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UE – Les plantes transgéniques ne sont pas les seuls OGM

Par Charlotte KRINKE

Publié le 07/08/2018, modifié le 01/12/2023

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Dans son arrêt du 25 juillet 2018 concernant les organismes issus de mutagénèse [1] [2], la Cour de justice a précisé les contours de la notion d’OGM. Elle a confirmé que les organismes issus de mutagénèse sont des OGM, rejetant l’idée d’interpréter strictement la notion d’OGM. Surtout, la Cour a maintenu le critère de la « technique utilisée » qui sert à définir un OGM en droit de l’Union européenne et non celui de « produit final » qui est le critère en vigueur aux États-Unis.

Le Conseil d’État français demandait à la Cour de justice de l’Union européenne si la notion d’OGM telle que définie par la législation européenne (directive 2001/18) couvre les organismes issus de mutagénèse et notamment les organismes issus des « nouvelles techniques de mutagénèse dirigée mettant en œuvre des procédés de génie génétique ».

Ce n’est pas la première fois que la Cour est amenée à préciser la notion d’OGM. Dans l’affaire « Bablok » [3] [4], la Cour avait dû répondre à la question de savoir si le pollen issu d’une variété de maïs génétiquement modifié constitue, ou non, un OGM [5]. Elle avait alors considéré que si le pollen a perdu sa capacité de reproduction et est dépourvu de toute capacité de transférer du matériel génétique qu’il contient, il n’est pas un « organisme » et donc ne relève plus de la notion d’OGM [6].

Dans l’affaire mutagénèse, il s’agit de savoir si des organismes issus d’une technique spécifique, la mutagénèse, sont des OGM. Ici, la question est donc centrée sur la technique permettant de produire les organismes concernés.

La notion d’OGM est une notion ouverte

Selon la directive 2001/18, un OGM se définit comme « un organisme, à l’exception des êtres humains, dont le matériel génétique a été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle » [7]. Cette définition ne fait a priori aucun lien entre OGM et apport de matériel génétique exogène, quoi que cette équation ait souvent été mise en avant par les partisans des biotechnologies végétales.

La première directive applicable aux OGM (directive 90/220), tout comme celle actuellement en vigueur (directive 2001/18), exclut, entre autres, les organismes issus de mutagénèse de son champ d’application. Par conséquent, la culture de ces organismes ne requiert ni autorisation préalable, ni évaluation des risques, et leur commercialisation ne requiert ni étiquetage, ni traçabilité. Mais cette exemption signifie-t-elle que ces organismes ne sont pas des OGM ?

Jusque l’arrêt de la Cour de justice du 25 juillet 2018, deux interprétations s’opposaient pour répondre à cette question. L’une, défendue par une partie de l’industrie mais également par certains États membres comme la Suède ou le Royaume-Uni, consiste à interpréter la notion d’OGM de manière restrictive. Selon cette interprétation, un OGM se caractérise par la présence d’ADN étranger dans l’organisme. Or la mutagénèse, à la différence de la transgenèse, consiste à provoquer volontairement des mutations génétiques chez un organisme vivant, sans insertion d’ADN étranger dans cet organisme. Les organismes issus de mutagénèse ne seraient donc pas des OGM, quelle que soit d’ailleurs la technique de mutagénèse utilisée (in vivo ou nouvelles techniques de mutagénèse). L’autre interprétation, défendue par les organisations françaises parties au recours devant le Conseil d’État et également par l’avocat général dans ses conclusions et un certain nombre d’États membres, consiste au contraire à dire que la notion d’OGM est une notion ouverte. Selon cette interprétation, la présence d’ADN étranger n’est pas un critère de définition d’un OGM et la mutagénèse, qu’elle qu’elle soit, produit des OGM parce qu’elle produit une modification génétique d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement.

Dans son arrêt rendu le 25 juillet, la Cour de justice refuse d’interpréter la notion d’OGM de manière restrictive et suit les conclusions de son avocat général. Selon elle, les organismes issus de mutagénèse, y compris ceux issus des nouvelles techniques de mutagénèse dirigée mettant en œuvre des procédés de génie génétique, sont des OGM. 

Pour parvenir à cette conclusion, la Cour adopte un raisonnement où la dénomination de la technique utilisée devient presque secondaire. Elle s’appuie en effet principalement sur la définition de l’OGM prévue à l’article 2 de la directive 2001/18. Selon la Cour, cette définition se caractérise par la réunion de deux critères : la modification du matériel génétique d’une part, et le caractère non naturel de cette modification d’autre part. Les organismes issus de mutagénèse (quelle que soit la technique de mutagénèse utilisée) répondent à ces deux critères, estime la Cour.

Elle affirme en effet d’abord que les mutations provoquées par les techniques de mutagénèse, dans le but de rendre les plantes tolérantes aux herbicides, sont des modifications du matériel génétique au sens de la directive 2001/18 [8]. La Cour réfute ainsi l’argument selon lequel l’expression de « modification génétique » se limiterait à la seule insertion de matériel génétique d’un organisme étranger dans un autre organisme. Si elle avait été retenue, cette interprétation aurait eu pour effet de restreindre considérablement la notion d’OGM et donc le champ d’application de la directive 2001/18.

