n°149 - mars / avril 2018Fiche technique / Etat des lieux

Obtenir d’un clic une variété tropicale

Par Frédéric PRAT

Publié le 11/04/2018

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Pour récupérer une variété végétale perdue dans son pays, lancer un projet de recherche, ou créer une nouvelle variété, on peut s’adresser à un Centre de ressources végétales. Mais pratiquement, comment faire ? Voyage dans les chambres froides du Centre de ressources biologiques tropicales (CRB-T) du Cirad de Montpellier…

Se procurer des semences passe le plus souvent par la case « marchand de graines » (souvent des coopératives pour les paysans, des jardineries pour les amateurs…). Pourtant, si je suis à la recherche d’une variété particulière, indisponible car disparue de mon terroir, je peux aussi m’adresser à un « centre de ressources biologiques » (CRB). En France, le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) en gère plusieurs, seul ou en partenariat avec l’Inra, spécialisés dans différentes plantes : ananas, banane, canne à sucre, igname et manguier, pour le CRB plantes tropicales de Guadeloupe et Martinique ; agrumes, pour le CRB Citrus de Corse ; cacaoyer, caféier ou hévéa, pour le CRB en cours de labellisation en Guyane ; et enfin riz, sorgho, mais aussi fonio, arachide, mil, maïs, coton et arbres forestiers, pour le Centre de ressources biologiques tropicales de Montpellier (CRB-T).

Réintroduire des variétés perdues

En 2012, des chercheurs sénégalais avaient déposé plusieurs variétés locales de sorgho suite à des collaborations de recherche au CRB-T. Suite à différents problèmes techniques dans leur chambre froide au Sénégal, ces variétés ont été perdues. L’équipe de sélectionneurs a donc rédigé une demande au CRB-T pour récupérer des semences de ses variétés, stockées en chambres froides (-4°C) et au congélateur (à -18°C) pour leur sauvegarde. C’est l’une des utilisations possibles de ce Centre de ressources, à l’instar d’autres Centres qui jouent ce rôle de « copies » des ressources biologiques en cas de guerre ou de catastrophes naturelles.

En dehors de ces cas de récupération de variétés perdues, chercheurs, institutions, groupements de paysans… du Nord comme du Sud, peuvent aussi solliciter des semences de différentes variétés au Centre de ressources (plus de 9 500 lots de semences ont déjà été distribués depuis 2008). Parmi les sollicitations au CRB-T, on trouve des demandes de semences pour des recherches sur la biodiversité des espèces, leur résistance à des pathogènes, les biocarburants ou les colorants naturels ; un boulanger s’est aussi adressé au CRB pour des semences de fonio exemptes de gluten pour tester son utilisation pour une farine à pain ; des enseignants sont aussi utilisateurs à des fins pédagogiques. Enfin, depuis quelques années, plusieurs Centres internationaux de recherche agricole, à l’instar de l’Icrisat, restreignent l’accès à leurs collections aux demandes extérieures, selon les partenaires du Sud, sans doute suite à un durcissement des législations nationales, et certains utilisateurs se retournent alors vers le CRB-T.

Comment faire ?

Je cherche par exemple une variété de riz. Le CRB-T en abrite actuellement 9 200 « accessions » (échantillons prélevés à des dates et lieux différents, correspondant à 1800 variétés [1]), provenant de 68 pays. Et là, c’est (presque) comme n’importe quelle commande en ligne, en suivant les instructions sur le site du CRB-T. On choisit sa collection (riz, sorgho, fonio, coton…), puis son catalogue, l’origine nationale désirée (parmi la cinquantaine de pays présents), puis on clique sur un nom de variété (par exemple, 2 UPLA). Aussitôt, apparaît le descriptif de l’accession : Nom scientifique et sous espèce (ici, Oryza sativa, sous espèce japonica), avec son numéro de catalogue (interne au CRB-T) et le poids du lot en stock. La base de données indique également le résultat et la date de la faculté germinative de l’échantillon. Un clic sur le bouton « commander » et un courrier électronique pré-rempli (destinataire et date de commande) n’a plus qu’à être complété avec les différentes semences demandées.

Surmonter les obstacles techniques et juridiques

Mais comme il ne s’agit pas de commander la dernière étagère d’Ikéa, il reste encore quelques étapes spécifiques pour l’obtention de matériel vivant. Tout d’abord, renseigner le projet (ou l’étude) concerné(e) et son objectif. Est-ce à dire qu’on ne peut commander des semences simplement pour produire dans son champ ? « Oui, on peut tester une variété dans son champ, nous précise Najate Maghnaoui, responsable du CRB-T, mais le CRB-T ne fournit pas des quantités importantes de semences ». Autrement dit, pour une utilisation à terme commerciale ou en auto-consommation, il faudra la reproduire et la multiplier. Puis, si le demandeur habite hors de l’Union européenne, il doit se renseigner auprès des autorités compétentes de son pays sur la nécessité d’un permis d’importation.

