publié le 18/01/2019

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Les 26 et 27 septembre, à Paris, avait lieu la fête des dix ans de la Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité (FRB). Cette Fondation de droit privé, méconnue du grand public, se veut une interface entre la communauté scientifique, la société civile (ONG, syndicats professionnels, entreprises…) et l’État. Objectif : coordonner et financer la recherche sur la biodiversité, en mobilisant tant des des fonds publics que privés.

La Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité (FRB), résultat de la fusion de l’Institut français de la biodiversité et du Bureau des ressources génétiques (BRG), a été créée en 2008 – suite au Grenelle de l’Environnement, à l’initiative des ministères chargés de la Recherche et de l’Écologie – par huit établissements publics de recherche [1]. Trois nouveaux « membres fondateurs  » ont ensuite été acceptés : deux issus du public (en 2016, l’Institut national de l’environnement industriel et des risques – Ineris ; et en 2017, l’Université de Montpellier) ; et un du privé : LVMH, fédération d’entreprises du luxe, en 2015 [2]. 
Conséquence concrète : ils intègrent de droit le conseil d’administration (CA) de la FRB. La présence dans le CA de la FRB d’un acteur privé – qui de plus avait promu un essai de vigne transgénique en Champagne en 1999 – au milieu de tous ces acteurs publics, interpelle. « Et pourquoi d’autres entreprises ne sont -elles pas rentrées dans le CA de la FRB ? » a interrogé l’un des participants de la table-ronde du 26 septembre dernier à l’occasion des dix ans de la FRB. « Car le ticket d’entrée est important » lui a-t-on répondu. LVMH a pu le payer. D’après Sébastien Barot, chercheur à l’IRD et vice-président du Conseil scientifique de la FRB, « l’argent apporté par LVMH tombe dans un pot commun, sans aucune contrepartie ».

Délimiter les rôles autour de la biodiversité

L’objectif général de la FRB est de « favoriser au niveau national, européen et international le développement, le soutien et l’animation des activités de recherche sur la biodiversité, dans les domaines biologique, écologique, socio-économique et juridique, et des activités associées de formation, de sensibilisation et de diffusion des résultats » [3]. La loi biodiversité de 2016, pour laquelle la FRB a été auditionnée à maintes reprises, a créé l’Agence française pour la biodiversité (AFB). Dès lors, quel périmètre délimite ces deux entités ? Le plan d’actions 2018-2021 de la FRB répond à la question : « nos enjeux sont communs, mais nos objectifs et outils sont différents. La FRB a pour mission de soutenir et d’agir avec la recherche pour accroître et transférer la connaissance sur la biodiversité, alors que l’Agence a pour mission de protéger la biodiversité par la mobilisation de l’expertise en appui aux politiques publiques » [4]. En résumé, l’AFB, pour agir, s’appuie sur les résultats scientifiques de la FRB.

La biodiversité cultivée est-elle dans le champ de la FRB ?


Lors de sa création, une majorité des membres du COS a appuyé les demandes de la Confédération paysanne pour que la FRB s’occupe aussi de biodiversité agricole et soutienne sa conservation et son développement in situ

 (dans les fermes. La FRB a ainsi été la première structure institutionnelle à reconnaître en France le travail des réseaux paysans et la nécessité de faire évoluer la réglementation pour pouvoir le développer. À sa suite, le plan français Semences et agriculture durable s’est intéressé aux « variétés population » (dont l’enregistrement au catalogue était demandé par la loi Grenelle 2), aux semences potagères anciennes, à la conser
vation in situ à la ferme et aux variétés rendues tolérantes aux herbicides (VrTH). 

Le ministère de l’Agriculture gère maintenant la conservation des ressources génétiques tandis que la FRB se concentre sur les tâches de recherche, principalement sur la biodiversité sauvage. Hélène Soubelet, directrice de la FRB, s’en explique pour Inf’OGM : « Les questions de gestion et de conservation [des ressources génétiques] continuent d’être traitées à la FRB, mais dans ses implications avec la science et surtout en intégrant aussi plus résolument la question des ressources génétiques sauvages dans ses travaux (étude de diversité, questions de réglementation sur l’accès aux ressources génétiques (RG) notamment pour la recherche).

La FRB continue d’animer les réflexions sur les aspects de recherche liés aux ressources génétiques dans sa participation à différentes 
initiatives sur la question (CTPS, EGAlim, etc.) et surtout au travers des actions du collège
« ressources génétiques » de son Conseil d’orientation stratégique, en interaction avec les scientifiques spécialistes de la question de son CS ». À noter que ce collège est aujourd’hui présidé par Isabelle Clément-Nissou, juriste du Groupement national inter-
professionnel des semences et plants (Gnis).

