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Protocole de Cartagena : l’évaluation des risques en débat

Par Charlotte KRINKE

Publié le 20/07/2018

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Du 2 au 7 juillet 2018 s’est tenue à Montréal (Canada) une réunion destinée à préparer les Conférences des Parties au Protocole de Cartagena et au Protocole de Nagoya. Trois sujets particulièrement importants étaient abordés : la biologie de synthèse, les informations numériques sur les ressources génétiques et l’évaluation et la gestion des risques liés aux organismes vivants modifiés (OVM). Focus sur ce dernier sujet, qui divise les États autant que les deux autres.

C’est dans un contexte plutôt tendu que s’est tenue la réunion de l’Organe subsidiaire du Protocole de Cartagena chargé de fournir des avis scientifiques, techniques et technologiques du 2 au 7 juillet à Montréal (Canada). L’évaluation des risques liés aux organismes vivants modifiés (OVM) [1] occupe certes une place centrale dans le Protocole de Cartagena (voir encadré ci-dessous), mais est loin d’être un sujet consensuel. Les États Parties au Protocole n’ont en effet pas les mêmes capacités pour mettre en œuvre les obligations du Protocole et évaluer les risques liés aux OVM. Et surtout, ils n’ont pas les mêmes approches en matière de biotechnologies. Les pays en développement, qui ont pour la plupart une attitude plutôt attentiste face aux OVM, expriment un besoin de documents d’orientation pour mener à bien l’évaluation des risques selon les exigences du Protocole. Ce besoin n’est pas partagé par les États Parties qui ont investi le domaine des biotechnologies, majoritairement des pays développés, qui estiment que l’évaluation des risques à des fins de prise de décision peut être synonyme de restrictions au commerce.

L’évaluation des risques au cœur du Protocole de Cartagena


Le Protocole de Cartagena encadre le mouvement transfrontière d’organismes vivants modifiés (OVM). L’évaluation des risques liés aux OVM occupe une place centrale dans cet accord international, puisque son objectif est de « contribuer à assurer un degré adéquat de protection pour le transfert, la manipulation et l’utilisation sans danger des organismes vivants modifiés résultant de la biotechnologie moderne qui peuvent avoir des effets défavorables sur la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique, compte tenu également des risques pour la santé humaine, en mettant plus précisément l’accent sur les mouvements transfrontières ».

D’où l’importance de l’évaluation des risques dans la procédure d’accord préalable en connaissance de cause que le Protocole met en place. C’est sur la base d’une évaluation des risques qu’un État Partie prend la décision d’autoriser ou non l’importation d’OVM destinés à une introduction intentionnelle dans l’environnement. Selon le Protocole, cette évaluation doit être réalisée « selon des méthodes scientifiques éprouvées ». Une annexe au Protocole définit les principes généraux et les étapes méthodologiques à prendre en compte [2].

Des experts désavoués, puis remis en selle

Ces divergences expliquent que lors de la huitième Conférence des Parties (COP MOP 8, décembre 2016 à Cancun, Mexique), le mandat du Groupe spécial d’experts techniques n’a pas été renouvelé : il était chargé d’élaborer une « marche à suivre » sur les étapes nécessaires à la conduite d’une évaluation de risques et d’élaborer des orientations supplémentaires sur des aspects spécifiques de l’évaluation (poissons ou moustiques génétiquement modifiés par exemple). La Conférence des Parties n’a pas non plus jugé nécessaire d’élaborer davantage d’orientations sur les sujets identifiés comme étant prioritaires par certains États, comme la biologie de synthèse ou les poissons génétiquement modifiés. Le Groupe spécial d’experts avait pourtant dès 2009 listé ces sujets parmi les priorités à traiter dans un document d’orientation sur l’évaluation des risques [3].

Enfin, cette huitième Conférence des Parties a simplement pris note des Orientations facultatives sur l’évaluation des risques présentés par les organismes vivants modifiés que le Groupe spécial d’experts avait élaboré, sans les accueillir favorablement [4] [5].

