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Royaume-Uni – L’Inra teste deux camelines OGM Crispr

Par Eric MEUNIER

Publié le 19/10/2018, modifié le 01/12/2023

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Avant l’été 2018, des chercheurs britanniques et français ont expérimenté en champ 17 lignées de camelines génétiquement modifiées par transgenèse et deux lignées génétiquement modifiées en utilisant Crispr/Cas9. Ces deux lignées modifiées par Crispr ont été cultivées dans les conditions au champ prévues pour les OGM transgéniques. Mais elles avaient bénéficié préalablement, de la part du gouvernement britannique, d’une autorisation administrative hors du cadre réglementaire sur les OGM. Une décision administrative devenue illégale deux mois plus tard quand la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) arrêtait que toutes les nouvelles techniques de mutagénèse, dont Crispr, donnaient des OGM qui devaient être soumis au champ d’application de la loi.

L’Union européenne publie sur un site Internet [1] les fiches d’information des essais d’OGM conduits en Europe. La fiche référencée B/GB/18/01 concerne un essai conduit par l’Institut britannique Rothamsted de camelines génétiquement modifiées pour avoir, notamment, une composition en acides gras différente. Elle renseigne 17 lignées de camelines transgéniques dont la mise en culture pour être testées au champ est annoncée entre le 1er mai 2018 et le 20 septembre 2020. Mais rien n’est dit concernant deux lignées de camelines génétiquement modifiées via Crispr/Cas9 qui font pourtant partie de l’essai.

Une succession de techniques pour modifier ces camelines

Ces deux camelines sont annoncées comme ayant subi une modification par Crispr/Cas9. Des fleurs de camelines ont été trempées dans une solution de bactéries génétiquement modifiées pour que pénètre dans les cellules une construction transgénique codant un complexe Crispr/Cas9. Dans les plantes transgéniques obtenues, le complexe Crispr/Cas9 a été exprimé par les cellules pour muter trois gènes FAD2. Le résultat des mutations obtenues est une réduction de la quantité d’acides gras insaturés et une augmentation d’acide oléique. Les plantes transgéniques ayant les mutations recherchées ont ensuite été croisées autant de fois que nécessaire pour obtenir des plants de camelines dans lesquels le transgène n’est plus présent mais qui ont toujours les mutations.

Une décision d’exemption nationale

Avant de se retrouver dans la base des essais en champs dans l’Union européenne, le dossier est passé entre les mains des autorités britanniques. La demande d’autorisation reçue par le ministère de l’Environnement britannique (Defra) [2] indique que l’essai, outre les 17 lignées transgéniques, contiendra deux camelines pour lesquels une enzyme « a été inactivée par édition du génome via Crispr-Cas9 ».

L’autorisation délivrée par le Defra est datée du 17 mai 2018 [3]. Cette décision liste bien les plants transgéniques, mais elle ne mentionne pas les deux plants modifiés par Crispr/Cas9. Cette absence s’explique par la décision du ministère de considérer ces deux plants comme des OGM non soumis au champ d’application de la directive 2001/18 qui encadre les essais en champs dans l’UE.

Avant de prendre sa décision, le ministère britannique a demandé son avis au Comité consultatif sur les disséminations dans l’environnement. Il souhaitait savoir si « ces lignées auraient pu être produites par des méthodes d’amélioration conventionnelles, même si elles contiennent de l’ADN issu du vecteur de transformation apportant Crispr/Cas9 ». Ce comité répond alors affirmativement [4]. Il souligne surtout que si des «  molécules d’acide nucléique recombinant » ont été utilisées – termes qui désigne dans le cas présent un transgène – les séquences codant ce transgène « ne sont plus présentes dans les deux lignées de cameline modifiée ». Il précise enfin qu’il « ne serait pas possible de déterminer si ces lignées ont été produites par édition du génome ou par mutagénèse traditionnelle car elles seraient génétiquement non différenciables ». Ces affirmations du Comité consultatif britannique – pour le moins discutable pour ce qui est de la dernière – ont donc amené le ministère à exclure ces deux lignées de sa décision finale d’autorisation d’un essai d’OGM. Ce faisant, il officialisait sans l’écrire ne pas considérer ces camelines comme des OGM soumis au champ d’application de la loi.

Cette exclusion, l’Institut Rothamsted l’a interprétée comme un feu vert. Le jour même de l’autorisation ministérielle, l’Institut communiquait sur son site Internet que « des cultures génétiquement éditées allaient être mises au champ pour la première fois au Royaume-Uni dans le cadre d’essai en champs » [5]. Le choix du terme « génétiquement édité » s’inscrivait dans cette rhétorique qui sous-entend que génétiquement « édité » et génétiquement « modifié » ne serait pas légalement pareil… L’institut précise d’ailleurs que contrairement aux plantes GM qui nécessitent une autorisation avant d’être cultivées, «  les variétés GE n’en ont pas besoin  ». Et de déposer dans la base de l’Union européenne sur les essais d’OGM, une fiche d’information muette sur les deux camelines « crisperisées ».

