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La Commission européenne confond transparence et confidentialité (2/2)

Par Charlotte KRINKE

Publié le 29/05/2018

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Cet article est le second volet consacré à la proposition de révision législative destinée à améliorer la transparence et l’indépendance dans la procédure d’évaluation des risques des aliments [1]. Nous revenons ici sur les mesures modifiant le fonctionnement de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA).

Pour les organisations de la société civile (dont Inf’OGM), la transparence se traduit par un accès pro-actif, sans restriction et dans un format exploitable, aux études et données scientifiques sur lesquelles se fonde l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) pour évaluer la sécurité d’un produit. Pour les entreprises, la transparence se traduit surtout par une vigilance à ne pas empiéter sur le secret commercial, par l’intelligibilité des règles et la simplification des formalités administratives. Cette simplification est en fait l’ajout d’une étape supplémentaire à la procédure de demande d’autorisation : un pré-entretien avec l’AESA pour caler ensemble le contenu de la demande. Une proposition surprenante car la législation est déjà très claire en termes de contenu.

Officialisation des discussions de couloirs

Mais ces entreprises ont manifestement convaincu la Commission européenne. Car parmi les mesures censées améliorer la transparence de l’évaluation des risques, il y a celle de la « pré-consultation » où l’AESA joue le rôle de conseil aux entreprises. Avant de présenter une demande d’autorisation de mise sur le marché, celles-ci pourront ainsi demander à l’Autorité son avis sur les règles applicables et sur le contenu de la demande d’autorisation. La Commission explique en effet que « les demandeurs et, en particulier, les petites et moyennes entreprises, n’ont pas toujours une connaissance claire de ces spécifications ».

Le problème de l’inintelligibilité de certaines règlementations ne doit certes pas être nié. Mais la référence aux petites et moyennes entreprises semble servir de prétexte pour justifier une officialisation des discussions de couloirs demandée depuis 2014 par les entreprises de chimie et des biotechnologies. Car la pré-consultation leur permet d’instaurer un dialogue direct et confidentiel avec l’AESA, avec l’espoir d’influer sur sa décision et d’avoir l’assurance que leur demande sera acceptée [2]. La proposition législative précise utilement que l’avis de l’AESA rendu à cette occasion sera rendu public, mais il est loin d’être sûr que cela comble le manque de confiance en l’AESA, car le problème reste entier quant au réel contenu des discussions. On ne voit dès lors pas bien en quoi la transparence gagne sur ce terrain où la confidentialité des réunions est maîtresse.

Aux citoyens et États membres de veiller à l’indépendance de l’AESA

L’une des critiques régulièrement adressées à l’AESA est qu’elle se base essentiellement sur les données et études fournies par l’industrie pour évaluer les produits que cette même industrie veut mettre sur le marché. Une situation qui discrédite l’indépendance de l’Autorité et donc le résultat de son évaluation. Pour y répondre, la Commission propose de mettre en place des consultations ouvertes au public et aux parties intéressées. Ainsi, quand une entreprise aura déposé une demande d’autorisation, le public sera consulté au sujet des études qui accompagnent cette demande « afin d’identifier si d’autres données ou études scientifiques pertinentes sont disponibles sur l’objet concerné par la demande d’autorisation » [3].

Une manière de reconnaître la faiblesse de l’AESA, mais sans obliger cette dernière à y remédier elle-même ! Or, dans les faits, seules les entreprises auront les moyens de participer à la consultation publique. Les citoyens ou organisations de la société civile n’ont en effet ni les ressources ni le temps nécessaires… Et pendant ce temps, la tenue de ces consultations rendra les citoyens moins légitimes à contester la procédure d’évaluation des risques.

Sur la question de l’indépendance des experts, dont la proximité avec l’industrie est régulièrement soulevée [4], la Commission reconnaît qu’elle est importante. Mais là encore, la Commission cherche à dédouaner l’Autorité européenne de sécurité des aliments, et elle préfère que les États membres en soient les garants. Ce sera à eux de nommer les experts et de mettre en place des mesures assurant leur indépendance et évitant les conflits d’intérêts. Manœuvre habile pour éviter que l’Autorité européenne de sécurité des aliments soit seule sous le feux des critiques, et qui va de pair avec la représentation des États membres au conseil d’administration de l’Autorité (cf. encadré ci-dessous)… [5]

Un conseil d’administration élargi


Rendre les avis de l’Autorité européenne de sécurité des aliments plus légitimes passe aussi par une modification de la composition de son conseil d’administration.

La Commission propose pour ce faire de l’ouvrir à la société civile. Ainsi, quatre membres représenteront les intérêts de la société civile et du secteur de la chaîne alimentaire, à savoir un représentant des organisations de consommateurs, un représentant des organisations non gouvernementales de défense de l’environnement, un représentant des organisations d’agriculteurs et un représentant des organisations de l’industrie. Actuellement, la répartition des sièges des représentants de la société civile n’est pas aussi claire, le conseil d’administration devant comprendre quatre membres disposant d’une « expérience acquise au sein d’organisations représentant les consommateurs et d’autres groupes d’intérêt dans la chaîne alimentaire ». La réalité de l’ouverture à la société civile devra toutefois se mesurer à l’aune des personnalités qui seront nommées [6].

Mais la plus grande modification concerne les États membres, qui seront tous représentés. Une proposition qui traduit la volonté de la Commission européenne de faire reposer sur les États membres une part de la responsabilité pour assurer l’indépendance de l’Autorité européenne de sécurité des aliments. Et qui évite qu’ils critiquent ses avis en mettant en doute son indépendance.

