n°151 - juillet / août 2018

Des bits et des microbes

Par ETC Group

Publié le 25/09/2018

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ETC group, une ONG internationale, surveille l’impact des technologies émergentes et des stratégies des entreprises sur la biodiversité, l’agriculture et les droits humains. Avec son aimable autorisation, Inf’OGM a traduit/adapté l’un de ses textes sur le contexte du rachat de Monsanto par Bayer. Et il semble bien que les OGM ne soient qu’une partie des raisons du rachat. La concurrence est en effet redoutable sur deux autres aspects émergents : l’utilisation de microorganismes en agriculture ; et l’agriculture de précision et son corollaire, la gestion des données de masse (big data). Et d’autres transnationales semencières et agrochimiques entrent dans la danse.

Si l’autorisation d’achat de Monsanto par Bayer se concrétise (NDLR : ce texte date du 21 mars 2018, et ce rachat est effectif depuis début juin), le résultat serait une entreprise qui aurait virtuellement un monopole sur les intrants microbiens (à base de microorganismes) et les données de masse (big data) nécessaire aux technologies utilisées pour l’agriculture de précision, deux marchés importants pour l’agriculture industrielle.

Intrants microbiens

Depuis la décennie de 2010, les plus grandes entreprises d’agriculture industrielle du monde ont investi dans le développement et la commercialisation d’« intrants microbiens » – produits dérivés d’organismes vivants – qui peuvent s’ajouter aux semences et aux sols et/ou être appliqués sur les cultures pour augmenter la productivité et la tolérance aux ravageurs. L’utilisation de micro-organismes n’est pas nouvelle : par exemple, le Bacillus thuringiensis – ou Bt – est une bactérie qui a été utilisée comme pesticide depuis plus d’un demi-siècle. Mais suite aux critiques que les entreprises ont reçues sur les problèmes environnementaux et de durabilité, et devant la rareté des minéraux nécessaires pour fabriquer des fertilisants, ces dernières profitent de la grande accumulation de données et des nouvelles technologies pour identifier d’autres microbes potentiellement bénéfiques, mais aussi des communautés de microbes qui, combinés, peuvent travailler comme des « consortium fonctionnels » (voir encadré ci-dessous) [1]. La fermentation avec des techniques de biologie synthétique permet aux entreprises d’ajouter rapidement à leurs pesticides et fertilisants conventionnels des intrants microbiens, comme « compléments » durables et compatibles avec l’environnement [2].

Des « microbes » convoités


Le mot « microbes » inclut ici des bactéries, des champignons, des virus… Ils peuvent stimuler les rendements en augmentant l’assimilation des minéraux (phosphore, azote…), en décomposant la matière organique, permettant ainsi une meilleure adaptation à la sécheresse et aux ravageurs… Les chiffres du marché global sont confus, mais les calculs les plus récents situent la valeur des intrants agricoles biologiques (à base de « microbes ») à 2,8 milliards de dollars pour 2017, avec une projection de 5,4 milliards de dollars pour 2022 [3].

Début 2013, Monsanto a annoncé un accord de cinq ans en recherche et développement avec Synthetic Genomics Inc. Elle a aussi annoncé qu’elle avait acheté des « ressources technologiques » de Agradis Inc., propriété de Craig Venter, comprenant sa collection de microbes associés à des plantes et des processus de détection systématiques [4]. Fin 2013, Monsanto a annoncé sa collaboration avec Novozymes, du Danemark, pour commercialiser des produits microbiens pour l’agriculture. Cette association avec la plus grande entreprise du monde de production d’enzymes (Novozymes), Monsanto l’a appelée « BioAg Alliance ».

Quand Monsanto Growth Ventures (MGV), la branche de capital risque de l’entreprise, a annoncé son premier portefeuille d’investissements en 2016, les nouvelles entreprises de micro-organismes sont apparues en bonne place [5], y compris Pivot Bio, une entreprise qui travaille avec des microorganismes pour améliorer la fixation de l’azote pour le maïs ; mais aussi la nouvelle entreprise d’intrants bio AgBiome. MGV a aussi dirigé une ronde de financements pour 30 millions de dollars pour NewLeaf Symbiotics, une nouvelle entreprise qui cherche à utiliser des bactéries pour améliorer la croissance des cultures.

