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UE – Les ONG peuvent demander un réexamen des autorisations d’OGM

Par Charlotte KRINKE

Publié le 19/03/2018

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Dans un arrêt rendu le 14 mars [1], le Tribunal de l’Union européenne a confirmé que les ONG peuvent demander à la Commission européenne un réexamen d’une décision autorisant un OGM, notamment en invoquant les aspects liés à l’évaluation sanitaire des aliments génétiquement modifiés. Une interprétation favorable aux ONG.

En avril 2015, la Commission européenne autorise l’importation de trois sojas génétiquement modifiés pour l’alimentation humaine et animale [2]. Elle s’appuie pour ce faire sur les avis de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA / EFSA) concluant que les sojas génétiquement modifiés sont aussi sûrs que leurs homologues conventionnels du point de vue des effets potentiels sur la santé humaine et animale ou sur l’environnement.

L’organisation non-gouvernementale (ONG) allemande Testbiotech conteste ces décisions d’autorisation et demande à la Commission européenne de les réexaminer, une possibilité prévue par le règlement d’Aarhus [3]. À l’appui de sa demande de réexamen, Testbiotech invoque des arguments liés à l’évaluation sanitaire de ces sojas transgéniques. L’organisation soulève le fait que l’AESA n’a pas établi d’orientations relatives aux effets sur la santé des plantes génétiquement modifiées (PGM) dont le contenu nutritionnel a sensiblement été altéré. Selon l’organisation, l’absence de ces orientations aurait abouti, notamment, à une évaluation des risques nutritionnels inadéquate et à une violation des dispositions portant sur l’étiquetage. Testbiotech souligne aussi que pour les sojas MON 87705 et 305423, les résidus d’herbicides n’ont pas été pris en compte dans l’examen des incidences sur la santé de la consommation d’aliments pour les humains ou les animaux.

En novembre 2015, la Commission européenne rejette la demande de réexamen de Testbiotech. Elle estime qu’elle n’a pas à y répondre car, selon elle, des arguments liés à la santé ne peuvent pas être invoqués dans le cadre d’une demande de réexamen interne telle que prévue dans le règlement Aarhus (voir encadré ci-dessous). Un rejet qui conduit Testbiotech à saisir le Tribunal de l’Union européenne.

Les arguments concernant l’impact des OGM sur la santé relèvent du domaine de l’environnement

Un arrêt du Tribunal de 2016 faisait déjà pressentir l’utilité du droit au réexamen reconnu aux organisations non gouvernementales par le règlement d’Aarhus en matière d’autorisation d’OGM [4]. Le Tribunal avait alors jugé que les décisions d’autorisation d’OGM, même si l’autorisation ne couvre pas la culture, peuvent faire l’objet d’une demande de réexamen interne auprès de la Commission européenne [5].

Le Tribunal confirme cette interprétation extensive dans son arrêt du 14 mars. Il considère que les décisions d’avril 2015 autorisant la commercialisation des trois sojas génétiquement modifiés peuvent faire l’objet d’une demande de réexamen interne.

L’affaire Testbiotech permet toutefois au Tribunal de préciser encore davantage la portée du droit au réexamen interne, et de lui conférer une portée encore plus large. L’affaire pose en effet une question nouvelle : celle de savoir si des arguments d’ordre sanitaire relèvent du domaine de l’environnement et peuvent être invoqués dans le cadre d’une demande de réexamen interne.

Selon le règlement d’Aarhus, une ONG peut introduire une demande de réexamen interne « auprès de l’institution ou de l’organe de l’Union qui a adopté un acte administratif au titre du droit de l’environnement » [6]. Habituellement, le juge interprète la notion de « droit de l’environnement » de manière très large. Mais des arguments liés à la santé relèvent-ils pour autant de ce domaine ?

Dans son arrêt rendu le 14 mars, le Tribunal affirme que oui. Il considère que le droit de l’environnement au sens du règlement d’Aarhus, « couvre, en l’espèce, toute disposition législative de l’Union, portant sur la réglementation des organismes génétiquement modifiés, qui a pour objectif de gérer un risque pour la santé humaine ou animale, qui trouve son origine dans ces organismes génétiquement modifiés ou dans des facteurs environnementaux susceptibles d’avoir des répercussions sur lesdits organismes lors de leur culture ou de leur élevage dans l’environnement naturel » [7], et ce même si les OGM ne sont pas cultivés dans l’Union européenne.