Un calendrier mal choisi ou… ?

La Commission veut aller vite et voudrait que sa proposition soit adoptée par le Conseil et le Parlement d’ici mi-mai 2019, c’est-à-dire avant la fin de la législature actuelle. Des discussions ont d’ailleurs déjà eu lieu au sein du Conseil. Mais la publication de la proposition intervient dans un contexte particulier.

Car en effet, la réforme de la procédure de comitologie (procédure suivie pour autoriser les OGM dans l’Union européenne), lancée en février 2017, est actuellement bloquée. Cette réforme vise à éviter à la Commission européenne d’avoir à prendre la décision finale sur des sujets sensibles, dont les OGM, faute d’accord entre États membres. Une situation qui convient aux États membres car c’est ainsi la Commission européenne qui se trouve en première ligne pour recevoir les critiques quand un OGM est autorisé à la mise sur le marché.

Publier la proposition législative sur la législation alimentaire générale dans ce contexte peut être vu comme un mauvais signal envoyé aux États membres. Car si elle aboutit alors que celle de la procédure de comitologie reste bloquée, les États membres pourront continuer à ne pas prendre leurs responsabilités en matière de prise de décision dans le domaine des OGM. Et cela en toute bonne conscience puisque les avis de l’AESA seront censés être mieux acceptés avec la réforme de la législation alimentaire générale…

Mais la proposition législative peut aussi se voir comme une manœuvre pour dépasser le blocage de la réforme de la procédure de comitologie tout en arrivant au résultat que cette dernière devait produire. Car en associant davantage les États membres à la procédure d’évaluation des risques [7], les États membres ont aussi moins de marge de manœuvre politique pour critiquer les avis rendus par l’AESA, et donc les projets de décision de la Commission européenne basés sur ces avis…

Un plan de communication sur les risques pour effacer les divergences ?

En matière d’OGM, il est arrivé qu’experts nationaux et de l’Autorité européenne de sécurité des aliments aient des avis divergents sur l’évaluation des risques [8]. Selon la Commission, cette divergence suscite la défiance envers la procédure d’évaluation des risques. Mais, continue-t-elle, si elle suscite de la défiance, c’est parce qu’il y a un manque de pédagogie. La Commission explique que « les raisons sous-tendant les différences entre les évaluations et les conclusions des organismes scientifiques devraient être mieux communiquées au public, lequel pourrait ainsi les comprendre plus aisément ». La Commission veut donc établir un plan général de la communication des risques qui devra être respecté non seulement par l’Autorité européenne de sécurité des aliments mais aussi par les autorités nationales d’évaluation des risques.

Dans ce plan, qui devra être adopté par la Commission européenne, il sera expliqué quels outils et canaux de communication utiliser en fonction du public ciblé. Ce plan mettra aussi en place des mécanismes « permettant de renforcer la cohérence de la communication sur les risques entre les évaluateurs des risques et les gestionnaires des risques et d’assurer un dialogue ouvert entre toutes les parties intéressées ». S’agira-t-il par exemple d’expliquer, de manière pédagogique il va sans dire, que l’absence de données fournies par les entreprises n’empêche pas les experts de l’Autorité européenne de sécurité des aliments de rendre un avis favorable sur un OGM alors qu’elle peut conduire les experts nationaux à rendre un avis défavorable ? Ou s’agira-t-il d’effacer ces divergences ?

[2Les entreprises ont déjà obtenu que l’AESA ouvre les réunions plénières à des observateurs, voir Eric MEUNIER, « Comités d’experts et transparence », Inf’OGM, 18 octobre 2017

[3Une consultation publique est également envisagée pour les demandes de renouvellement d’autorisation de mise sur le marché. Cette consultation publique porterait sur les études que l’entreprise projette de réaliser pour le renouvellement de son autorisation.

[4En juillet 2017, l’association Corporate Europe Observatory a publié une étude montrant que presque la moitié des experts sont en situation de conflit d’intérêt financier direct ou indirect avec l’industrie agro-alimentaire, voir Corporate Europe Observatory, Recruitment Errors, Juillet 2017. Sur la question de l’indépendance des membres du conseil d’administration de l’Autorité européenne de sécurité des aliments,
Christophe NOISETTE, « UE – Conflits d’intérêts au sein de l’AESA », Inf’OGM, 9 juin 2011,
Christophe NOISETTE, « UE – Porte tournante entre l’AESA et Syngenta », Inf’OGM, février 2010,
Christophe NOISETTE, « OGM – Conflit d’intérêt à l’AESA : les États membres peuvent encore dire « non » », Inf’OGM, 28 mai 2014,
, « L’AESA : une indépendance sous influence », Inf’OGM, 25 mai 2012

[5Actuellement, les experts sont nommés par le conseil d’administration sur proposition du directeur exécutif de l’Autorité européenne de sécurité des aliments. Les membres du conseil d’administration sont désignés par le Conseil en consultation avec le Parlement européen à partir d’une liste proposée par la Commission européenne. Quant au directeur exécutif, il est nommé par le conseil d’administration à partir d’une liste de candidats proposée par la Commission européenne.

[6Ces membres sont nommés par le Conseil en concertation avec le Parlement européen sur la base d’une liste, établie par la Commission.

[7Cela passe par la nomination des experts et l’établissement des règles d’indépendance et sur les conflits d’intérêts mais aussi par la représentation de chaque État membre au conseil d’administration de l’Autorité européenne de sécurité des aliments.

[8Voir par ex. : Eric MEUNIER, « OGM : divergence chez les experts français et européens », Inf’OGM, 26 décembre 2017

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