Bayer a aussi été l’une des premières entreprises à s’enthousiasmer pour les microbes : elle a acheté AgraQuest pour 425 millions de dollars en 2012, une entreprise de pesticides à base de microbes, dont le siège est en Californie. Deux ans plus tard, Bayer a acheté Biagro Group, une entreprise argentine qui se spécialise dans les traitements biologiques pour les semences. En 2015, Bayer a annoncé une collaboration de recherche avec Elemental Enzymes, une entreprise dont le siège est aux États-Unis. La collaboration consiste à « optimiser », grâce aux biotechnologies, les microbes du sol, dans le but d’augmenter les rendements des cultures [6]. En 2017, Bayer a aussi annoncé un partenariat avec Ginko Bioworks pour créer une nouvelle entreprise qui développera des microorganismes pour améliorer la fixation de l’azote par les plantes.

Dans la droite ligne de la tendance technologique dominante, l’entreprise récemment fusionnée DowDuPont est devenue aussi un acteur important sur le marché des intrants microbiens. DuPont a acquis Taxon Biosciences, producteur industriel de microbes basé en Californie en avril 2015 [7], et en octobre 2015 Dow AgroSciences a annoncé une collaboration avec Synthace Ltd, pour « appuyer le développement de souches supérieures de production de microbes » pour stimuler la productivité et augmenter la tolérance contre les ravageurs [8]. En 2017, la division agricole de la nouvelle entreprise fusionnée DowDuPont a annoncé una collaboration stratégique avec Arysta LifeScience pour fournir des microbes pour du maïs et du soja.

Également en 2017, DuPont Pioneer (qui fait partie de DowDuPont Agriculture) a annoncé une collaboration de plusieurs années de recherche avec Evogene, basée en Israël, pour développer des traitements microbiens pour les semences de maïs.

L’agriculture de précision : nouvel Eldorado ?

Les principales entreprises d’intrants agricoles investissent dans des technologies d’agriculture de précision qui dépendent de la gestion de données massives (big data).

Comme l’imagine le directeur des investissements de MGV, « nous voyons une route réelle vers une utopie pas très éloignée, où les fongicides, les microbes, et évidement, des combinaisons d’herbicides sélectifs et non sélectifs pourront s’utiliser pour protéger chaque plante de façon individuelle » [9].

MGV a également des investissements dans d’autres entreprises d’agriculture digitale, dont [10] :

• Blue River Technology (États-Unis), achetée récemment par Deere : c’est une entreprise qui équipe des tracteurs avec des appareils photos et des ordinateurs « intelligents » pour qu’ils puissent scanner les champs et identifier des mauvaises herbes ;

• AgSolver (États-Unis) qui développe des logiciels et des systèmes analytiques en lien avec le travail du sol, et des évaluations et planification d’entreprise ;

• Vital Fields (Estonie), qui fournit des analyses d’unités productives (farm analytics) à des agriculteurs européens ;

• HydroBio (États-Unis), qui délivre des recommandations pour l’irrigation.

En 2015, Bayer a acheté l’entreprise canadienne Zoner, qui analyse des images satellite, des images aériennes, des données sur la productivité et la conductivité électrique des sols, et fournit des informations issues des champs en temps réel sur les conditions climatiques [11]. En 2016, Bayer a ajouté à sa division agricole digitale la société ProPlant, qui émanait d’une université allemande, dotée d’un système pour diagnostiquer la santé des plantes. Également en 2016, Bayer s’est associée avec Planetary Resources, dont les technologies de perception hyperspectrale peuvent produire des informations sur l’humidité du sol et la température à partir d’images satellite. Bayer espère aussi finalement que cette technologie fournisse des données sur les stress causés par les ravageurs [12].

Selon certains rapports, le fait que Monsanto ait acheté l’entreprise d’agriculture digitale Climate Corporation (pour laquelle elle a payé 930 millions de dollars en 2013) a été un facteur décisif pour confirmer l’intérêt de Bayer dans l’acquisition de Monsanto [13]. Trois mois après que Monsanto et Bayer ont signé l’accord pour fusionner, Climate Corporation a fusionné avec Vital Fields, la nouvelle entreprise dans laquelle MVG avait aussi investi.

DuPont a annoncé en 2017 qu’il avait décidé d’acquérir Granular Inc., une entreprise de logiciels et d’analyses de données agricoles, dont le siège est à San Francisco, pour 300 millions de dollars.

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