n°150 - mai / juin 2018

Les plantes insecticides créent des insectes résistants

Par Eric MEUNIER

Publié le 07/05/2018

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Faire produire par les plantes leur propre insecticide ? Voilà l’objectif suivi depuis les années 90 pour près de 30 % des plantes transgéniques. Mais, comme certains l’avaient prévu, la Nature s’est évidement a-daptée et les insectes ciblés ont développé des résistances. Certains insectes non ciblés ont par ailleurs été atteints. D’autres stratégies se développent, pour potentiellement le même résultat…

Nous sommes au début de l’année 2015 et aux États-Unis, le ministère de l’Environnement propose que les surfaces en maïs non génétiquement modifié (GM) soient augmentées. Une telle proposition est faite après que le gouvernement a enfin reconnu que des insectes avaient développé des résistances aux protéines insecticides produites par certaines plantes transgéniques [1]. Mais trois années plus tard, ce phénomène de résistance augmente !

16 cas de résistances chez les insectes…

Un article publié dans Nature Biotechnology en octobre 2017 [2] nous renseigne sur l’ampleur des résistances apparues chez les insectes. Si 17 cas analysés montrent que la sensibilité d’insectes à des protéines Bt peut ne pas diminuer sur une certaine période, ce n’est pas toujours le cas, au contraire. D’un cas de résistance recensé en 2002, nous sommes passés à seize en 2016.

Et, selon les auteurs, ce chiffre serait sous-estimé par rapport à la situation actuelle dans les champs, principalement du fait des délais de collecte, d’analyse et de publication de résultats. Seize cas de résistances qui se sont en tout cas développées au champ sur des cultures de maïs ou de coton, en moyenne 5,6 années après la première mise en culture de PGM, en Afrique du Sud, Argentine, Brésil, Inde et États-Unis. Ce dernier pays concentre dix cas de résistance sur les seize décrits dans l’article !

La raison principale est que la résistance développée par des insectes à une protéine insecticide peut également leur permettre de résister à une autre protéine insecticide. Il en est ainsi de l’insecte Diabrotica virgifera dont la résistance développée à la protéine Cry3Bb présente dans des maïs transgéniques lui permet de résister également à d’autres protéines insecticides, comme mCry3A et eCry3.1Ab présentes aussi dans certains maïs GM. Même scénario dans le cas de la protéine eCry3.1Ab, où les résistances sont apparues avant même que les maïs transgéniques produisant cette protéine n’ait été commercialisés, a priori donc à partir de résistances acquises via d’autres PGM.

Une résistance qui pourrait encore augmenter

D’autres insectes cibles pourraient à leur tour développer des résistances à une ou plusieurs des protéines insecticides Cry utilisées dans les plantes transgéniques. Mais des résistances pourraient d’ores et déjà être prédites pour des protéines encore peu utilisées. À en croire l’article scientifique, il pourrait en être ainsi pour les protéines insecticides de la famille« Vip » utilisées dans quelques plantes aujourd’hui. Mais, si le scénario de mise en culture de ces plantes transgéniques continue de sous-estimer voire ne pas mettre en place des zones cultivées avec des plantes non transgéniques, afin de retarder ces résistances, l’apparition d’autres résistances devrait se reproduire.

Des insectes non ciblés tués par les OGM ?

L’acquisition de résistance développée par les insectes ciblés par les protéines insecticides n’est pas le seul problème que posent les plantes transgéniques insecticides.

La littérature scientifique mentionne que des insectes non cibles – des insectes qui ne devraient pas être tués par les protéines transgéniques insecticides – sont également tués, et pour certains, développent une résistance à une protéine Bt qui est censée être inoffensive.

En 2009, un article publié dans Archives of Environmental Contamination and Toxicology souligne un effet létal de la protéine insecticide Bt (Cry1Ab) produite par les maïs MON810 sur les larves de coccinelle Adalia bipunctata. Un effet surprenant : l’action de cet insecticide Bt est théoriquement restreinte aux lépidoptères (ou papillons) et ne devrait pas concerner des coléoptères (scarabées, coccinelles, hannetons, etc.).