Une gouvernance interdisciplinaire et multi-acteurs

Plateforme de dialogue avec une multitude d’acteurs, la FRB s’est dotée de deux Conseils, le Conseil d’Orientation Stratégique (COS) et le Conseil Scientifique (CS), représenté au sein du Conseil d’administration (CA) (voir encadré ci-dessous). En France, la FRB a contribué à deux initiatives de recueil de données sur la biodiversité. Elle coordonne aussi le projet européen BiodivERsA, un réseau européen d’agences et ministères qui programment et financent la recherche sur la biodiversité et les services écosystémiques en Europe. 
Au niveau international, la FRB assure le secrétariat du comité français pour la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IP
BES), l’équivalent, pour la biodiversité, du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). La FRB organise chaque année une journée de réflexion autour de l’influence du Giec et de l’IPBES sur la prise de décision politique. Et elle entend peser sur les positions des négociateurs français, tant pour les réunions de l’IPBES que celles de la Convention sur la diversité biologique et de ses protocoles (Nagoya et Cartagena), notamment sur la dématérialisation des ressources génétiques et la biologie de synthèse.

Acteurs de terrain et scientifiques, ensemble…


Le COS, composé aujourd’hui de 235 acteurs de la société (entreprises, ONG, collectivités…), émet des avis et formule des propositions. Hélène Soubelet, directrice de la FRB, précise à Inf’OGM : « Les entreprises privées (…) bénéficient des informations diffusées par la FRB et sont incitées à participer à nos clubs recherche action et à financer des projets de recherche ou des actions de mobilisation de l’expertise ou de transferts des résultats de recherche ». Issu du COS, un COS resserré, de 40 membres, travaille en cinq collèges thématiques, dont trois sont présidés dans cette mandature par des entreprises privées.

Le Comité Scientifique (CS), composé de 20 personnalités scientifiques françaises ou étrangères, donne son avis sur les grandes orientations, le programme d’action annuel et apporte son expertise. Ces deux conseils sont représentés au sein du Conseil d’administration, composé de 18 personnalités dont neuf représentants des membres fondateurs, cinq membres du COS, deux personnalités qualifiées et deux représentants des enseignants-chercheurs. Et président et vice-président du CS, ministères de la Recherche, de l’Écologie, de l’Agriculture et des Affaires étrangères sont membres invités du CA.

Pour 2018-2021 : convaincre les élus

La FRB ne s’en cache pas : elle compte convaincre les élus, car, dit-elle dans son plan d’actions 2018-2021, il peut y avoir « des effets non intentionnels sur la biodiversité de certaines politiques et subventions publiques alors même qu’elles ont été élaborées dans un objectif de réduction de l’empreinte carbone de notre société » [5]. 


Le plan d’actions de la FRB distingue trois grands objectifs pour la recherche sur la biodiversité : la soutenir, agir avec elle, et en transmettre largement les connaissances.
 Parmi les actions envisagées, la FRB prévoit de continuer à « traiter simultanément, et de manière coordonnée, le défi climatique et le défi de protection de la biodiversité ». L’un des thèmes abordés tournera autour des solutions pour freiner l’appauvrissement de la diversité génétique, tant pour la biodiversité sauvage que pour la biodiversité cultivée et domestique (voir encadré ci-dessus). L’étude de la diversité infra-spécifique sera prolongée [6]]] [7], comme une des solutions à l’adaptation aux changements climatiques. 
Les nouvelles techniques de modification génétique seront aussi l’objet d’études pour mesurer « leurs impacts sur la biodiversité, en particulier sur le fonctionnement des communautés et des écosystèmes, si des produits ou des organismes transformés par ces techniques sont diffusés ou relâchés dans l’environnement ». Enfin, l’étude de la biodiversité des milieux extrêmes devrait, d’après la FRB, ouvrir « un champ exceptionnel d’innovations biotechnologiques ». 


Les ambitions de la FRB sont multiples, mais ses moyens limités. Dès lors, comment hiérarchiser les actions à venir ? Et surtout, qui, dans cette nouvelle mandature, y jouera le rôle d’arbitre ? (voir encadré ci-dessous). D’après Sébastien Barot, vice-président du CS, les chercheurs sont écoutés et les pressions du privé sur la recherche publique sont minimisées par le fait que la FRB valide les contrats de recherche liant privé et public. Lors de la table-ronde du 26 septembre à l’occasion des dix ans de la FRB, le président, Jean-François Sylvain, a réaffirmé sa volonté d’ouvrir le CA à davantage d’entreprises privées, en espérant que tombent les réticences des membres fondateurs (du public) à « partager le pouvoir » avec les entreprises privées. Répondant à une question d’Inf’OGM sur les risques que le privé oriente et accapare les résultats de la recherche publique, il a mis en garde contre les caricatures, plaidé pour une confiance dans un changement pas à pas du monde socioéconomique, et donner en exemple l’engagement, le 10 juillet dernier en présence de Nicolas Hulot, de 65 grandes entreprises pour défendre la biodiversité [8]. On sait, depuis, le jugement que porte le même Hulot sur cette « politique des petits pas »…

