Le 11 avril 2018, la Commission européenne a présenté une proposition législative destinée à améliorer la transparence et l’indépendance dans la procédure d’évaluation des risques des aliments. Mais dans les faits, cette proposition renforce la confidentialité et réduit la transparence existante dans le dossier OGM.
Juridiquement, cette proposition, présentée notamment comme une réponse à l’initiative citoyenne européenne (ICE) « Stop glyphosate » [2] [3], vise à modifier le règlement sur la législation alimentaire générale mais aussi des directives et règlements portant sur des domaines alimentaires précis, parmi lesquels les OGM [4].
L’enjeu est de taille : pour la Commission européenne, il s’agit d’éteindre les incendies allumés avec les dossiers OGM et glyphosate par exemple, en essayant de prouver la qualité du travail de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) qui est régulièrement visée par des conflits d’intérêts. Pour les entreprises, il s’agit de profiter de l’occasion pour obtenir une confidentialité plus large des données soumises dans les dossiers de demande d’autorisation. Et pour la société civile, il s’agit d’obtenir une amélioration de la transparence.
La proposition de la Commission couvre donc toute une panoplie de mesures, allant de la communication sur les risques à la composition du Conseil d’administration de l’AESA. Mais un constat s’impose : derrière l’intention de transparence affichée, il y a surtout une proposition de renforcement des règles de confidentialité [5] [6].
Divulgation accrue d’informations ? En apparence seulement
Suite aux demandes des citoyens et des organisations de la société civile, la Commission propose d’élargir le champ des informations rendues publiques par l’AESA. À côté de la création d’un registre des études commandées par les entreprises (voir encadré ci-dessous) pour lequel les modalités d’accès ne sont pas connues, la Commission propose que les données et les études scientifiques accompagnant les demandes d’autorisation de mise sur le marché soient rendues publiques de manière proactive [7].
Un registre européen des études commandées par les entreprises
La Commission européenne propose de créer un registre des études commandées par les entreprises qui sera géré par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA). Ce registre est censé garantir que les entreprises fournissent toutes les études qu’elles ont réalisées, quel que soit leur résultat. Selon la proposition, les opérateurs économiques doivent ainsi notifier « sans délai » à l’AESA « l’objet de toute étude » commandée à l’appui d’une future demande d’autorisation.
Une mesure qui, dans la rédaction actuelle, a peu de chances d’être efficace. Car l’obligation de notification pourrait être aisément contournée en faisant passer les études réalisées comme des étapes de recherche et non d’une future demande d’autorisation. Surtout, seul « l’objet d’une étude » commandée doit être notifié, et non pas le résultat de l’étude. Or seule l’information notifiée sera rendue publique (si une demande d’autorisation est effectivement déposée et sous réserve des règles de confidentialité…). Le registre est donc plutôt un registre des commandes passées qu’un registre des études. Par ailleurs, il faudra être patient pour connaître les sanctions en cas de non-respect de l’obligation de notification, car la Commission européenne propose que ce soit l’AESA qui le précise dans ses règles internes.
La divulgation de ces informations est évidemment une bonne chose. Mais son apport est à nuancer fortement car, en parallèle, la Commission propose une liste assez large d’informations à considérer comme... confidentielles !
Il est ainsi précisé que la divulgation des données et études scientifiques accompagnant les demandes d’autorisation se fait sans préjudice de « tout droit de propriété intellectuelle pouvant exister sur les documents ou leur contenu » et « des éventuelles dispositions figurant dans la législation alimentaire de l’Union qui protègent les investissements réalisés par des innovateurs dans le cadre de la collecte des informations et des données étayant les demandes d’autorisation concernées (“règles concernant l’exclusivité des données”) ».
Et le citoyen devra se contenter de lire l’information divulguée. Car la divulgation de ces données ne vaut pas autorisation de les utiliser, de les reproduire ou de les exploiter sous une autre forme. Pour cela, il faut obtenir l’accord de l’entreprise. Des règles qui s’appliquaient déjà mais qui ne figuraient pas dans la législation alimentaire générale [8] [9]. Les inscrire dans ce texte n’est cependant pas anodin. Elles apparaissent ainsi comme la contre-partie à la divulgation proactive d’informations. Mais surtout comme une mise en garde qui pourrait avoir un effet dissuasif [10] [11].
