n°149 - mars / avril 2018

OGM et développement : des institutions tiraillées

Par Audrey Boullot*

Publié le 11/04/2018

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Dans la recherche de l’alliance entre sécurité alimentaire pour tous, augmentation des rendements agricoles et recherche de pratiques agricoles durables, le débat sur les OGM fait clivage entre et au sein des institutions. Zoom sur quelques positions (FAO, Bill Gates) et deux expériences nationales (Burkina et Inde).

Dans notre monde globalisé, le marché des OGM de même que le marché des semences en général est de plus en plus verrouillé par quelques multinationales, qui exercent leur contrôle sur les ressources génétiques au sein d’un marché toujours plus fermé. Ainsi, trois multinationales (Monsanto-Bayer, Dupont-Dow et Syngenta-ChemChina) contrôlent aujour- d’hui près de 60 % du marché mondial des semences (ETC Group, 2013).

Un débat manipulé par les multinationales semencières

Il est pourtant possible de produire autrement, tout en assurant la sécurité alimentaire mondiale. Ainsi, comme l’a énoncé Olivier de Schutter [1], ancien rapporteur spécial du droit à l’alimentation de l’ONU de 2011 à 2014, l’agroécologie pourrait permettre de multiplier par deux la production alimentaire mondiale en 10 ans. La petite agriculture familiale qui permet de produire aujourd’hui plus de 70 % de l’alimentation mondiale (FAO) pourrait ainsi permettre d’approvisionner les populations, et en premier lieu les producteurs, à au moins deux conditions : en inversant la tendance d’un système alimentaire de filières longues en filières courtes et équitables pour tous les maillons de la chaîne, et en contrebalançant la mainmise des grandes entreprises sur le secteur agricole par des politiques de soutien en faveur de cette petite agriculture. Cependant, même si cela relève pour beaucoup du bon sens, à l’exception du Bhoutan, rares sont les États qui se maintiennent ou se réengagent dans cette voie, en refusant le modèle de « modernisation de l’agriculture » et en soutenant la petite agriculture vivrière et biologique.

Les échecs des OGM au Burkina Faso et en Inde

Ces dernières années, certains pays ont fait les frais de l’introduction des semences GM. Ce fut notamment le cas du Burkina Faso qui, après avoir tenté de façon infructueuse le coton Bt de Monsanto pour rendre ses cultures plus résistantes aux parasites, est revenu, 10 ans plus tard, aux semences conventionnelles. En effet, les semences génétiquement modifiées ont eu des rendements hétéroclites, de nouveaux parasites plus résistants sont apparus dans les champs burkinabés et la qualité de la fibre a baissé, ce qui en conséquence a fait perdre au pays sa place de premier producteur de coton d’Afrique de l’Ouest.

L’expérience fut et est encore sévère aussi pour l’Inde qui cultive du coton Monsanto depuis 2002 et où l’apparition d’insectes résistants au Bt – substance insecticide produite par le coton GM – a obligé les paysans à employer des aspersions de pesticides en complément. La chute de rentabilité et la dépendance aux biotechnologies a provoqué la ruine de milliers de paysans et a renforcé une vague de suicides sans précédents (plus de 200 000 en 20 ans).

Après le coton, Monsanto poursuit aujourd’hui ses essais non pas uniquement sur les cultures de rente mais également sur les cultures alimentaires telles que le niébé ou le sorgho en Afrique de l’Ouest [2]. Cette potentielle mainmise à venir sur des cultures alimentaires de milliers de personnes pourrait s’avérer catastrophique quand on sait à quel point les aspects sociaux, économiques et éthiques liés à l’introduction des biotechnologies sont négligés.

L’Organisation des Nations unies pour l’Agriculture et l’Alimentation (FAO), organe de l’ONU dédié aux questions d’agriculture et d’alimentation, tient aujourd’hui un double discours quant aux OGM. 

Le double discours de la FAO

D’un côté, la FAO assure que nous n’avons pas besoin des OGM pour résoudre le problème de la faim dans le monde et que « la biodiversité est essentielle pour garantir la sécurité alimentaire et la nutrition » ; de l’autre côté, elle considère que la modification génétique peut « aider dans certains cas à augmenter la production et la productivité et contribuer ainsi à la sécurité alimentaire ».

Si elle ne souhaite pas prendre de position claire sur les OGM, la FAO favorise cependant la diffusion des autres biotechnologies (biofertilisants, biopesticides, etc.) dont elle souligne l’avantage de ne pas être régulées par des autorisations réglementaires spéciales et au faible coût de libération [3]. En 2017 et 2018, la FAO organise ainsi un cycle de quatre conférences régionales sur les « biotechnologies agricoles pour des systèmes alimentaires durables ». Ces rencontres ont jusque-là surtout promu l’utilisation et la diffusion des biotechnologies et ont laissé peu de place aux alternatives agroécologiques. La FAO se veut pourtant être une plateforme neutre de discussion pour l’étude et le développement des biotechnologies.

C’est pourquoi, face aux États et au sein de la FAO, de nombreuses ONG militent en faveur d’une interdiction et/ou d’un plus grand contrôle du développement des OGM en dénonçant l’opacité des pratiques des industries semencières. C’est ainsi le cas de Navdanya en Inde, soutenue notamment par l’organisation française SOL (voir sa présentation ci-dessous), de la Via Campesina à l’international mais notamment en Amérique Latine ou encore de la Copagen (Coalition pour la protection du patrimoine génétique africain) en Afrique de l’Ouest, qui combattent la poussée des biotechnologies à travers le monde (voir encadré ci-dessous) et militent en faveur d’un système agricole et alimentaire plus équitable et plus durable pour tous.

La Fondation Gates favorise les multinationales


En décembre 2017, lors du « One Planet Summit » qui s’est tenu à Paris pour encourager l’investissement dans la lutte contre le changement climatique, le milliardaire Bill Gates a annoncé que sa fondation (Bill & Melinda Gates Fondation) allait investir plus de 300 millions de dollars dans la recherche agricole pour « aider les paysans les plus pauvres ». Bill Gates n’en est pas à sa première mesure d’investissement conséquent en faveur de la « modernisation » de l’agriculture sur le continent africain. Il vise essentiellement à soutenir la recherche en faveur des OGM car il assure qu’ils vont aider les agriculteurs africains à faire face au changement climatique. Ainsi, d’après un rapport publié par l’ONG Grain en novembre 2014, la Fondation aurait consacré depuis 2013 près de 3 milliards de dollars au développement agricole en Afrique, dont seulement 5 % des subventions sont allées directement au continent africain. La plus grande partie de ces subventions a en effet servi à financer des laboratoires américains pour élaborer des nouvelles variétés de semences améliorées à destination du continent africain. RFI Afrique rapportait par ailleurs en décembre [4] l’acquisition de parts par la fondation dans la multinationale Monsanto dont certains de ses collaborateurs sont issus. Depuis plusieurs années, la fondation multiplie ainsi les partenariats avec les multinationales de l’agri business (DuPont, Cargill, Nestlé, Coca-Cola)… Et c’est sous couvert de philanthropie que la fondation B. & M. Gates ouvre ainsi les marchés en Afrique aux multinationales du Nord [5] .

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