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Bagarre internationale pour détecter les nouveaux OGM

Par Eric MEUNIER

Publié le 22/03/2018, modifié le 01/12/2023

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En avril 2017, la Commission européenne refusait que son réseau de laboratoire étudie comment détecter et identifier les nouveaux OGM. Mais ce travail pourrait cependant être mis en œuvre au niveau international.

Le débat actuel sur les nouvelles techniques de modification génétique porte, notamment, sur le statut OGM ou non OGM des produits issus de ces nouvelles techniques. Dans l’Union européenne, les produits « OGM » doivent être étiquetés. Ainsi se pose la question de la possibilité, ou non, de détecter et tracer ces nouveaux OGM tout au long d’une filière alimentaire. Certains acteurs défendent l’idée que ces nouveaux OGM ne sont pas différenciables d’organismes naturels [1], et des comités d’experts (comme le Mécanisme de conseil scientifique européen – SAM – ou le Haut conseil des biotechnologies – HCB) l’affirment officiellement. En dehors de toute logique scientifique comme Inf’OGM l’a déjà relaté [2] [3].

La Convention sur la Diversité Biologique étudiera-t-elle la question ?

Si cet argument a suffi, pour l’instant, à évacuer la question des instances françaises et européennes, d’autres instances en discutent, notamment à l’international.

Un groupe d’experts ad hoc sur la biologie de synthèse, mis en place par la Convention sur la Diversité Biologique (CDB) et auquel participent certaines des parties prenantes (gouvernements, entreprises, organisations de la société civile, chercheurs…), s’est réuni en décembre à Montréal, a abordé la question de la détection et de la traçabilité des nouveaux OGM. 

Dans son rapport provisoire [4], le groupe ad-hoc note que « la plupart des outils utilisés couramment pour la détection, l’identification et la gestion des OVM (organisme vivant modifié) pourraient également être utilisés pour les organismes obtenus par biologie de synthèse mais que ces outils nécessiteraient probablement d’être mis à jour et adaptés ». Une affirmation relativisée ensuite dans le rapport au cas où « les OVM obtenus ne sont pas distinguables de contre-parties apparaissant naturellement ou par amélioration conventionnelle ». Cette précision ne remet pas en cause le statut OVM – et donc des obligations légales découlant de ce statut – de ces organismes. Au contraire, le rapport provisoire souligne que « le développement d’autres outils de détection, d’identification et de gestion pourrait être nécessaire ». Un développement auquel s’ajoute une traçabilité documentaire qui devrait être mise en place. Il suggère donc que « le réseau de laboratoires pour la détection et l’identification des OVM devrait pouvoir contribuer à l’évaluation des outils de détection » ainsi qu’à définir les améliorations à envisager. Le rapport clôt finalement ce chapitre en précisant que les structures mettant sur le marché des produits issus de biologie de synthèse pourraient être obligées de fournir de tels outils, ainsi que « les séquences et matériels de référence ». Une approche en tout point similaire à celle adoptée pour les OGM transgéniques… et en complète contradiction avec la position du SAM, du HCB et de l’industrie semencière !

La période de commentaire du rapport par les parties prenantes est close. La lecture de ces commentaires [5] confirme que la question de la détection et de la traçabilité de ces organismes est centrale. L’ONG Third World Network (TWN), la seule organisation de la société civile à avoir commenté le rapport, appuie la position présentée dans le rapport du groupe ad hoc. Et, on s’y attendait, certaines entreprises et gouvernements confirment leur opposition et désaccord.

Pour les entreprises, nouveaux OGM et plantes naturelles se ressemblent

Ainsi, la Fédération internationale des semenciers [6] répète que « l’identification et la détection telles que présentées [dans le rapport provisoire] peut ou ne peut pas être mise en œuvre puisque les organismes peuvent être indistinguables de variants génétiques apparaissant naturellement ». D’ailleurs, pour les semenciers, « les plantes ne pouvant être distinguées de plantes obtenues naturellement ou de manière conventionnelle ne posent pas de risques distinguables ». Deux autres organisations représentant des entreprises, EuropaBio et la Coalition Globale des Industries (pour le Protocole de Cartagena) dénoncent le coût financier que représenteraient une traçabilité et documentation utiles pour la détection et l’identification de ces organismes. Argument utilisé en son temps pour les OGM transgéniques, ce qui n’a pas empêché l’Union européenne de les détecter et de les tracer sans que cela ne pèse sur les bénéfices des semenciers…

En d’autres termes, les entreprises adoptent un raisonnement circulaire basé sur l’affirmation que des produits obtenus par biologie de synthèse ne sont pas différenciables de produits apparus naturellement ou par croisement conventionnel. Et que de ce fait ces produits ne posent pas plus de risques. Et s’ils ne posent pas de risques, il n’y a pas d’obligation découlant de la convention pour les détecter et les tracer. Et si d’aucuns demandent que des recherches dans le domaine de la détection soient faites, les entreprises expliquent ne pas partager ce point de vue.

Certains gouvernements sur la ligne des entreprises

Une approche que l’on retrouve entre les lignes dans la position du Canada, de l’Australie, des Pays-Bas ou des États-Unis (et dans une moindre mesure du Brésil). Le commentaire principal des États-Unis résume bien la position de ces pays, expliquant que si un OVM n’est pas « distinguable en principe de sa contre-partie naturelle ou conventionnelle, alors il est effectivement similaire et il n’existe aucune différence de fonction et de risques ». Et donc, pas de besoin de détecter et de tracer.

Ce rapport sera, ensuite, soumis au Comité du conseil scientifique, technique et technologique de la Convention qui se réunit en juillet 2018.… Et in fine, ce sera la Conférence des Parties à la Convention sur la Biodiversité, prévue en novembre 2018 en Égypte, qui pourrait prendre une décision de mandater ou non le réseau de laboratoire de la Convention pour qu’il se penche sur la question.

[4Report of the adhoc technical expert group on synthetic biology, Montreal, Canada, 5-8 december 2017

[5Les commentaires du rapport provisoire sont disponibles en anglais ici : http://bch.cbd.int/synbio/peer-review/

[6Aujourd’hui présidée par Jean-Christophe Gouache, directeur des affaires internationales de Limagrain (France), membre des conseils d’administration de l’European Seed Association (ESA) et de l’Union Française des Semenciers (UFS) et vice-président du CEES du HCB.

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