Ensuite le CRB-T examine la demande, pour savoir s’il y répond favorablement, selon trois conditions : la disponibilité en qualité et en quantité suffisantes (au besoin, une multiplication peut être effectuée) ; le statut juridique des variétés demandées. Cela peut conduire à l’impossibilité de fournir les variétés demandées ou à la signature d’un accord de transfert de matériel (ATM) avec le demandeur (voir encadré) ; et enfin, la faisabilité phytosanitaire : selon les pays, des contraintes peuvent s’appliquer sur la garantie de non présence de pathogène. En cas d’impossibilité de garantie, la demande doit être refusée. Ces démarches prennent parfois plusieurs mois.

Au final, dans le cas d’une réponse positive du CRB-T, le technicien sélectionne les lots à prélever, prépare les échantillons, imprime les documents administratifs, et procède à l’expédition via un service de courrier rapide suivi. Le destinataire s’engage à prévenir de l’arrivée du lot, puis par la suite à mentionner la provenance de ce lot dans toute éventuelle publication ou utilisation.

D’où viennent les semences du CRB-T ?

Toutes les ressources stockées dans le CRB-T ont été acquises légalement, c’est-à-dire avec l’accord de leurs propriétaires et signature d’ATM ou dans le cadre de convention de recherche où les conditions d’accès au matériel ont été précisées. Ces ressources, dûment contrôlées sanitairement et identifiées (génotypage), sont accompagnées d’une information stratégique : le permis de collecte, l’ATM, les lieux et dates de collecte, ainsi que des critères liés à la plante (taille de la plante, taille et couleur du grain, résistances à certains pathogènes, savoir-faire ou usages liés s’ils sont disponibles – ces derniers n’étant pas rendus publics).

Les ressources conservées au CRB-T proviennent soit de prospection ou de projet de recherche, soit d’autres banques de gènes internationales. Le statut de la ressource dépendra de la date d’introduction des ressources (avant ou après la convention sur la biodiversité en 1992) et des conditions indiquées par les partenaires lors de leur acquisition. Par exemple, certaines prospections ont été menées sous l’égide de la FAO et ont un statut de libre diffusion. Certains partenaires doivent être consultés avant la diffusion du matériel (restrictions demandées par le partenaire). Certaines ressources étaient accompagnées d’un ATM qui peut demander à récupérer les données produites par les futurs utilisateurs. L’ensemble de ces procédures très spécialisées est géré par des outils informatiques « sur mesure », que le CRB-T diffuse, sur demande, à d’autres Centres de ressources.

Qu’est-ce qu’un « accord de transfert de matériel » ?


L’accord de transfert de matériel (ATM) est un contrat signé entre le demandeur d’une ressource biologique et son propriétaire quand il existe (par exemple, une communauté paysanne, mais avec un statut juridique). Il a été rendu obligatoire par deux textes juridiques internationaux : le Protocole de Nagoya, et le Traité de la FAO sur les ressources phytogénétiques (Tirpaa), afin d’éviter le pillage des ressources naturelles.

Dans un ATM, il y a toujours les mêmes parties à compléter : 

1 – Désignation des parties : entre le Cirad (représenté par le CRB-T) et le bénéficiaire (celui qui demande le matériel)

2 – Désignation du matériel : Nom de la variété, pays d’origine, fournisseur initial : souvent une liste des variétés demandées à la fin (partie complétée par le CRB)

3 – Utilisations autorisées : évaluation du matériel, caractérisations génétiques, phénotypiques, test de résistance, extraction de molécules, sélection variétale… 

4 – Utilisation ultérieure : le matériel peut-il ou non être gardé à l’issue de l’étude réalisée ? Doit-il être restitué au CRB ? ou détruit par l’utilisateur ?

5 – Tarif : gratuit, sauf si les contraintes sanitaires ou juridiques sont importantes (traitement phytosanitaire obligatoire par exemple), ou les quantités demandées supérieures à 10 g. 

6 – Conditions particulières : cette partie prend en compte le partage des avantages : soit en cas d’exploitation commerciale ou en termes de résultat et de citation.

[1Cela permet de tenir compte de la variabilité liée à la multiplication mais aussi des choix de sélection dans cette variété de morphotype particulier.

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