n°150 - mai / juin 2018

Non, les OGM n’ont pas réduit les applications d’herbicides

Par Eric MEUNIER

Publié le 07/05/2018

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En 1996, l’arrivée des plantes génétiquement modifiées pour tolérer des herbicides était souvent accompagnée d’une promesse : elles allaient permettre de diminuer la quantité d’herbicides utilisés dans les champs agricoles. Vingt années plus tard, le glyphosate est devenu hégémonique, les quantités appliquées ont drastiquement augmenté et… des adventices sont devenues résistantes !

Depuis les années 90 et les premières mises en cultures commerciales de plantes génétiquement modifiées (PGM) pour tolérer des herbicides, l’argumentation des bienfaits environnementaux est la même : la culture de ces PGM permet de réduire la quantité d’herbicides utilisés. Le gouvernement canadien en a même fait le premier des bienfaits listés sur son site d’informations sur les OGM [1]. Mais près de vingt années après la commercialisation du premier OGM aux États-Unis, les chiffres confirment-ils cette affirmation ?

15 fois plus de glyphosate appliqué entre 1995 et 2016

Un article publié en 2016 par Charles Benbrook, un universitaire étasunien ayant travaillé sur les aspects économiques de l’agriculture, fait le point sur la situation depuis 1992 pour ce qui concerne le glyphosate. Et ses conclusions sont parlantes : « Globalement, l’utilisation de glyphosate a été multipliée par quasiment 15 depuis que les cultures de plantes modifiées génétiquement pour tolérer le glyphosate […] furent introduites en 1996 » [2].

Et de préciser que les deux-tiers du volume total de glyphosate utilisé depuis 1974 l’ont été sur les seules dix dernières années, entre 2004 et 2014. Selon Benbrook, les cultures de PGM tolérant les herbicides sont responsables de plus de la moitié des quantités de glyphosate utilisé aux États-Unis… Il en va de même au Brésil (voir encadré ci-dessous). Ce constat de forte augmentation de l’utilisation du glyphosate peut rétrospectivement paraître logique puisque la majorité des PGM étaient et sont modifiées génétiquement pour tolérer des herbicides à base de… glyphosate. Pour autant, les quantités utilisées sont telles que le glyphosate était, en 2016, le principe actif d’herbicide le plus utilisé au monde selon un article du journal Newsweek [3].

Pas simple de trouver des chiffres précis sur la quantité totale d’herbicides utilisés. L’Organisation des Nations unies pour l’Agriculture et l’Alimentation (FAO) dispose d’une base de données nous renseignant sur l’utilisation d’intrants en agriculture [4]. Et selon cette base, des pays comme les États-Unis et le Canada n’ont pas vu leur quantité totale d’herbicides utilisés diminuer. Pour les États-Unis, le volume total d’herbicides utilisés a oscillé entre 220 000 tonnes en 1993 (avant les premières mises en culture de PGM tolérant des herbicides en 1996) et près de 256 000 tonnes en 2012 (avec une baisse sous les 200 000 tonnes entre 1999 et 2006). Pour le Canada, ces volumes sont passés de 22 000 tonnes en 1994 à 58 500 tonnes en 2014. Le constat – basique – est dès lors clair pour des pays comme les États-Unis et le Canada : l’adoption des plantes génétiquement modifiées a fait augmenter la consommation d’herbicides en agriculture.

Brésil : les PGM ont augmenté fortement l’utilisation d’herbicides


C’est un article d’octobre 2017 [5] qui fait le constat : l’adoption des cultures de plantes génétiquement modifiées au Brésil à partir de 2003 a conduit à une augmentation des herbicides utilisés. Pour le soja par exemple, les quantités ont plus que doublé : de 100 000 tonnes en 2003 à plus de 230 000 tonnes en 2012.

Pour le maïs, l’augmentation est moins marquée mais est présente quand même : sur ces cultures, les quantités d’herbicides sont passées de 45 000 tonnes en 2003 à plus de 50 000 tonnes en 2012 ; et pour le coton, de 10 000 tonnes à 20 000 tonnes entre 2003 et 2012.

14 espèces résistaient au glyphosate en 2009 (contre une seule en 1998)

Dans un article scientifique publié en 2015 [6], Sylvie Bonny, chercheuse à l’Inra, confirme ce constat d’augmentation de l’utilisation de glyphosate liée à l’adoption des PGM en agriculture aux États-Unis. La chercheuse précise également les raisons de cette augmentation : les herbicides à base de glyphosate ont remplacé d’autres herbicides toxiques (le glyphosate étant encore perçu comme « bénin » précise Sylvie Bonny), et le prix de ces herbicides a baissé a partir de 2000 quand le glyphosate est tombé dans le domaine public… Sur une culture comme le soja GM aux États-Unis (qui représentait, en 2014, 80 % des cultures de soja et 50 % des cultures tolérant les herbicides), la part des herbicides à base de glyphosate est ainsi passée de 4 % des herbicides totaux entre 1990 et 1993 à 89 % en 2006.

Mais une observation complémentaire nous intéresse. Entre 1996 – année d’adoption des cultures tolérant les herbicides – et 2005, le nombre d’herbicides utilisés sur les cultures de soja a chuté de dix-neuf à un, pour repartir ensuite à la hausse après 2005 jusqu’à huit en 2012. La raison ? L’apparition de plantes devenues résistantes au glyphosate dont le nombre est passé d’une espèce en 1998 à quatorze depuis 2009.

Biodiversité menacée, eaux et sols pollués

Conséquence de cette utilisation accrue du glyphosate et de l’apparition d’herbes résistantes : le nombre d’herbicides ayant comme principe actif d’autres molécules que le glyphosate a augmenté. Le 2,4-D ou le dicamba ont ainsi refait leur apparition, avec leurs lots de plantes génétiquement modifiées par transgenèse pour les tolérer pour lesquelles des demandes d’autorisation de commercialisation sont arrivées dans les dernières années dans l’Union européenne [7].

En 2011, en France, une expertise collective Inra – CNRS avait listé les problèmes environnementaux posés [8]. Parmi ceux-ci, on trouvait des effets sur la biodiversité (moins de flore donc moins de graines pour la faune les consommant donc « impact sur les taxons situés plus haut dans la chaîne alimentaire ») et une contamination notable des eaux et des sols. Et de souligner des lacunes de connaissance pour ce qui concerne la toxicité des herbicides sur la faune inféodée aux territoires agricoles ou encore les impacts potentiels sur les insectes pollinisateurs…

[2« Trends in glyphosate herbicide use in the United States and globally », Benbrook C., Environ Sci Eur (2016) 28:3.

[5Soares de Almeida et al., “Use of GE crops and pesticides in Brazil : growing hazards », Scielo, octobre 2017.

[6« Genetically Modified Herbicide-Tolerant Crops, Weeds, and Herbicides : Overview and Impact », Bonny S., Environmental Management (2016) 57 : 31

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