La Cour affirme ensuite que la modification génétique provoquée par les techniques de mutagénèse ne s’effectue pas « naturellement ». La Cour ne s’aventure pas à définir ce qui est « naturel », ce qui aurait d’ailleurs pu avoir pour effet de restreindre la portée de la notion d’OGM. Elle se borne simplement à constater que «  lesdites techniques/méthodes impliquent, pour certaines d’entre elles, le recours à des agents mutagènes chimiques ou physiques, et, pour d’autres, le recours au génie génétique » [9].

Le critère de la « technique utilisée » est maintenu

Au cœur de la question de savoir si les organismes issus de mutagénèse sont des OGM, il y a le critère de la « technique utilisée », qui sert à identifier un OGM en droit de l’Union européenne. Ce droit s’intéresse en effet principalement aux caractéristiques de la technique pour déterminer si l’organisme qui en est issu est ou non un OGM [10]. Demander si les organismes issus de mutagénèse sont des OGM amène ainsi la Cour à se prononcer sur le fait de savoir si la mutagénèse est une technique dont l’utilisation entraîne une modification génétique « d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication et/ou recombinaison naturelle ».

Le critère de la « technique utilisée » subit cependant une pression croissante exercée tant depuis l’extérieur de l’Union européenne que de l’intérieur.

La pression extérieure résulte de la différence d’approche entre l’Union européenne et ses principaux partenaires commerciaux, qui sont également les principaux producteurs mondiaux d’OGM transgéniques et mutés (États-Unis et Canada). Ces États utilisent le critère du « produit final » pour déterminer si l’organisme est un OGM. Mais la pression provient aussi de l’intérieur. C’est ainsi que les Pays-Bas ont, en septembre 2017, présenté une proposition de révision de la directive 2001/18 dans laquelle un basculement en faveur du critère du « produit final » est opéré [11].

L’apport de l’arrêt de la Cour tient au fait qu’il montre clairement que le critère de la « technique utilisée » pour définir un OGM n’est pas remis en cause. La Cour relève ainsi que la mutagénèse est expressément citée parmi les techniques ou méthodes de « modification génétique » dans la directive 2001/18 [12]. Par ailleurs, en appliquant ensuite le critère du caractère « non naturel » de la modification génétique (et non du produit final), sans suggérer son défaut de pertinence ou la nécessité de le faire évoluer, la Cour indique implicitement que, en droit de l’Union européenne, la notion d’OGM est insensible au fait de savoir si des molécules d’acide nucléique recombinantes utilisées pour ou pendant la modification génétique cessent ou non d’être présentes dans la plante destinée à être cultivée. Elle est également indifférente au fait de savoir si, comme il est parfois affirmé, l’organisme aurait pu être obtenu au moyen de méthodes ou techniques de sélection traditionnelles.

Il reste à savoir si, comme dans l’affaire « Bablok », l’interprétation de la Cour sera remise en cause par une révision de la directive 2001/18. Il est cependant très peu probable que cela se produise avant la fin de la législature actuelle (mi-mai 2019).

[1Cour de justice, Confédération paysanne e.a., 25 juillet 2018, affaire C-528/16.

[3Cour de justice, Karl Heinz Bablok et autres contre Freistaat Bayern, 6 septembre 2011, affaire C-442/09.

[5Au sens de l’article 2 point 5 du règlement 1829/2003.

[6La Cour a cependant admis que ce pollen relevait du règlement 1829/2003 en tant qu’ingrédient « produit à partir d’OGM » lorsqu’il est présent dans le miel, par exemple. Le miel contenant du pollen issu d’une plante génétiquement modifiée doit donc être soumis à évaluation et autorisation et l’étiquetage est obligatoire au-delà d’un seuil de tolérance de 0,9% par ingrédient. Cette interprétation a par la suite été remise en cause par la révision de la directive « miel ». La directive 2014/63 qualifie en effet le pollen de « constituant naturel propre au miel » et non d’ingrédient. Par conséquent, la présence du pollen issu d’un OGM n’entraîne l’obligation d’étiquetage que si elle dépasse 0,9 % sur la totalité du produit.

[7Article 2, point 2, de la directive 2001/18.

[8Voir point 28 de l’arrêt.

[9Voir point 29 de l’arrêt.

[10Le critère de la « technique utilisée » en droit de l’Union européenne ressort de la définition d’un OGM prévue à l’article 2, point 2, de la directive 2001/18. Il ressort encore davantage des annexes à cette directive, qui viennent expliciter la définition. Ces annexes établissent une distinction entre les techniques dont l’utilisation entraîne une modification génétique et les techniques qui ne sont pas considérées comme entraînant une telle modification génétique.

[12Voir point 37 de l’arrêt.

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