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UE – Pas d’exemption pour les nouvelles mutagénèses

Par Charlotte KRINKE

Publié le 05/09/2018

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Dans son arrêt du 25 juillet 2018, la Cour de justice européenne a jugé que les organismes issus de mutagénèse sont des OGM. Elle a surtout clarifié la portée de l’exemption qui permet aux OGM issus de mutagénèse d’échapper aux obligations posées par la législation OGM. Pour la Cour, cette exemption ne doit profiter qu’aux « organismes obtenus au moyen de techniques/méthodes de mutagénèse qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps ».

En 2001, le législateur européen adoptait une directive pour encadrer la culture des OGM dans l’Union européenne, la directive 2001/18 [1]. Mais le législateur n’a pas voulu que la directive s’applique à tous les OGM. C’est ainsi que les OGM issus de mutagénèse, notamment, échappent aux obligations d’autorisation préalable avec évaluation des risques, d’étiquetage, de traçabilité… L’un des principaux enjeux de l’affaire était justement de clarifier la portée de cette exemption : profite-t-elle aux organismes issus de toutes les techniques de mutagénèse, ou seulement aux organismes issus de certaines techniques de mutagénèse antérieures à l’adoption de la directive ?

Dans son arrêt du 25 juillet, la Cour de justice européenne juge tout d’abord que les organismes obtenus par mutagénèse sont bien des OGM [2] [3]. Elle affirme ensuite que l’exemption ne bénéficie qu’aux organismes issus de techniques de mutagénèse « traditionnellement utilisées pour diverses applications » et dont la sécurité est avérée depuis longtemps. Donnant des indications sur le critère temporel, la Cour précise que l’exemption ne profite pas aux organismes issus de techniques de mutagénèse « qui sont apparues ou se sont développées principalement depuis l’adoption de ladite directive » [4]. La Cour justifie cela par les risques liés à l’emploi de ces techniques nouvelles de mutagénèse, sur l’environnement et la santé, qui ne peuvent pas être établis avec certitude à ce jour [5]. Une interprétation qui découle de l’intention du législateur et du principe de précaution, estime la Cour.

La première conséquence, évidente, est la création de deux catégories d’OGM issus de mutagénèse pouvant relever de règles différentes. Les premiers sont ceux issus de techniques traditionnellement utilisées et dont la sécurité est avérée depuis longtemps ; les seconds sont ceux issus de techniques de mutagénèse « apparues ou [qui] se sont principalement développées depuis l’adoption de ladite directive » et dont l’emploi pose des risques incertains pour l’environnement ou la santé humaine. Les premiers peuvent bénéficier de l’exemption et ainsi échapper au champ d’application de la directive 2001/18 [6]. Mais, et c’est important de le noter, la Cour estime qu’ils peuvent aussi relever d’une loi nationale spécifique [7]. En revanche, les seconds ne peuvent bénéficier en aucun cas de l’exemption et relèvent pleinement de la directive.

Une décision aux conséquences importantes…

La Cour n’essaie pas de définir le terme de mutagénèse et estime que l’exemption doit être lue à la lumière du considérant 17 de la directive 2001/18 (les considérants reflétant l’intention du législateur). Ce considérant énonce que la directive « ne devrait pas s’appliquer aux organismes obtenus au moyen de certaines techniques de modification génétique qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps ».

Ce faisant, la Cour cherche clairement à éviter d’entrer dans un débat scientifique [8] (voir encadré ci-dessous). Mais surtout, l’absence de définition de la mutagénèse, combinée au critère temporel, permet à la Cour de dégager une interprétation qui ne risque pas d’être dépassée par les évolutions scientifiques. En effet, tous les organismes issus de techniques qualifiées de mutagénèse qui seront développées à l’avenir, et ce quel que soit le type de modification génétique que ces techniques permettront de réaliser, seront soumis à la directive 2001/18. Ils ne pourront pas bénéficier de l’exemption [9].

Une nouvelle présentation scientifique du débat sur les nouvelles techniques


Avec cette décision, la présentation scientifique du débat sur les nouvelles techniques va changer. Car il ne s’agira plus de nommer les techniques selon un mécanisme de modification génétique (transgenèse, mutagénèse dirigée par oligonucléotides…), selon un des outils utilisés (Crispr, méganucléase, nucléase à doigt de zinc…) ou selon une méthode d’apport dans un organisme de la nouvelle séquence (agro-infiltration…) mais bien selon la nature de la modification génétique : mutagénèse (en référence à l’obtention de mutations), transgenèse ou cis/intragenèse (en référence à l’apport de séquence génétique) ou encore, par exemple, délétion (en référence au retrait de séquence génétique présente dans le génome). Un état de fait qui s’impose avec cette décision de la Cour de justice, cette dernière expliquant, à propos du terme mutagénèse, que l’article de la directive qui y fait référence « ne fournit pas, à lui seul, d’indication déterminante quant aux types de techniques/méthodes » utilisées. Ce qui d’ailleurs prend tout son sens quand on sait que les protéines Crispr ou les méganucléases sont utilisées pour générer des mutations, insérer des séquences ou retirer des séquences. Après avoir elles-même nécessité une étape de transgenèse !

