n°149 - mars / avril 2018

L’aide alimentaire : pendant de l’agriculture industrielle

Par Jean-Claude Balbot, membre du Réseau CIVAM et Agriculteur

Publié le 11/04/2018

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C’est parce que les Civam [1] interrogent globalement les conditions pour un accès durable à une alimentation de qualité, qu’ils peuvent aujourd’hui affirmer qu’il y a un lien entre l’agriculture industrielle et la paupérisation. Démonstration.

Les lois de modernisation des années 60 reposaient sur un dogme : « Producteurs, vous n’avez à vous soucier de rien d’autre que de produire. Vous n’avez à prendre en compte ni l’environnement physique, ni l’environnement social. D’autres, formés à cela, se chargent et de rendre compatibles vos activités avec la qualité de l’eau, des sols et de l’air, et de faire absorber par le « consommateur » les produits de cette activité ».

Nous avons tous à l’esprit les dégâts environnementaux et le coût pharamineux des « réparations » envisagées. Qu’en est-il des rapports sociaux issus de la mise en musique de ce dogme ?

Vente directe et aide alimentaire

Dans les années 80, on assiste à la création simultanée d’associations de défense des agriculteurs en difficulté et des Restos du Cœur. Non seulement l’agriculture ne nourrit plus son homme mais en plus elle ne nourrit plus les hommes. La paupérisation se poursuivant, certains producteurs cherchent à augmenter la valeur ajoutée par la vente directe. Pour les consommateurs, par contre, une seule proposition : l’aide alimentaire, qui devient une institution s’appliquant à tous, de l’urgence aux familles à petit budget. Ceux qui pour échapper à la prolétarisation ont choisi des chemins de traverse font le constat que leurs produits sont rarement accessibles à tous. À qui la valeur ajoutée de la vente directe ? Le constat est alors cruel : plus notre revenu est faible, plus nous sommes exposés aux maladies « alimentaires ». L’alimentation est devenue un marqueur de classe et pour quelques-uns un moyen de la distinction. Pour tenter de sortir de ce piège apparaissent des épiceries solidaires, des paniers solidaires, des prix différenciés… Comment s’assurer alors que ces tentatives ne sont pas de la charité modernisée ? C’est cette question que les Civam cherchent à clarifier. Comme nous avions défini des critères de durabilité de la production il y a 30 ans, nous cherchons aujourd’hui à caractériser l’accès durable à une alimentation de qualité, persuadés qu’une agriculture aussi chère (9,5 milliards d’euros d’aides directes, certainement plus de 20 milliards en tout) n’est réellement soutenable que si elle permet de nourrir tout le monde durablement, sans les dégâts et la frustration engendrés par la charité, même modernisée.

Caractériser la démocratie de la distribution alimentaire

Nous avons établi quelques constats : dans les systèmes charitables il y a peu ou pas de place pour les producteurs et le travail social désigne les bénéficiaires de l’aide ; le don sans réciprocité est source de ressentiment pour celui qui reçoit comme pour celui qui donne ; l’aide alimentaire détruit la capacité d’auto-organisation des classes populaires ; l’ « innovation sociale », issue de la théorie du management, renforce les structures de pouvoir ; l’ignorance des conditions de la production alimentaire est immense. Puis nous avons défini des dimensions permettant de caractériser la plus ou moins grande démocratie d’un mode de distribution alimentaire. Sans affirmation d’exhaustivité, nous en proposons quatre : la prise en compte de la question agricole, l’autonomie des parties prenantes, les modalités de la participation et la qualité des aliments distribués. Il faudrait plus d’un autre article pour les détailler.

L’idée qu’un miracle technologique viendrait faire céder la « faim » relève de l’économie de la promesse. De récentes recherches montrent les mauvaises situations économique et sociale des farmers américains producteurs de maïs et soja OGM et celles encore plus critiques des paysans africains et indiens producteurs de coton et de riz OGM. 

Pour conclure cette première approche, il est possible d’affirmer qu’il y a un lien destructeur entre l’agencement actuel de la production agricole et la paupérisation. Celle des producteurs et celle des consommateurs. Une des explications, la plus pertinente, est la place que tiennent la rente et le capital dans les systèmes comptables et fiscaux agricoles. Encore plus de la même chose (Programme d’Investissement d’Avenir, Agriculture et Innovation 2025, Atelier de Conception Innovante…) finira-t-il par produire autre chose ? « La folie c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent » a déjà répondu Einstein.

[1Centres d’Initiatives pour Valoriser l’Agriculture et le Milieu rural

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