n°151 - juillet / août 2018

Des brevets sur gènes, protéines, acides gras, sucres…

Par Eric MEUNIER

Publié le 25/09/2018

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Des brevets sur des séquences génétiques, protéines, acides gras, sucres : le champ des composantes du vivant brevetées est plus large qu’on ne le pense. Si un encadrement international réglementaire des ressources génétiques existe déjà pour assurer un accès transparent et un « partage des avantages » et limiter leur brevetabilité, un risque d’échappement existe avec ces brevets sur des ressources a priori non génétiques.

Les brevets peuvent être obtenus pour « protéger » un procédé, un produit ou les deux. Mais certains brevets « produits » montrent qu’ils peuvent être accordés alors même que leur rédaction les rend applicables à des produits pouvant exister naturellement ! Qu’il s’agisse de ressources « génétiques », ou pas !

Des brevets sur l’information génétique

Le brevet EP1263961B1 accordé à Limagrain en 2013 par l’Office européen des brevets (OEB) lui confère la propriété industrielle sur des blés dont le taux d’amylose est élevé. Plus précisément, sur des blés disposant d’une information génétique conférant un taux d’amylose élevé, sans qu’un procédé particulier ne soit associé, et alors que l’information génétique revendiquée peut exister naturellement (voir encadré ci-dessous). De tels brevets ne sont pas si rares. En 2016, Guy Kastler en dressait une première liste (voir encadré en bas d’article). Des brevets problématiques aussi pour les entreprises car, soumises à la menace d’accusation de contrefaçon, elles y voient un potentiel blocage de leurs conditions de travail. Certaines ont donc créé des clubs, à l’instar d’ILP Vegetables qui vise à garantir « un accès privilégié à un pool de brevets détenus par les entreprises, à un coût raisonnable, et transparent » pour tous les membres [1], [2] ! Si le débat sur la dématérialisation des ressources génétiques mobilise de plus en plus d’acteurs, force est de constater que tous ces débats concernent justement des ressources « génétiques », de l’information « génétique »… Mais d’autres brevets portant sur des informations non génétiques sont-ils ou non concernés par d’éventuels accords internationaux sur les ressources « génétiques » ?

L’OEB souligne des problèmes mais accepte des réponses évasives


Le brevet EP1263961B1 de Limagrain [3] décrit plusieurs méthodes donnant les blés objets de la propriété industrielle (transgenèse, interférence à ARN, utilisation d’anticorps…). Mais elles sont toujours décrites à titre d’exemple. Une rédaction qui n’engage donc pas Limagrain sur une méthode précise et surtout, qui n’exclut pas la possibilité que de tels blés apparaissent naturellement et soient sélectionnés. Un constat partagé par l’OEB durant l’examen de la demande. Le 28 juin 2010, l’OEB écrivait ainsi qu’il « ne peut être exclu de manière univoque qu’un tel produit existe déjà ». Une objection finalement non retenue, l’OEB se déclarant, le 10 février 2012, convaincu par l’argumentaire d’un des co-signataires du brevet, Ahmed Regina. En avril 2011, ce dernier argumentait qu’après avoir étudié « de nombreuses lignées de blé présentes dans une collection nommée AWCC », il n’avait « observé aucune lignée [naturelle] comprenant » l’information génétique revendiquée. Et il considérait « négligeable la probabilité que de [telles] lignées de blé apparaissent naturellement ». Négligeable mais pas nulle donc… Mais le brevet fut malgré tout accordé en juillet 2013…

Des brevets sur des informations non génétiques

Le 29 juin 2017, le conseil d’administration de l’organisation européenne des brevets clarifie l’interprétation à avoir des règles pour « exclure de la brevetabilité les végétaux et les animaux obtenus exclusivement par un procédé essentiellement biologique » [4]. Une clarification qui stipule que si les végétaux et animaux obtenus exclusivement par un procédé essentiellement biologique (croisement entre deux plantes par exemple) sont exclus de la brevetabilité, « le matériel de reproduction végétale ou animale doit être traité de la même manière [et] tombe donc sous le coup de l’exclusion si l’effet technique est produit par un procédé essentiellement biologique ». Mais juste après, le conseil d’administration précise que « l’exclusion ne s’étend pas aux parties de végétaux ou d’animaux qui ne sont pas du matériel de reproduction ou des produits dérivés, comme la farine, les acides gras ou les sucres ». Car de tels produits auxquels peuvent s’ajouter les protéines ou tout matériel non héréditaire sont « traités comme des produits chimiques et, à ce titre, sont brevetables pour autant que les conditions générales de brevetabilité soient remplies » ! Les sucres, les acides gras, les protéines sont donc brevetables. De même que toute « caractéristique physique non héritable qui est conférée directement à l’organisme revendiqué, par exemple dans le cas d’une graine enrobée d’une substance chimique ayant un effet bénéfique ».

