n°149 - mars / avril 2018

Les OGM ne nourriront pas le monde

Par Jacques Caplat

Publié le 11/04/2018

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Les désordres alimentaires mondiaux résultent pour une part importante d’un choix d’agriculture mondialisée, basée sur la centralisation des savoirs, l’uniformisation des semences, la sur-mécanisation et le recours à la pétrochimie pour corriger les déséquilibres découlant de ces choix (fertilisation, pesticides…). Ce modèle technique est inadapté à la plupart des continents, et sa généralisation a détruit d’autres formes d’agricultures vivrières et agro-écologiques.

Les causes de la faim dans le monde ne sont pas toutes agronomiques. La géographie des guerres et des dictatures détermine les zones où les famines sont les plus virulentes. Ceci étant dit, la lutte contre la faim nécessite de redonner aux communautés paysannes les moyens de leur souveraineté alimentaire. Il convient d’insister sur le fait qu’aussi bien la biologie que l’anthropologie du développement démontrent que la stabilité et la pérennité d’un système (biologique ou social) reposent notamment sur la diversité et la faculté de s’auto-réguler. Le développement d’une société humaine ne peut reposer que sur ses ressources locales et internes (ressources intellectuelles, culturelles, agricoles, naturelles, physiques, scientifiques, économiques, etc.) [1] – ce qui ne lui interdit bien sûr pas de recourir en connaissance de cause à des emprunts extérieurs si elle le décide souverainement. Chaque agriculture est la relation particulière entre une société et un territoire.

Les OGM : un modèle instable et inefficace

Dans cette perspective, les OGM sont une aberration. Leur conception scientifique (passage obligé en laboratoire) et leur diffusion économique (dont la propriété industrielle) sont extérieures aux systèmes de productions agricoles locaux. Les OGM échappent donc par définition à toute maîtrise locale par les sociétés paysannes. Leurs nature et structure mêmes en font l’exact opposé de toute souveraineté alimentaire. En outre, ils poursuivent et amplifient la logique consistant à « réduire » l’agriculture à des équations et paramètres simplistes. Le mode opératoire des plantes Bt, qui agissent comme des insecticides chimiques, est binaire : action / réaction. Il « fonctionne » indépendamment de l’agro-écosystème. La réalité des systèmes complexes est pourtant connue depuis longtemps : le nombre de paramètres est tel que les interactions possibles sont en nombre astronomique et impossibles à maîtriser. Le modèle agricole industriel est, dans sa conception même, totalement instable et inefficace : les rendements stagnent, même en augmentant les doses d’engrais azotés, par exemple… Les OGM accentuent cette dérive jusqu’à l’absurde.

La question des carences asiatiques en vitamine A illustre bien cet aspect. Elles sont la conséquence d’un appauvrissement des systèmes agraires consécutif à la focalisation sur la production de riz « amélioré » (c’est-à-dire sélectionné de façon centralisée et uniforme depuis la Révolution verte) : de nombreuses cultures diversifiées (légumes) ont été supprimées des rotations, ce qui a par ailleurs fragilisé les sols et les milieux. Vouloir modifier génétiquement un riz pour changer sa teneur en vitamine A (le « riz doré » [2]) revient à ignorer les causes de ces carences, appauvrir encore plus le régime alimentaire et promouvoir une solution technique qui deviendra un problème économique. Même en imaginant que ce riz doré soit viable techniquement, il ne conduirait qu’à provoquer de nouvelles carences, car il est impossible de modéliser de façon exhaustive et fiable l’ensemble des proportions de nutriments qui nous sont nécessaires, et encore plus illusoire de les concentrer dans un seul aliment. Dans le même temps, l’expansion hypothétique du riz doré conduirait à amplifier la spécialisation agricole asiatique et donc à l’appauvrissement de ses systèmes de culture, des sols, des écosystèmes et en bout de course, des aliments disponibles. Cette expansion conduirait alors inéluctablement à plus de pauvreté, plus de carences, plus de fragilités alimentaire et agronomique.

Seule l’agroécologie paysanne est résiliente

Dans un monde soumis à un dérèglement climatique croissant, le premier paramètre à prendre en compte est celui de la résilience. Issus de modèles théoriques, les OGM sont anti-résilients. Ils sont une insulte à l’agronomie et à la biologie des écosystèmes. Les seules techniques agricoles résilientes sur le plan climatique, économique, social et humain sont celles élaborées par les populations locales en relation avec leurs systèmes sociaux et avec leurs écosystèmes. Elles peuvent être résumées par les notions d’agroécologie paysanne ou d’agriculture biologique… et s’appuient obligatoirement sur des semences adaptatives et évolutives.

[1voir les travaux de Jean-Pierre Olivier de Sardan et de Céline Germond-Duret

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