… qui impose l’accès à de nouvelles informations

Déterminer de quelle catégorie relève un OGM issu de mutagénèse, et donc appliquer l’arrêt de la Cour, nécessite d’avoir accès à un certain nombre d’informations.

Prenons l’exemple des variétés de colza et tournesol rendues tolérantes aux herbicides (VrTH) par mutagénèse, cultivées en France, et dont les organisations françaises parties au recours devant le Conseil d’État demandent l’interdiction de culture et de commercialisation.

Le Conseil d’État va devoir répondre à la demande des organisations en appliquant l’arrêt de la Cour de justice. Il devra donc déterminer si les techniques utilisées pour obtenir ces variétés sont « apparues ou [ont été] développées principalement » depuis l’adoption de la directive 2001/18. Il pourra alors dire si elles doivent ou non être évaluées et autorisées avant d’être cultivées et mises sur le marché et faire ou non l’objet d’un étiquetage.

Dans sa décision du 3 octobre 2016, le Conseil d’État indiquait déjà que, « postérieurement à l’adoption de la directive du 12 mars 2001, de nouvelles méthodes de modification génétique ont été développées. » [10]. Il citait à cet égard les techniques de mutagénèse aléatoire in vitro ainsi que la mutagénèse dirigée par oligonucléotide et la mutagénèse par nucléase dirigée. Mais le Conseil d’État affirmait également que « à ce jour, aucune variété de semence résistante à un herbicide issue des méthodes nouvelles de mutagénèse ne serait encore inscrite au catalogue européen des semences » [11]. L’utilisation du conditionnel en dit long sur la difficulté du Conseil d’État à évaluer et dater l’apparition et le développement d’une technique. L’incertitude empêchera-t-elle le Conseil d’État d’enjoindre au Premier ministre d’adopter « toutes mesures pour instaurer » un moratoire sur la culture et la commercialisation de ces variétés ? Ou conduira-t-elle au contraire à faire droit à cette demande de moratoire compte tenu de l’objectif de protection de la santé humaine et de l’environnement que la directive 2001/18 vise à garantir, conformément au principe de précaution ? La récente lettre ouverte de la Confédération paysanne aux producteurs de colza montre en tout état de cause que l’incertitude n’est pas partagée [12].

Cette difficulté illustre tout l’enjeu de l’information sur la méthode d’obtention utilisée pour mettre au point les variétés issues de mutagénèse. En l’absence d’une telle information donnée par le semencier / l’obtenteur, et en l’absence d’une technique fiable de détection, comment en effet distinguer, parmi ces variétés (qui sont toutes des OGM), lesquelles sont « apparues ou [ont été] développées principalement » depuis l’adoption de la directive 2001/18 et donc lesquelles pourraient être exemptées et lesquelles ne le peuvent pas ?

Cette difficulté apparente pourrait très facilement être levée si, comme le demandent de nombreuses organisations, la méthode d’obtention devait obligatoirement être fournie par les entreprises. On s’approcherait alors de la transparence, que nous défendons ardemment à Inf’OGM.

Jusqu’à présent, les entreprises déterminaient elles-mêmes si le produit qu’elles voulaient mettre sur le marché relevait de la législation OGM ou non. Pourront-elles continuer de le faire ? Quoi qu’il en soit, l’Union européenne et ses États membres vont maintenant devoir mettre en œuvre la décision de la Cour de Justice. Des discussions avec toutes les parties prenantes sont sans aucun doute à prévoir pour savoir comment.

Une dernière obligation ?

Il est aujourd’hui indispensable que soit mis en place un programme de recherche pour développer les méthodes de détection, d’identification et de traçabilité de ces nouveaux OGM, à l’instar des OGM transgéniques. Ce programme était demandé par les organisations de la société civile ainsi que par les experts européens eux-mêmes. La Commission européenne a elle-même affirmé, le 8 juin 2018, qu’elle examinerait « si une action est nécessaire » pour permettre d’identifier « la technique de mutagénèse utilisée pour introduire la modification » selon le statut juridique que la Cour de Justice de l’Union européenne lui donnerait [13]. Avec l’arrêt du 25 juillet, la mise en place de tels protocoles semble indispensable et la Commission européenne ne pourrait plus, comme en 2017, refuser à ses experts le lancement d’un tel programme [14].

Les méthodes d’interprétation utilisées par la Cour


Quels sont les organismes issus de mutagénèse relevant de l’exemption ? Pour répondre à cette question, la Cour applique ses méthodes classiques d’interprétation.

C’est avant toute chose le principe de l’interprétation stricte des exceptions qui la guide. Selon ce principe, une exception doit être interprétée de façon à ce qu’elle s’applique à ce à quoi elle est destinée à s’appliquer et à rien d’autre. Or, comme le souligne la Cour, l’exemption déroge à l’exigence de soumettre les OGM aux obligations prévues par la directive 2001/18. Elle doit donc faire l’objet d’une interprétation stricte.