Le Tribunal explique que la protection de la santé des personnes fait partie des objectifs de la politique de l’Union dans le domaine de l’environnement et que les OGM ne peuvent être mis sur le marché que s’ils ne comportent pas d’effets négatifs sur l’environnement mais aussi sur la santé humaine ou animale. Par conséquent, relève le Tribunal, « l’évaluation des risques en raison de la dissémination potentielle des organismes génétiquement modifiés dans l’environnement naturel dans l’Union n’est qu’un aspect particulier de l’examen des risques environnementaux dans le cadre d’une procédure d’autorisation » [8]. D’ailleurs, le règlement européen qui sert de base à l’adoption des décisions d’autorisation d’aliments génétiquement modifiés (le règlement 1829/2003), contient des dispositions qui contribuent à la poursuite de la protection de la santé humaine et animale dans l’Union.

Le Tribunal insiste sur le fait que les sojas transgéniques « constituaient, lors de leur culture, des éléments modifiés par l’intervention humaine qui étaient en interaction avec l’environnement naturel. Ainsi, les modifications génétiques de ces éléments de l’environnement [9] étaient susceptibles d’avoir des conséquences sur leur valeur nutritionnelle ou de représenter un risque pour la sécurité alimentaire et constituaient donc des questions relevant du droit de l’environnement » au sens du règlement d’Aarhus [10]. En outre, précise le Tribunal, les animaux qui consomment les aliments concernés sont affectés par ceux-ci, et ces animaux constituent eux-mêmes des éléments de l’environnement [11].

Futures demandes de réexamen des autorisations d’OGM ?

La Commission européenne aurait donc dû examiner la demande de réexamen de Testbiotech, juge le Tribunal. La décision par laquelle la Commission l’a rejetée est donc annulée, ce qui signifie que la Commission devra statuer à nouveau sur la demande de réexamen des décisions d’autorisation des trois sojas transgéniques de 2015.

L’arrêt du Tribunal n’a pas d’incidence directe sur la procédure d’évaluation des risques des OGM. Il est néanmoins important pour les ONG car il a pour effet d’étendre la portée de leur droit au réexamen en matière d’OGM. Cette extension est d’autant plus importante que la procédure d’autorisation des OGM dans l’Union européenne est souvent critiquée pour son caractère opaque et non démocratique et qu’il est difficile, pour une ONG, d’obtenir l’annulation d’une décision d’autorisation [12]. Le droit au réexamen permet, d’une certaine façon, d’essayer de corriger ces défauts – même si rien n’oblige la Commission à retirer sa décision.

Pour la Commission européenne, la santé, ce n’est pas l’environnement !


La Commission européenne, soutenue par Monsanto et Pioneer, défend dans cette affaire une interprétation étroite de la notion de « droit de l’environnement » [13]. Selon elle, il faut en effet faire une distinction entre l’évaluation de l’innocuité (qui porte notamment sur la toxicité, sur l’allergénicité ainsi que sur la nutrition) et l’évaluation des risques pour l’environnement. Seuls les aspects concernant l’évaluation des risques environnementaux devraient pouvoir être invoqués dans une demande de réexamen d’une décision d’autorisation d’un OGM, estime la Commission.

La Commission explique par ailleurs que « le seul fait que des denrées alimentaires ou des aliments pour animaux concernés aient subi un traitement biologique ou technique dans leur pays d’origine ne signifie pas que la sécurité des produits en question puisse avoir une incidence sur l’état de l’environnement » [14].

Des arguments que le Tribunal rejette : le droit de l’environnement au sens de ce règlement a une signification beaucoup plus large que celle défendue par la Commission. Il « ne se limite pas au seul état de l’environnement naturel dans l’Union » [15].

[1Tribunal (septième chambre), Testbiotech eV contre Commission, affaire T-33/16, 14 mars 2018.

[2Il s’agit des sojas MON87705 et 305423 et du soja 305423.

[3Règlement (CE) n°1367/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 6 septembre 2006, concernant l’application aux institutions et organes de la Communauté européenne des dispositions de la convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement.

[5Le Tribunal estime que ce sont des « actes administratifs adoptés au titre du droit de l’environnement ».

[6Article 10, paragraphe 1, du règlement n° 1367/2006.

[7Point 69 de l’arrêt.

[8Point 66 de l’arrêt.

[9NDLR : Selon le règlement d’Aarhus, les OGM sont des « éléments de l’environnement », tout comme l’air, l’eau, le sol, les terres, etc.

[10Point 85 de l’arrêt.

[11Points 86 et 87.

[13La Commission affirmait que, certes, « les considérations relatives à la santé publique peuvent être l’effet et la conséquence de la protection de l’environnement, mais que les références à la santé publique, faites dans les dispositions relatives à l’environnement, n’ont pas pour but d’incorporer entièrement le domaine de la santé publique dans le domaine du droit de l’environnement ». Point 83 de l’arrêt.

[14Point 87.

[15Point 87.

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