C’est un tel enrobage qui est revendiqué (parmi d’autres méthodes) par des chercheurs du CNRS et de l’Université de Toulouse dans des demandes de brevets en cours. Ces demandes revendiquent la propriété notamment sur des micro-protéines et de leur utilisation pour modifier l’expression de gènes [5]. La demande FR3012471A1 concerne ainsi des micro-protéines, qu’elles soient ajoutées artificiellement ou naturellement présentes [6] ainsi que les séquences d’ADN codant ces micro-protéines [7]. Et la dernière revendication porte sur l’utilisation de solutions consistant en « un miPEP [8][ou] un acide nucléique codant ledit miPEP, ou un vecteur contenant ledit acide nucléique » permettant de remplir le rôle d’herbicide ou d’ « insecticide, arachnicide, limacide, ou rodonticide ». D’autres demandes listent des caractéristiques techniques obtenues par utilisation de ces micro-protéines à l’instar de la demande de brevet WO2015185861A1 qui concerne « la croissance des plantes ».

Flou international, clarté nationale

L’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et la Convention sur la diversité biologique (CDB) discutent actuellement des conditions dans lesquelles l’accès aux bases de données numériques des « ressources génétiques » doit se faire. Une séquence génétique stockée dans un ordinateur est-elle une ressource génétique ? Ces discussions sont fondamentales pour le monde paysan. Tout comme le fait que la propriété industrielle s’exerce sur des ressources non génétiques comme les protéines. Doit-on alors considérer que ces composants non génétiques peuvent être également classés comme une ressource génétique ? De son côté, le Tirpaa [9] établit déjà l’interdiction de « revendiquer [un] droit de propriété intellectuelle ou autre droit limitant l’accès facilité aux ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture ou à leurs parties ou composantes génétiques, sous la forme reçue du Système multilatéral ». Lexicalement, la formule est assez floue pour savoir si les « parties » concernées sont génétiques ou non. La loi française est, elle, plus claire en interdisant la brevetabilité de végétaux ou animaux « exclusivement obtenus par des procédés essentiellement biologiques (…), y compris les éléments qui les constituent et les informations génétiques qu’ils contiennent » [10].

Des brevets sur des caractères potentiellement naturels


Dans un texte d’août 2016 [11], Guy Kastler dresse une liste de brevets accordés par l’OEB sur des caractères potentiellement naturels : le maïs gélatineux à haute teneur en amylose de Bayer (EP2158320) ; le maïs à taux de phytose réduit de Dow/Pioneer (EP1786901B1) ; le maïs résistant à l’anthracnose de DuPont/Pioneer (EP1874935) ; la laitue résistante au Brémia d’Enza Zaden (EP2115147B1) ; le blé ayant une tolérance accrue aux herbicides imidazolinone de Northwest Plant Breeding Company/Pioneer (EP1420629B1) ; le sorgho tolérant un herbicide de la Kansas State University Research Foundation (EP2114125B1) ; tomates de longue conservation de la société espagnole Semillas Fito (EP2255006B1) ; blé à dormance modifiée de Syngenta (EP1947925B1)…

Cette question ne date pas d’aujourd’hui puisqu’en 2011 déjà, les trois organismes français de recherche Inra, Cirad et IRD écrivaient dans un guide à l’adresse de leurs chercheurs que « avec la dématérialisation des supports du vivant, la question se posera à l’avenir du statut de la bio-information. En effet, les bases de données contenant des informations moléculaires, physiologiques et structurales ainsi que la bioinformatique qui leur est associée ne pourrait-elle pas rejoindre un jour la catégorie des « ressources génétiques » ? » [12]. Et d’affirmer que le « champ d’application des ressources génétiques a donc tendance à s’élargir, sous le double effet de l’évolution de la technique et du droit ». Pour ce qui est du droit international, les discussions sont en cours…

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