L’interprétation littérale est d’une faible aide à la Cour, car l’article qui prévoit l’exemption se réfère à la mutagénèse de manière générale. Par conséquent et sans tenter de définir ce terme, la Cour conclut que l’article « ne fournit pas, à lui seul, d’indication déterminante quant aux types de techniques/méthodes que le législateur de l’Union a entendu précisément exclure du champ d’application de ladite directive. » [15].

L’interprétation contextuelle fournit en revanche bien plus d’indications à la Cour. Elle est même déterminante dans la précision de la portée de l’exemption. Le considérant 17 de la directive occupe ici une place centrale car, selon la Cour, le législateur de l’Union y précise les conditions dans lesquelles certains OGM devraient être exclus du champ d’application de la directive [16]. Pour la Cour, ce considérant empêche les techniques/méthodes nouvelles de mutagénèse en cause devant le Conseil d’État de bénéficier de l’exemption car elles « sont apparues ou se sont principalement développées depuis l’adoption de la directive 2001/18 » et même si « (leurs) risques pour l’environnement ou pour la santé humaine ne peuvent à ce jour être établis avec certitude, [ils] pourraient s’avérer similaires à ceux résultant de la production et de la diffusion d’OGM par voie de transgenèse » [17]. Rien ne justifie, dès lors, que les organismes issus de ces techniques échappent au champ d’application de la directive.

L’interprétation téléologique, c’est-à-dire l’interprétation d’une norme à la lumière de l’objectif qu’elle poursuit, vient appuyer avec force la conclusion issue de l’interprétation contextuelle. Comme le rappelle la Cour, l’objectif de la directive 2001/18 vise, « conformément au principe de précaution, à protéger la santé humaine et l’environnement » tant quand les OGM sont cultivés à des fins expérimentales ou commerciales que quand ils sont mis sur le marché en tant que produits. C’est précisément pour réaliser cet objectif que la culture et la mise sur le marché d’OGM relèvent du régime de l’autorisation (les OGM ne peuvent être commercialisés ou cultivés que s’ils ont reçus préalablement une autorisation de mise sur le marché ou de culture) et doivent être précédés d’une évaluation des risques. Or pour la Cour, interpréter l’exemption comme excluant du champ d’application de la directive « les organismes obtenus au moyen de techniques/méthodes de mutagénèse, sans distinction aucune, compromettrait l’objectif de protection poursuivi par ladite directive et méconnaîtrait le principe de précaution que celle‑ci vise à mettre en œuvre » [18]. Si l’exemption avait porté sur toutes les techniques de mutagénèse, alors elle aurait privé de son utilité la directive !

[5Arrêt précité, point 47 à point 50

[6Cela n’aurait toutefois pas pour conséquence que ces organismes échappent automatiquement au champ d’application de la directive. Selon l’annexe I B de la directive, un organisme issu de mutagénèse ne peut en effet être exclu du champ d’application de la directive que si la technique de mutagénèse utilisée n’implique pas l’utilisation de molécules d’acide nucléique recombinant ou d’OGM autres que ceux qui sont issus d’une ou de plusieurs des techniques/méthodes énumérées dans ladite annexe (mutagénèse et un certain type de fusion cellulaire).

[7Dans l’arrêt du 25 juillet, la Cour reconnaît en effet aux États membres une marge de manœuvre pour adopter des mesures régissant les OGM issus de mutagénèse exclus du champ d’application de la directive. L’exercice de cette marge de manœuvre doit cependant être compatible avec les règles découlant du droit de l’Union, notamment en matière de libre circulation des marchandises.

[8Il est d’ailleurs assez révélateur que la Cour ne s’intéresse pas à la question de savoir si la condition prévue à l’annexe I B de la directive permet d’exclure ou non les nouvelles techniques de mutagénèse de l’exemption et donc de respecter ou non l’intention du législateur de n’exclure du champ d’application de la directive que les organismes obtenus au moyen de certaines techniques de modification génétique qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps.

[9Il paraît en effet difficile de soutenir qu’une technique apparue ou principalement développée depuis l’adoption de la directive 2001/18 – qui n’est donc pas une « technique traditionnellement utilisée  » – puisse remplir la condition de la « sécurité avérée depuis longtemps ».

[10Voir Conseil d’État, Confédération paysanne et autres, 3 octobre 2016, n°388649, point 23

[11Point 24 de l’arrêt précité

[13Parlement européen, Questions parlementaires, 8 juin 2018.

[15Cour de justice de l’Union européenne, Confédération paysanne e.a., 25 juillet 2018, affaire C-528/16, point 43

[16La Cour s’appuie également sur d’autres considérants de la directive, notamment sur le considérant 4, qui rappelle le caractère irréversible des effets sur l’environnement résultant d’une dissémination des OGM, et sur le considérant 8, qui énonce que le principe de précaution a été pris en compte lors de la rédaction de la directive et qu’il devra en être tenu compte lors de sa mise en œuvre. Voir les points 49 et 50 de l’arrêt.

[17Point 47 et point 48 de l’arrêt précité

[18Point 53 de l’arrêt

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