n°149 - mars / avril 2018

Formation en agroécologie au Proche-Orient

Par Collectif Buzuruna Juzuruna et Emmanuel Haddad

Publié le 11/04/2018

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Un collectif d’agriculteurs syriens, libanais et français a créé une formation en agro-écologie au Liban. Objectif : mettre à profit ces techniques pour résister à la mainmise des grosses multinationales sur les marchés agricoles au Liban et en Syrie, nouvellement entrées par la porte du conflit syrien.

C’est une simple tente de bâche et de bois, bâtie au milieu de milliers d’autres dans la plaine de la Bekaa, qui accueille les élèves de la formation en agro-écologie organisée par le collectif Buzuruna Juzuruna, littéralement Nos graines sont nos racines [1]. Cette région frontalière entre le Liban et la Syrie, connue autrefois pour être une des plus fertiles au monde, abrite aujourd’hui les habitats éphémères où vivent quelque 360 000 Syriens ayant fui le conflit voisin. La précarité de la tente ne jure pourtant pas avec le jardin magique dans lequel elle trône : un espace de deux hectares abritant plusieurs dizaines de variétés de légumes, de fleurs, de fruitiers et d’aromatiques cultivés sainement et collectivement.

Les participants viennent d’horizons variés et arrivent au compte goutte : Razzan et Raghad, deux jeunes sœurs syriennes habitant le village d’à côté, viennent accompagnées de Yusra, qui entretient un joli jardin dans le camp de réfugiés où elle vit. Puis ce sont deux alépins, Walid et Hassan, qui garent leur moto devant le bâtiment. Toujours un peu en retard, arrive l’équipe dite « de Beyrouth » : trois membres d’une jeune agence de consultance libanaise se lançant dans l’aventure du bio et une poignée d’expatriés travaillant à la création de jardins dans les camps de réfugiés, pour le compte d’ONG locales. De début août à fin octobre, la trentaine de participants suivra un programme qui abordera, entre autres, la vie du sol, les vertus des plantes aromatiques, la reproduction des semences, la lutte biologique et les conséquences des pesticides sur l’environnement et le corps humain.

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Contre l’appropriation du vivant

Ces techniques, encore nouvelles pour les étudiants, prennent un sens nouveau lors de l’atelier sur les politiques agricoles au Moyen-Orient animé par Karim, professeur d’histoire à Beyrouth et ardent militant d’une agriculture biologique accessible à tous. Le groupe découvre comment une poignée de sociétés semencières et chimiques, nommées Monsanto, Syngenta ou Bayer, se sont peu à peu appropriées les ressources agricoles mondiales, imposant l’achat de leurs semences hybrides au détriment de variétés locales. Ils apprennent aussi que l’Irak voisin, berceau historique de la domestication du blé, n’a plus la mainmise sur ses propres variétés de céréales depuis l’opération « Pétrole contre nourriture » et ne cultive plus désormais que 22 espèces de blés importées contre plus de 200 variétés cultivées traditionnellement [2].

Le prochain cours, organisé avec une boulangerie libanaise, porte d’ailleurs sur l’évolution des céréales et des hommes à travers les âges. L’occasion de goûter à différents mélanges de blés (originaires d’Égypte, Irak, Iran, Syrie, Grèce et Tunisie), transmis de mains en mains et adaptés en plein champ de générations en générations, cultivés sur la ferme-école. Aujourd’hui, la formation de trois mois s’est écoulée et une prochaine session va commencer. Au sein du groupe, deux personnes sont rentrées en Syrie avec la ferme intention de travailler leur sol différemment, une équipe de cinq a été embauchée pour animer avec une ONG locale des jardinières dans les camps de réfugiés avoisinants et une famille a trouvé un travail stable dans une ferme biologique dans le nord du pays.

Par ailleurs, le collectif collecte, multiplie, vend et distribue des semences paysannes. Activités qui incluent plus d’une dizaine de pays et une centaine de paysans-jardiniers et qui ont déjà permis de rassembler 150 variétés de Méditerranée et du Proche-Orient, re-sélectionnées directement dans les jardins, multipliées par les paysans et dégustées par les familles alentours.

[1Anciennement Graines et Cinéma, qui a organisé une tournée de projection de films pour sensibiliser à la guerre en Syrie en échange de semences paysannes à distribuer.

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