Mais même si l’information divulguée pouvait être utilisée plus facilement, il n’est pas sûr qu’elle puisse être exploitée pour autant. D’une part, du fait de leur format. Car les informations (données et études scientifiques fournies par les entreprises notamment) seront publiées sur le site de l’AESA a priori dans le format PDF [12]. Or, ce format contraint les scientifiques à re-saisir les données pour pouvoir les analyser (on parle de dizaines de pages contenant des milliers de chiffres) [13]…
Des règles de confidentialité renforcées
D’autre part, le contenu même des informations pourrait priver d’intérêt leur utilisation. Aujourd’hui déjà, certaines informations ne sont pas divulguées. Ainsi, quand une entreprise dépose une demande d’autorisation de mise sur le marché d’OGM, elle peut demander un traitement confidentiel de certaines informations, en apportant une justification de cette demande. Certaines informations ne peuvent pas rester confidentielles. C’est le cas par exemple des informations sur la description générale de l’OGM (directive 2001/18 et règlement 1829/2003), sur l’évaluation des risques pour l’environnement (directive 2001/18), sur les effets de l’OGM sur la santé humaine ou animale ou l’environnement (règlement 1829/2003), ou sur les caractéristiques physico-chimiques et biologiques de l’OGM (règlement 1829/2003).
Mais avec la proposition législative de la Commission européenne, le champ de la confidentialité s’étendrait. Les entreprises pourront en effet demander que certaines informations ne soient pas divulguées si « la divulgation cause un préjudice sérieux aux intérêts concernés ». Jusqu’ici, en matière d’OGM, le seul motif qui pouvait justifier la confidentialité était l’atteinte à la position concurrentielle de l’entreprise… Et c’est l’AESA qui statuerait sur la confidentialité (voir encadré ci-dessous).
L’Autorité européenne de (...)
L’Autorité européenne de sécurité des aliments statue sur la confidentialité
Jusqu’à présent, c’était soit l’autorité nationale compétente saisie de la demande d’autorisation de mise sur le marché, soit la Commission européenne, qui statuait sur la demande de confidentialité de l’entreprise. Si la proposition de la Commission aboutit, ce sera désormais à l’Autorité européenne de sécurité des aliments de statuer sur cette demande, par une décision motivée qui ne sera pas rendue publique [14]...
Surtout, la Commission propose d’insérer dans la législation alimentaire générale une liste limitative d’informations dont la confidentialité peut être demandée par les entreprises, liste qui viendra s’ajouter aux informations dont la confidentialité peut être demandée sur le fondement de la législation spécifiquement applicable aux OGM. Or cette liste contient des informations permettant de savoir quelle méthode a été utilisée pour obtenir telle ou telle plante, et donc qui sont essentielles dans le contexte de l’essor des nouvelles techniques de modification génétique.
Une entreprise pourra ainsi demander que « la méthode et les autres spécifications techniques et industrielles relatives à cette méthode » ou encore la « composition quantitative » du produit soient traitées comme des informations confidentielles. Ces informations permettent pourtant aux citoyens, obtenteurs et agriculteurs de savoir à quel produit ils ont à faire… Elles sont également précieuses pour pouvoir tracer le lien entre le produit et l’éventuel brevet qui le couvre.
Mais la Commission européenne ne s’arrête pas là. Car au titre de la législation spécifiquement applicable aux OGM, une entreprise pourra en plus demander que les informations relatives aux séquences d’ADN et les « modèles et stratégies d’amélioration » ne soient pas divulgués [15]. La plupart de ces informations sont pourtant publiées dans le cadre d’un brevet. Et il serait particulièrement malvenu de pouvoir les rendre confidentielles à l’heure où les entreprises sont déjà peu enclines à révéler la méthode utilisée pour obtenir les plantes qu’elles mettent sur le marché et sont soucieuses de faire échapper les produits issus des nouvelles techniques de modification génétique de la réglementation applicable aux OGM... Car comment les citoyens pourront-ils s’assurer qu’un produit issu d’un OGM est bel et bien soumis à la réglementation dédiée si la méthode qui permet de l’obtenir n’est pas rendue publique ?
Face à cela, les garanties proposées paraissent peu efficaces. Le texte prévoit par exemple que « si une action urgente est essentielle pour protéger la santé publique, la santé animale ou l’environnement, comme dans des situations d’urgences, l’Autorité peut divulguer l’information […] ». Or cette disposition répond à des cas exceptionnels, et une divulgation d’informations dans une situation d’urgence sera trop tardive pour assurer une protection efficace de la santé publique ou animale ou de l’environnement.