En 2008, une étude, publiée dans le même journal, montrait que le maïs Bt avait des impacts négatifs sur les puces d’eau Daphnia magna (un arthropode), un animal couramment utilisé par les scientifiques comme animal modèle dans les études d’écotoxicologie.

Les feuilles, tiges et épis de maïs transgénique se retrouvent en effet dans les rivières comme cela a été montré au Canada, et donc on y retrouve aussi le transgène et / ou la protéine insecticide Bt. L’étude, réalisée en laboratoire, consistait à nourrir des puces d’eau avec du maïs GM Bt ou non GM en suspension sur l’eau.

Résultat : les puces en contact avec les protéines avaient une aptitude physique moindre, une mortalité plus élevée, une plus faible proportion de femelles atteignant leur maturation sexuelle et une production d’œufs globalement plus faible.

Plus récemment, en 2014, une étude publiée à nouveau dans cette revue scientifique, montrait que les écrevisses de rivières Orconectes rusticus avaient un taux de survie inférieur lorsqu’elles étaient exposées à la protéine Bt. Une observation néanmoins relativisée par les chercheurs eux-mêmes qui soulignaient que les observations concernaient trop peu d’individus pour rendre leurs résultats statistiquement significatifs.

Une surveillance lacunaire

La question des impacts sur les insectes non-cibles est peu prise en compte dans les plans de surveillance de l’environnement autour des cultures commerciales d’OGM. Et encore, cela ne concerne qu’une potentielle apparition de résistance chez des insectes non cibles.

Mais, malgré des lacunes des plans de surveillances [3], l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA / EFSA) écrivait en 2017 que « la probabilité d’apparition de résistance [à la protéine Bt du maïs Mon810] chez des lépidoptères non cibles est plus faible que chez des lépidoptères cibles ».

Et, après avoir rappelé que les questionnaires aux agriculteurs et la littérature scientifique sont la seule source d’informations, l’AESA conclut que « des explosions régionales de lépidoptères parasites devraient déclencher des investigations » [4]. En d’autres termes, c’est face au problème que l’on saura qu’il y a… problème.

Le manque d’études est en effet reconnu

Le Dr Lovei de l’Université d’Aarhus (Danemark) considère qu’« il est évident que toutes les conclusions quant à l’absence d’impacts de transgènes Bt sur les ennemis naturels sont actuellement prématurées et [issues d’une trop grande] extrapolation ».

Par ailleurs, le comité scientifique du Haut Conseil sur les biotechnologies (HCB) notait en décembre 2009 que « tout en énonçant qu’aucun effet sur les abeilles n’a pu être démontré à ce jour, [le comité scientifique] observe aussi le peu d’études relatives aux effets sublétaux du MON810 sur des abeilles ».

De nombreux pays européens, dont la France, ont adopté un moratoire sur la culture du maïs MON810, notamment en raison de ces impacts sur les insectes non cibles.

Face à ces résistances, qui constituent une ombre importante à la promesse initiale des PGM permettant de se débarrasser du problème des insectes parasites, une solution est envisagée : la course en avant technologique (voir encadré ci-dessous).

La course en avant technologique


L’empilement de protéines insecticides, les sprays à ARN insecticides, l’utilisation de petites protéines directement sur les plantes, sont aujourd’hui des solutions envisagées. Des stratégies qui pourraient n’être pas suffisantes. Car comme le soulignent Bruce Tabashnik et Yves Carrière, « les insectes sont remarquablement adaptables et on doit s’attendre à ce qu’ils développent des résistances à toutes sortes de méthode de contrôle », y compris ceux combinant transgenèse et utilisation d’ARN !

[2« Surge in insect resistance to transgenic crops and prospects for sustainability », Bruce E. Tabashnik et Yves Carrière, Nature Biotechnology, 2017, volume 35, n°10, pp926-935

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