« Quelles sont les garanties pour que les financements privés n’orientent pas la recherche publique ? »


Hélène Soubelet, directrice de la FRB, répond à la question d’Inf’OGM : « Avec nos fonds propres (non fléchés), nous ne finançons aucun projet directement. Nous lançons des appels, soit sans thématique ciblée (recherche sur la biodiversité), soit avec une thématique ciblée relativement large (acidification des océans). (…) Les projets sont classés par les scientifiques [de notre conseil scientifique et au besoin externes] et les meilleurs sont financés.

Avec des fonds dédiés, fournis par conventionnement avec nos partenaires, nous menons à bien des actions qui sont définies au préalables par la convention. Nous rendons compte de l’utilisation de l’argent, mais lorsqu’il s’agit de choisir des projets scientifiques, nous procédons comme avec nos fonds propres : appel / évaluation scientifique / choix des projets avec le partenaires, parmi les meilleurs projets. Seule différence : le choix final est fait en concertation avec le partenaire, mais uniquement sur la base des projets validés par le CS. Les autres projets ne sont pas présentés
 ». Enfin, « sur les dix dernières années la part des financements privés est d’environ trois millions contre 15 millions environ pour les fonds publics ».

Repères


8 organismes de recherche membres fondateurs ;


11 études ou expertises conduites depuis 2008 ;



162 projets de recherche sélectionnés et soutenus par la FRB, depuis 2008, seule ou en partenariat ;
 


235 acteurs de la biodiversité mobilisés au sein du Conseil d’orientation stratégique de la FRB :
ONG, associations, entreprises, collectivités territoriales, gestionnaires d’espaces et de ressources…



31 acteurs publics et privés partenaires des actions de la FRB mis en œuvre depuis sa création ;



4700 acteurs français de la recherche identifiés dans le domaine de la biodiversité, ainsi que 1700 étrangers ;



une cinquantaine d’observatoires de recherche sur la biodiversité et bases de données recensés et caractérisés ;

8 600 000 euros investis dans les programmes de recherche initiés par la FRB ;



5 900 000 euros investis dans les programmes de recherche avec les partenaires publics ou privés ;



un budget annuel d’environ
4 000 000 euros, et 18 salariés.

Source : http://www.fondationbiodiversite.fr/fr/fondation/presentation/la-frb-en-chiffres.html

[1Bureau de Recherches géologiques et minières (BRGM), Centre Nationale de recherche scientifique (CNRS), Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer), Institut national de recherche agronomique (Inra), Institut de recherche pour le développement (IRD), Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (Irstea) et Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN).

[2La firme, dirigée par Bernard Arnaud, est numéro un mondial du luxe avec un portefeuille de plus de soixante-dix marques de prestige dans le domaine des vins et spiritueux avec notamment Château d’Yquem, Moët & Chandon, Veuve Cliquot, Krug, Hennessy et Glenmorangie, ainsi que dans le domaine de la mode avec Louis Vuitton, Céline, Kenzo, Fendi, Guerlain, Marc Jacobs, Givenchy, Chaumet et Bulgari. Il est également présent dans le domaine des médias, avec notamment Les Échos, Le Parisien et Radio Classique, dans la distribution avec Sephora et Le Bon Marché, et dans l’hôtellerie de luxe avec notamment le palace Cheval Blanc Courchevel. (Extrait de Wikipedia)

[3Convention d’objectifs entre le ministère chargé de la recherche et la FRB du 19 juin 2009.

[4p.5 de Plan d’action 2018-2021, Fondation pour la recherche sur la biodiversité, déc. 2017

[5Voir Plan d’action 2018-2021, Op. Cit.

[6Voir notamment l’étude Goffaux R., Goldringer I., Bonneuil C., Montalent P. et Bonnin I. (2011). Quels indicateurs pour suivre la diversité génétique des plantes cultivées ? Le cas du blé tendre cultivé en France depuis un siècle. Rapport FRB, Série Expertise et synthèse, 2011, 44 pages, voir également [[Frédéric PRAT, « La recherche variétale française : une bonne santé en trompe l’oeil », Inf’OGM, 6 septembre 2016

[7p.14 de Plan d’action 2018-2021, Fondation pour la recherche sur la biodiversité, déc. 2017, Ibid.

[8Engagement connu sous le nom de « Act4nature », avec notamment Renault, Veolia, Vinci, SNCF, Bouygues Immobilier, BNP Paribas, Bolloré, EDF… ainsi que le Medef.

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