Une dérogation illégale

Cette lecture de la législation européenne est contredite deux mois plus tard. Le 25 juillet 2018, la Cour de Justice de l’Union européenne arrête en effet que toutes les techniques de mutagénèse donnent des OGM et que seules celles ayant un historique d’utilisation sans risque et qui ont été utilisées dans plusieurs applications peuvent être exemptées des requis de la législation [6].

Pour l’essai au champ de cameline modifiée génétiquement par Crispr, cela induit que cette décision du gouvernement britannique est illégale car les deux camelines sont des produits OGM régulés. La légalité de la procédure peut donc être questionnée. Ne serait-ce que pour la partie transparence, car l’essai complet n’a par exemple fait l’objet ni d’une demande complète, ni d’une consultation publique ni d’une évaluation préalable complète, tout comme la fiche d’information publiée sur Internet ne fait toujours pas état, le 9 octobre 2018, des plants « crisperisés » !

Mais pour ce qui concerne la mise en culture elle-même, pas de souci selon des chercheurs français également impliqués dans cet essai.

L’Inra impliqué dans la recherche

Les plants de cameline modifiée par utilisation de Crispr/Cas9 et de transgenèse ont été mis au point en France par l’Institut National de la Recherche Agronomique, l’Inra. Comme l’indique l’Institut Rothamsted dans sa demande d’autorisation déposée au Royaume-Uni, la publication scientifique de plusieurs chercheurs de l’Institut Jean-Paul Bourgin de l’Inra est la référence concernant ces plants de cameline GM. Le communiqué du 17 mai 2018 de l’Institut britannique se montre plus précis, déclarant que « pour les deux lignées de cameline GE [7], Rothamsted collabore avec l’équipe française dirigée par le Pr. Jean-Denis Faure, professeur d’embryogenèse végétale au centre de recherche de l’Inra Versailles-Grignon ».

Interrogé par Inf’OGM quant aux conséquences de la décision de la Cour sur la gestion de l’essai et sa légalité, Jean-Denis Faure explique que la décision ne change rien sur la mise en culture en elle-même : les plants de cameline « crisperisés » ont été cultivés « au milieu d’un essai de cameline transgénique, dans des conditions requises pour les OGM ». Ils ont depuis été récoltés. Quant aux nouveaux essais prévus en 2019 et 2020 avec ces deux camelines au statut OGM bien établi cette fois, l’avenir est pour le moment incertain. Pour Jean-Denis Faure, il est possible que les camelines transformées par Crispr doivent « être réévaluées en tant qu’OGM et peut-être le dossier va-t-il repasser devant le comité d’experts britanniques » avant la mise en culture. Quelle pourrait être cette évaluation avant autorisation de mise en culture de l’essai ? Le chercheur n’en sait rien « puisqu’elles ne contiennent plus de transgène ». Une question dont la réponse se trouve dans la législation européenne. L’annexe III de la directive 2001/18 liste les informations à fournir, comme une description des séquences modifiées, les « méthodes utilisées pour la modification », une « description du ou des traits génétiques ou des caractéristiques phénotypiques  »… ainsi qu’une «  description des techniques d’identification et de détection » !

Une tentative de passage en force ?

La demande d’autorisation a été déposée au Royaume-Uni début 2018. Difficile de croire que les chercheurs ainsi que les services juridiques tant de l’Inra que de Rothamsted n’étaient pas au courant de la procédure en cours auprès de la Cour de Justice de l’Union européenne. Une procédure initiée fin 2016 et qui posait justement la question du statut légal des produits obtenus par des « nouvelles techniques de mutagénèse » comme Crispr/Cas9. Jean-Denis Faure explique que les chercheurs ont voulu « tester comment la législation européenne [sur les OGM] pouvait être interprétée par des pairs », et de rappeler que ce projet était dans les cartons « depuis début 2017 mais la Cour de Justice ayant été longue à prendre son arrêt, nous n’avons pas attendu plus longtemps, surtout que la mise en culture elle-même se faisait dans des conditions OGM ».

Cet essai doit se poursuivre en 2019 au Royaume-Uni, un pays qui aura, depuis le 29 mars 2019 théoriquement, quitté l’Union européenne. La décision du gouvernement britannique de mai 2018 pourrait bien ne pas être peine perdue. Si elle est illégale par rapport au droit de l’Union européenne depuis le 25 juillet 2018, elle pourrait bien devenir légale dès avril 2019 puisqu’à cette date, le Royaume-Uni serait seul décideur.

[2

Demande d’un essai en champs de cameline OGM

[3

Décision d’autorisation de l’essai de cameline OGM

[4

Avis des experts (ACRE – UK) sur l’essai de cameline OGM

[5Where GM meets GE, 18 mai 2018

[7NDLR – GE : génétiquement éditée donc génétiquement modifiée

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