Il existe certes divers documents d’orientation à disposition des États mais certains de ces derniers, principalement des pays en développement, continuent de pointer leurs lacunes. Certains États estiment en outre que des orientations supplémentaires sont nécessaires pour évaluer les produits issus des nouvelles techniques de modification génétique, comme le forçage génétique ou la biologie de synthèse.

L’Organe subsidiaire qui s’est réuni début juillet avait pour mission de « recommander une marche à suivre pour répondre aux besoins, traiter les priorités et combler les lacunes identifiées par les Parties, pour examen par la Conférence des Parties siégeant en tant que réunion des Parties au Protocole de Cartagena à sa neuvième réunion, y compris la création éventuelle d’un nouveau groupe spécial d’experts techniques ». Compte tenu de la réticence de certains États d’approfondir le sujet de l’évaluation des risques et d’établir un groupe spécial d’experts dédié, cette tâche ne s’annonçait pas aisée.

Le projet de décision élaboré par l’Organe subsidiaire montre que quelques divergences ont été surmontées et que les travaux sur l’évaluation des risques vont pouvoir reprendre après la parenthèse ouverte par la Conférence des Parties de 2016… si tant est que le projet soit adopté par la neuvième Conférence des Parties qui se déroulera du 17 au 29 novembre 2018 à Sharm El-Sheikh (Égypte).

L’Organe subsidiaire recommande par exemple à la Conférence des Parties de demander à la Secrétaire exécutive de mandater une étude informant des problèmes spécifiques d’évaluation des risques des « organismes vivants modifiés contenant des gènes synthétiques et des poissons vivants modifiés ». Il suggère également de décider de la création d’un groupe spécial d’experts techniques sur l’évaluation des risques. Son rôle sera notamment de proposer des recommandations sur le besoin de directives sur l’évaluation des risques posés par « les organismes vivants modifiés contenant des gènes synthétiques, et les poissons vivants modifiés  » [6].

L’évaluation des nouvelles techniques attendra

Un point de divergence demeure toutefois apparent dans le projet de décision : celui des organismes issus des nouvelles techniques de modification génétique. L’expression « produits par édition du génome » apparaît systématiquement entre crochets dans le projet de décision, indiquant un désaccord entre États. A priori, l’étude ne portera donc pas sur les problèmes d’évaluation des risques de ces produits-là, et le groupe spécial d’experts ne proposera pas non plus de recommandations sur le besoin de documents d’orientation sur l’évaluation des risques de ces produits. Selon Lim Li Ching, de l’ONG internationale Third World Network, ce sont les États membres de l’Union européenne qui auraient refusé d’inclure les organismes issus des nouvelles techniques du champ de l’étude, préférant qu’elle se concentre sur le forçage génétique et les poissons génétiquement modifiés [7]. Cette position n’était pas ouvertement justifiée par le débat juridique concernant le statut des organismes issus des nouvelles techniques dans l’Union européenne, les États expliquant que le sujet des nouvelles techniques est trop large pour pouvoir faire l’objet d’une orientation. Il est toutefois probable que ce débat ait joué un rôle.

Si la Conférence des Parties de Sharm El-Sheikh décide de créer un groupe technique spécial d’experts lors de sa prochaine réunion, il faudra encore attendre un moment avant que des documents d’orientation spécifiques sur l’évaluation des risques du poisson génétiquement modifié ou du forçage génétique soient élaborés. Selon Lim Li Ching, ce ne sera pas avant la onzième Conférence des Parties en 2022 que les nouveaux documents d’orientation seront présentés.

[1C’est le terme retenu par le Protocole de Cartagena, pour désigner des OGM qui ont encore une capacité de reproduction. Par exemple, un soja GM réduit en farine n’est plus un OVM. 

[5Décision adoptée par les Parties au Protocole de Cartagena sur la prévention des risques biotechnologiques, VIII/12. Évaluation des risques et gestion des risques, 16 décembre 2016, CBD/CP/MOP/DEC/VIII/12.

[7Reboot on GMO Risk Assessment Work Under Biosafety Protocol, Third World Network, 12 Juillet 2018.

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